D’importants changements ont eu lieu au sein de l’agence Dragon Rouge. Renaud Deschamps, le CEO, et Kheireddine Sidhoum, le chief creative office, nous en disent plus.
Renaud Deschamps et Kheireddine Sidhoum : que se passe-t-il chez Dragon Rouge ?
R.D. Les deux fondateurs, Pierre Cazaux et Patrick Veyssiere, ont décidé de se tourner vers d’autres horizons. Ils ont donc enclenché un processus de transmission avec la volonté de maintenir la pérennité et l’indépendance de l’agence tout en consolidant l’équipe dirigeante en place. Cette opération vient de se boucler via un MBO (ndlr : soit Management Buy Out, opération de reprise totale ou partielle d’une entreprise par ses cadres dirigeants) avec l’aide du fonds d’investissement français Ciclad, expérimenté dans ce type de reprise. Ce MBO a permis à 10 managers – et donc les patrons de pays –, ainsi que Kheireddine et moi, de détenir une part non négligeable du capital, même si, pour ce qui me concerne, j’étais déjà devenu actionnaire à mon arrivée en 2018. Petite précision : Pierre Cazaux, au vu du projet et de la solidité de l’équipe dirigeante, a décidé de réinvestir, ce qui est très encourageant !
K.S. Ce qui est intéressant chez Dragon Rouge, c’est que, dès le départ, les deux fondateurs avaient opté pour une direction bicéphale, avec d’un côté la création et de l’autre le business. On veut absolument garder cet équilibre, et par conséquent, je me positionne comme co-dirigeant et garant de l’excellence créative. D’autre part, notre volonté, Renaud et moi, est de dupliquer ce fonctionnement bicéphale dans chacun des pays où nous sommes présents. Je veux également souligner l’importance que constitue le fait que tous les managers ont pu acquérir des actions : c’est toujours beaucoup plus agréable et motivant d’être partie prenante de son business !
Quelle est votre analyse de Dragon Rouge ?
R.D. Autant Kheireddine qui est là depuis huit ans, que moi depuis quatre ans, avons bien pris le temps d’analyser le fonctionnement de Dragon Rouge, de nous y immerger et de commencer à travailler à son évolution. Un premier constat, à mon arrivée : Dragon Rouge était une agence bien établie à travers le monde avec un pied dans chaque continent. Agence internationale, certes, mais pas globale pour autant. En effet, nous n’étions pas tous alignés – je parle de nos différentes filiales – avec des process parfois différents, ce qui freine l’agilité, notamment auprès des clients mondiaux. D’autre part, il convient de mentionner ce côté très émotionnel chez Dragon Rouge ainsi que la proximité des managers. Il y a un fort esprit familial auquel nous tenons beaucoup. D’ailleurs, j’ai tout de suite été frappé par ce que j’appelle « l’esprit Dragon » qui prend tout son sens quand on travaille chez nous. À tel point, qu’à compétence égale, lors des embauches, on privilégie cet esprit Dragon.
K.S. On a de vraies structures dans chacun des pays où nous sommes présents, raison pour laquelle on offre des niveaux identiques de qualité – ce qui n’est pas toujours le cas avec des partenariats ou des bureaux de représentation. Les patrons de pays sont dans un écosystème particulièrement resserré et échangent en permanence sur de nombreux sujets, et notamment pour tout ce qui concerne nos clients. Et puis, nous avons un fort esprit entrepreneurial : on encourage l’initiative et on laisse beaucoup de liberté – la liberté de croître et de créer sa propre histoire. C’est une posture assez unique, ce qui fait que l’on ressent rapidement chez les personnes que l’on recrute le côté entrepreneurial et indépendant. Et c’est une bonne chose car nous avons besoin d’être challengés par des challengers. Et puis, à cette culture entrepreneuriale nous associons une grande bienveillance, c’est-à-dire que nous ne reprochons pas les échecs – aléas inévitables lorsque l’on entreprend.
