Thierry Mandon, directeur général de la Cité du design, s’exprimait à propos de la dernière Biennale Internationale Design Saint-Étienne.
Thierry Mandon, quels sont les points marquants de cette Biennale 2022 ?
T.M. Cette 12e édition est très attendue car elle fait suite à une édition annulée pour cause de Covid. D’autre part, elle se présente sous un format renouvelé. Sa thématique, Bifurcations, est dans le prolongement de celle de 2017 qui avait trait au travail et celle de 2019 qui interrogeait les questions environnementales et sociales, tant d’un point de vue individuel que collectif. On y avait présenté les grands changements à venir et l’on pressentait que les designers avaient la capacité de montrer comment se poser les bonnes questions, au bon moment. Bifurcations est née avant cette crise du Covid qui a accéléré l’importance de la question de la vie de l’individu et des collectifs : le rapport au travail, à l’autre, au domicile, au déplacement, etc. Ce qui me paraît intéressant est de mettre en valeur la façon dont le design aide nos sociétés à évoluer lorsque la nécessité s’en fait sentir.
Et les point clés de la programmation ?
T.M. Il y a d’abord les sept grandes expositions qui soulignent les dépendances dans lesquelles évoluent individus et collectifs, et les bifurcations possibles. Citons, par exemple, At Home qui insiste sur l’évolution de la sphère domestique, avec notamment la question de la parité et son influence sur la conception des lieux de vie, ou encore Maison Soustraire, centrée sur l’essentiel et la frugalité, où la designer Mathilde Pellé avait huit semaines pour retirer 2/3 de la matière des 112 objets d’un habitat, constituant ainsi une approche sur l’essentiel et l’émancipation de l’objet. Je pense aussi à Autofiction, réflexion sur l’univers de l’automobile où se combinent désir de mobilité et changement de notre rapport à la consommation ou à la possession. C’est tout cela Bifurcations : comment bifurquer alors que nous sommes très attachés aux objets. Citons également les axes spécifiques que nous avons voulu traiter, comme les grands changements dans le monde de l’éducation, les rapports entre le corps et l’objet, la production collective avec les questions des tiers-lieux et des données ouvertes ou encore l’Afrique qui est notre invitée internationale. Je rappelle que l’Afrique était présente lors de la toute première Biennale et que les designers africains font un boulot formidable actuellement sur ces questions de bifurcations.
Pourquoi avoir modifié le format de l’évènement ?
T.M. Nous souhaitons que cette édition attire le plus de public possible. C’est pour cela que nous passons d’une durée de quatre semaines à quatre mois. Cela demande des moyens différents mais aussi des conceptions différentes : il faut des animations en parallèle avec une importante programmation qui vise à faire de la Biennale pas seulement une offre d’expositions mais aussi une démonstration de la façon dont la société réfléchit sur ces sujets de la bifurcation, avec le déploiement, en particulier, de nombreuses manifestations régionales, gratuites et en accès libre. Et, bien sûr, nous nous appuyons sur la mobilisation active de tous les acteurs régionaux du territoire. Et nous n’oublions évidemment pas les entreprises à qui nous consacrons une semaine spécifique. De façon générale, cette Biennale ne vise pas obligatoirement à être solutionniste mais à permettre de se poser les bonnes questions lorsqu’il devient nécessaire de changer de vie. En toile de fond, ce qui m’intéresse c’est un design exigeant mais qui soit le plus accessible possible : je suis contre un design de niche réservé seulement à quelques-uns. D’autre part, le design doit comporter une dimension festive, de plaisir, d’où la variété de programmation.
Autre sujet, êtes-vous toujours aussi impliqué dans le design management territorial ?
T.M. Oui absolument. Deux exemples : d’abord avec le design actif qui consiste à aménager l’espace public et les bâtiments afin d’inciter à l’activité physique ou sportive ainsi qu’aux mobilités actives. En détournant les espaces et les équipements publics pour favoriser la circulation pédestre et la libre activité physique, il permet de contribuer à la lutte contre la sédentarité ou l’obésité. La Cité du design et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ndlr : ANCT) ont signé une convention de partenariat dont l’objet est d’accompagner le développement du design actif en France, ce qui s’inscrit dans le cadre du programme national Action Cœur de Ville. Notre objectif est d’accompagner 100 villes labellisées Terre de Jeux 2024 en perspective des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024. 15 projets de design actif seront d’ailleurs présentés lors de la Biennale ; ensuite, concernant le design management territorial, nous avons lancé en septembre 2021 la première session d’une formation en design management des politiques publiques afin former les futurs design managers en la matière.
Deux mots sur le Conseil National du Design ?
T.M. Comme vous le savez, le Conseil National du Design (CNDes) s’est doté d’une présidence (ndlr : voir l’interview de Sandra Rey dans le Df 1219). On a besoin de ce type de structure. Une première session de travail a eu lieu semaine dernière. Laissons au Conseil National du Design le temps d’élaborer sa feuille de route.
Un message pour terminer ?
T.M. La communauté du design n’a jamais été aussi forte pour apporter des éléments originaux dans une optique de compétitivité à la française. Quand je regarde l’Italie qui est en situation d’excédent commercial et les difficultés de la France en la matière, j’estime que ce différentiel est largement dû au fait qu’en Italie le design est très partagé par les entreprises alors qu’en France, il l’est beaucoup trop peu. Si modestement la Biennale peut contribuer à montrer combien le rôle du design est important pour la performance des entreprises, eh bien, on n’aura pas perdu notre temps.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1231