Yumans : franc-parler

Simon Gomez, fondateur de Yumans, agence de conseil et de design spécialisé dans le numérique, nous présente son agence et nous fait part des défis auxquels fait face sa profession. 

Simon Gomez, pourriez-vous présenter ?
S.G. J’ai commencé par des études en marketing et j’ai ensuite travaillé dans des agences de publicité. J’ai ainsi travaillé dans un certain nombre d’implantations de Publicis, sans jamais passer par la case Paris, ce qui était parfaitement volontaire ! Chez Publicis, j’ai commencé par piloter des projets print et ensuite digitaux, domaine dans lequel j’étais à l’aise. De ce fait, j’ai récupéré mal de dossiers de ce type en pilotant notamment l’expérience utilisateur, les interfaces ainsi que les points d’interaction. Puis, j’ai suivi l’un des patrons de Publicis qui voulait s’orienter vers les services numériques et je l’ai accompagné dans la création de l’agence Exoskills. J’y suis resté deux ans et j’y ai apprécié l’esprit entrepreneurial qui y régnait. Cette agence s’était constitué un bon réseau de clients et on a pu intervenir pour des entreprises comme Quechua ou le CIC pour qui on a travaillé sur le projet CIC – Place de l’innovation en le dotant d’un parcours très élaboré. Ce côté de création de choses utiles m’a bien plus séduit que la publicité avec sa cohorte de présentations digitales éphémères. Les services et produits numériques sont plus durables et plus ancrés dans le quotidien des gens et j’ai donc voulu rester dans ces domaines. De Lyon je suis allé à Toulouse où j’ai croisé Capgemini pour qui j’ai travaillé trois ans et où j’ai découvert un tout un autre pan du design, à l’opposé de l’industrie créative : l’industrie technologique. J’y ai créé l’offre UX/UI avec une équipe qui est passée de trois à vingt personnes. En parallèle, je suis allé à la rencontre de l’industrie aéronautique. Ce fut un choc, car tout y était inversé par rapport à l’industrie créative. Ainsi, le design y avait très peu sa place quand je suis arrivé : il s’agissait au final de faire du graphisme ou des illustrations. J’y ai apporté des méthodes de création comme le design thinking. Enfin, avec deux collègues de Capgemini, je crée Humans, agence de conseil et de design spécialisé dans le numérique.

Quelles sont les caractéristiques de Yumans ?
S.G. Il s’agit de concevoir et designer des outils complexes numériques : plateformes Saas, logiciels métier ou sites internet avec une dimension servicielle, c’est-à-dire avec l’objectif de proposer un usage et une approche utiles dans la navigation, ce qui est beaucoup demandé dans le secteur public. Là, le site internet n’est plus un site vitrine, mais devient le nouvel accueil d’un certain nombre d’organismes. Notre approche se décline selon le triptyque moteur de recherche performant, menu accessible et entrée rapide vers des services qui peuvent évoluer en fonction des calendriers (rentrées des classes, etc.). On pourrait dire que l’on simplifie la complexité, ce qui nous permet de nous démarquer d’agences qui jouent seulement sur le graphisme ou l’émotion. Pour nous, l’expérience c’est la simplicité, l’usage et l’utilité. Et nous sommes d’autant plus à l’aise quand il y a des process métiers complexes. 

Comment travaillez-vous ?
S.G. On n’accompagne pas les problématiques situées en amont, on travaille sur un concept existant pour lequel il faut d’abord en digérer la complexité avec des experts métier qui ont tous des codes et des vocabulaires spécifiques, mais qui sont aussi sujets aux incohérences internes propres à toute organisation. Ensuite, on traduit le concept sous forme de schémas pour chacun des scénarios du parcours utilisateur. On entre alors dans la phase du maquettage fonctionnel – ergonomie, structure – en s’efforçant  de casser la logique Excel et en rapportant les bonnes pratiques du web, et notamment celles du BtoC. Nous effectuons également un gros travail d’évangélisation notamment auprès de groupes qui se décalent du marché ou auprès de nouveaux entrants qui doivent acquérir cette compétence numérique. Au contraire des start-up qui ont une connaissance affutée de notre domaine et avec lesquelles il faut être très réactifs. C’est un univers compliqué. D’autre part, l’enjeu de la marque est une composante essentielle dans la construction du produit numérique. Même un logiciel métier complexe doit exprimer une émotion et présenter une cohérence avec la marque, d’où beaucoup de réflexions sur comment mettre de la marque dans des outils complexes. On vient de l’industrie créative et on veut faire le pont entre cette industrie et l’industrie technologique. Notre enjeu est en quelque sorte de se positionner entre les deux industries pour utiliser le meilleur des deux mondes.

Comment voyez-vous évoluer Yumans ?
S.G. Nous n’avons pas d’objectif de forte croissance. Nous sommes quatre personnes et nous évoluons dans la région Occitanie. On se déplace beaucoup chez nos clients. On grossira un peu si on en a besoin, mais ce n’est pas un objectif en soi. De façon plus large, notre profession est récente et évolue en parallèle des évolutions technologiques. Il y a dix ans, on commençait tout juste à parler de l’UX design et c’était des ingénieurs qui créaient le design des solutions. Et ceux qui savaient faire étaient des graphistes avec une culture digitale ou des autodidactes comme moi. Du coup, beaucoup de gens se sont formés à nouveau pour aller vers l’industrie technologique, plus rémunératrice. On a aujourd’hui un gros réservoir de designers numérique ou de designer UX et donc beaucoup de profils disponibles : il y a plus de designers numérique que d’opportunités d’offres dans l’industrie technologique. Le risque est donc de voir se précariser le métier, notamment avec tous les diplômés qui sortent chaque année sur le marché. On est sans doute dans un nouveau cycle où les rapports de force se sont inversés au profit des entreprises. D’autre part, il y a le product management qui se structure et où les product managers ont désormais la charge de piloter la recherche utilisateur, les choix fonctionnels, la roadmap de la solution et les prises de décision en matière de design. Malheureusement, cette population de product managers n’a pas été formée au design au sens noble du terme. Je ne sais pas où tout cela va aller, mais il y a beaucoup de mouvements dans une discipline récente et il faut de toute façon aller très vite, notamment parce que de nouveaux outils  sortent en permanence sur le marché.

Un message pour terminer ?
S.G. Je suis absolument ravi – et très fier – d’être interviewé par Design fax, car nous, designers numérique, on se sent un peu isolés. On est donc très contents de se retrouver intégrés à l’écosystème du design.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1341