Nicolas Brouillac, designer industriel ayant passé partie une grande partie de sa carrière chez Peugeot Saveurs, développe actuellement son agence Nocliché
Nicolas Brouillac, pourriez-vous vous présenter ?
N.B. Je suis designer industriel spécialisé en produits manufacturés. J’ai démarré en 2002 chez Triangle Partners, l’agence d’Isabelle Richard, pour travailler dans le secteur de l’électroménager, et plus précisément à destination de la MDD, en lien avec des fabricants chinois. J’ai ainsi beaucoup dessiné de sèche-cheveux, de friteuses ou de fers à repasser en utilisant une technique 2D et non de 3D pour gagner du temps. J’ai ensuite postulé chez Peugeot Saveurs, entité qui n’avait plus rien à voir avec à l’époque avec Peugeot, mais qui, aujourd’hui, appartient de nouveau à la famille Peugeot. Nous étions en 2006 et j’y ai conçu des gammes de produits dans les domaines de l’outillage et des arts de la table. Cela m’a permis de me familiariser avec SolidWorks et d’y apprendre comment piloter un projet dans un contexte industriel, en lien avec l’ensemble des parties prenantes – marketing, R&D, industrialisation, etc. J’y suis resté 16 ans, et ma plus grande fierté est d’avoir conçu tous les designs pendant cette période, et même ceux qui sortent actuellement. Puis, j’ai reçu une proposition de DK Household Brands pour établir la stratégie premium de la marque Cole & Mason, le numéro 2 du secteur après Peugeot, en utilisant les leviers du design. L’entreprise était en train de chuter, car elle s’était enfermée dans la grande distribution. J’ai donc revu la stratégie, le design, les guides lines, le branding, et j’ai même redessiné l’histoire de la marque, car les archives n’existaient plus ! L’actionnaire a été tellement satisfait qu’il m’a demandé en parallèle de prendre en charge le marketing, ce que j’ai refusé, n’étant pas à l’aise avec ce métier. Tout cela a duré plus de 3 ans, mais j’ai fini par me rendre compte que la société n’investissait pas à la hauteur de ses ambitions dans le premium. Par exemple, quand les nouveaux produits sont arrivés, les commerciaux ont trouvé que les prix de vente étaient trop élevés tout comme se sont établis sans me consulter des programmes de réduction de coût sur les produits que j’avais conçus. J’ai vu, de surcroît, que la marque travaillait toujours autant avec la grande distribution. Finalement, l’actionnaire s’est montré impatient, car les résultats économiques n’étaient pas au rendez-vous, et j’ai fini par partir fin 2024. C’est là que j’ai décidé de créer ma propre agence, Nocliché, spécialisée dans le design produit.
Quel est le positionnement de l’agence que vous venez de créer ?
N.B. Je veux défendre une certaine idée de la création du produit premium, du produit bien fait, face à des distributeurs qui vendent des produits jetables. On est trop dans du gaspillage systématique : je suis à l’inverse de cette démarche ou contre le faux produit écologique, par exemple à base de bambous et blindé de colle qui est tout sauf vertueux. Je suis évidemment très à l’aise dans les arts de la table, mais j’aimerais beaucoup revenir dans le même temps à tout ce qui est outillage électroportatif, et même machine-outil, tant mon appétence pour le technique est grande. Pour mon premier projet, je travaille actuellement avec un artisan local sur des planches à découper. Ce sera une rémunération sous forme de royalties liées au volume de vente. Je vais d’autre part démarrer bientôt l’étude d’une chaise. Enfin, il est à noter que toutes ces années chez Peugeot Saveurs m’ont permis de me constituer un beau réseau dans les arts de la table que je vais solliciter pour proposer les services de Nocliché. Mon ambition de me doter de moyens 3D et d’embaucher quand l’activité va se développer.
Comment percevez-vous le design produit en France actuellement ?
N.B. Je pourrais être un peu pessimiste, car beaucoup d’entreprises françaises sont parties en Asie pour leurs produits finis. Et puis, entre les entreprises qui ont intégré des designers en interne et l’image du design, le contexte n’est pas simple. Le design est encore beaucoup appréhendé comme étant de la cosmétique, une façon de faire joli, avec beaucoup trop de références aux arts déco, au mobilier ou au luminaire. Le positionnement du design sur le produit français traditionnel est d’autre part beaucoup trop présent. je note aussi que les designers intégrés sont souvent sous la coupe du marketing, et ils ne peuvent pas toujours dire ce qu’ils pensent. On est encore beaucoup dans le “j’aime” ou “j’aime pas” avec cette tentation du marketing à vouloir mixer les propositions, et le designer doit suivre. Il y a aussi un problème de jeunisme dans le design français : un designer de 48 ans comme moi est perçu comme trop expérimenté, autrement dit trop vieux. Enfin, j’ai quelques doutes avec l’IA où je vois arriver des formateurs en AI qui se prétendent prompt designers et qui bafouent allégrement les droits d’auteur.
Un message pour terminer ?
N.B. Si le design ne peut pas tout faire tout seul, il est fortement fédérateur. Il faudrait donc une volonté politique pour que l’ambition de réindustrialisation prenne réellement en compte le design.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1358