Comment vous préparez-vous à cette guerre des talents dont parlent d’autres agences ?
R.D. En premier lieu, notre marque employeur se doit d’être irréprochable – nous y veillons. Ensuite, du fait de sa notoriété et de son historique, Dragon Rouge sait attirer naturellement les talents. Nous sommes une agence de référence. Beaucoup de curriculum vitæ nous parviennent de partout, tous les jours. Ensuite, et cela participe de notre marque employeur, on travaille beaucoup au travers le monde sur la mise en place de programmes de développement de nos talents pour les faire grandir dans cet environnement de challenge et de bienveillance dont je vous parlais.
Comment voyez-vous évoluer vos métiers ?
K.S. On parle de plus en plus d’expérience de marque : je dois dire que cette posture, nous l’avons intégrée depuis longtemps. Nous sommes à la base des designers d’expérience. Il donc est important – et ce le sera de plus en plus – que nous soyons en mesure d’apporter de réels bénéfices aux marques pour qui nous travaillons, tant d’un point de vue émotionnel que fonctionnel : on se rappelle toujours ce qui nous a touché et ce qui nous a été utile, ce qui ne doit surtout pas nous faire oublier qu’à la fin il doit y avoir un bénéfice commercial pour le client. L’expérience de marque relève d’une démarche globale. On n’est pas sur des silos mais sur une approche transversale qui vise à positionner la marque là où elle doit être pour qu’elle délivre le bon message aux publics cibles. Pour moi, pas de frontière entre métavers et réalité : la marque doit être universelle. Nous sommes une profession capable de changer le monde, mais tout le monde n’est pas encore conscient de ce que nous pouvons apporter en matière de réflexion et de concepts. Nos métiers disposent de beaucoup de leviers au service de la transformation des marques. Et puis, pour moi, tout est design finalement : quand je réfléchis à une problématique je pense design – je ne me dis pas, là je pense stratégie, là je pense branding. Je suis dans une approche globale qui est bien celle du designer. C’est une fois que la réflexion est achevée que l’on peut se poser la question du comment. De toute façon, il n’y a pas de bonne création sans bonne stratégie : sinon on perd son temps. Enfin, je suis bien incapable de différencier la stratégie « tout court » de la stratégie de marque : quels que soient les éléments que l’on touche, on impacte toujours à la fois la marque et le business.
R.D. À telle enseigne que lorsque que l’on regarde la population que l’on recrute, il y a un équilibre entre profils business et créatifs. Tous ces acteurs travaillent ensemble, on ne séquence pas.
Comment sera Dragon Rouge dans dix ans ?
R.D. Aujourd’hui, Dragon Rouge ce sont 250 personnes réparties sur huit pays. En 2021 on va réaliser un chiffre d’affaires de 27 millions d’euros pour un résultat net de l’ordre de 8 %. Cela fait de nous l’agence française indépendante la plus internationale. Quand on regarde l’évolution de notre activité, la France représente aujourd’hui 40 % du chiffre d’affaires, contre 60 % lorsque je suis arrivé. Cela signifie que l’activité internationale s’est accrue. Cela dit, nous avons encore des poches de croissance importantes en Asie et en Amérique du Nord. C’est pour cela que nous devrions doubler de taille dans les dix ans qui viennent – et peut-être au-delà. Disons qu’il ne serait pas déraisonnable d’atteindre les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2032.
Un message pour terminer ?
R.D. Le monde du design n’est pas assez visible par les entreprises. Elles ne connaissent pas vraiment notre métier – je parle, bien sûr, des entreprises « classiques » de l’industrie et des services. L’un de nos grands challenges est donc de faire connaître le pouvoir du design et des marques car beaucoup d’entreprises sous-estiment la faculté qu’elles ont de faire bouger leur marque. Il faut que l’on soit en mesure de mieux leur faire savoir.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1221