Arnaud Dubreuil, manager du pôle Design et Emballage chez Sodebo, nous permet de mieux comprendre comment le design s’appréhende dans le secteur de l’agroalimentaire, et en particulier dans son entreprise.
Arnaud Dubreuil, pourriez-vous vous présenter ?
A.D. Au préalable, je précise que mon enfance a été baignée dans un milieu à la fois artistique et d’ingénieur. C’est donc tout naturellement que je me suis tourné vers le design. J’ai obtenu un Master en design industriel à Strate École de Design en 2001. Lorsque j’étais en 4° année, j’ai eu la chance d’aller à l’École de design et architecture d’Oslo où j’ai découvert la culture scandinave du design, ce qui m’a beaucoup intéressé. À tel point que, diplôme en poche, j’ai décidé de partir au Danemark pour mon premier job ! J’ai rejoint les équipes design du Groupe LEGO, où il n’y avait que quatre ou cinq designers français à l’époque. Je suis resté 11 ans chez LEGO et je dois dire que j’y ai particulièrement apprécié la culture d’entreprise, le processus d’innovation, le bien-être au travail et l’ouverture internationale. J’ai d’abord travaillé pendant cinq ans sur une nouvelle gamme de figurines destinées aux filles – aujourd’hui la troisième référence commerciale chez LEGO. Puis, je suis allé chez LEGO Licensing comme design manager afin de concevoir des produits « hors jouets » avec comme objectif de stimuler la créativité des petits et grands. Là, j’ai pu interagir avec des entreprises comme IKEA, Warner Bros ou Moleskine. Pour des raisons familiales, j’ai décidé en 2018 de revenir en France. J’ai alors intégré Sodebo comme designer produit en rejoignant les équipes de Nicolas Legendre. Quelques mois après, je suis devenu design manager Chez Sodebo, j’apprécie ce côté familial et indépendant, avec des valeurs fortes, proches de ce que j’ai pu connaître chez LEGO.
Quelle votre fonction chez Sodebo et comment travaillez-vous ?
A.D. Je suis manager du pôle Design et Emballage (D&E) au sein de la R&D, l’équipe design ayant fusionné avec l’équipe Techno Emballage. Je manage une équipe de sept personnes, avec des profils créatifs et techniques, dont la mission est de proposer de nouvelles solutions d’emballage, c’est-à-dire, en fait, de nouvelles expériences de consommation. Nous allons de la conception jusqu’à la mise en marché – en précisant qu’il y a une vraie collaboration entre les différents métiers lors de la création d’un produit : l’équipe D&E travaille le contenant en intégrant les notions d’usages, ce qui peut inspirer l’équipe culinaire qui travaille le contenu. Récemment, un troisième métier a rejoint l’équipe, celui de chargé de fabrication dont le rôle est de faire le lien entre les graphistes et l’ensemble de la chaîne d’impression. En synthèse, on couvre toute la boucle, de la création à l’industrialisation, en passant par l’amélioration continue. Nous avons la particularité chez Sodebo d’être tous regroupés – soit 2 500 personnes – sur un seul et même site à Saint-Georges de Montaigu, en Vendée. Autre particularité, dans l’agroalimentaire il est assez rare de trouver des designers intégrés ainsi qu’un Design Lab comme c’est le cas chez nous.
Vos objectifs et challenges en matière de design chez Sodebo ?
A.D. Dans le cadre de notre démarche d’amélioration continue, nous travaillons au quotidien pour réduire l’impact environnemental de nos emballages. Nous essayons d’amener une nouvelle réflexion sur les modes de consommation, pour donner naissance à une toute nouvelle chaîne de valeur. Demain, on consommera différemment, ce qui donnera lieu à de nouvelles expériences de consommation, comme par exemple des emballages réemployables ou pour lesquels une fin de vie mieux gérée autorisera la recyclabilité. Les aspects spécifiques de mon métier de designer dans l’agroalimentaires sont étroitement liés aux contraintes techniques, économiques, alimentaires et sanitaires très strictes du secteur qui ne doivent surtout pas empêcher l’innovation. Par exemple, nous avons réussi à réduire l’épaisseur de nos emballages ou à utiliser davantage de matériaux recyclés et recyclables. Nous avons également développé de nouveaux usages que je ne peux pas encore vous dévoiler.
Votre vision du design français et du design en général ?
A.D. Comme cela fait un peu moins de trois ans que je suis rentré en France, je vais plutôt vous donner mon avis vu de l’extérieur. Clairement, le design français est très bien reconnu dans les pays scandinaves, du fait notamment de notre excellent niveau de formation académique ainsi que de caractéristiques propres au designer français – bonne approche créative, maîtrise du processus d’innovation, sensibilité esthétique et fonctionnelle ainsi que rigueur méthodologique. Et nous avons ce côté un peu rebelle qui nous fait souvent remettre en cause des fait établis : nous sommes très challenging et cela est apprécié. D’autre part, il y a une évolution des modes de consommation avec une mutation de la société qui passe du tout jetable à un modèle économique plus circulaire. C’est un changement en profondeur, et en particulier pour les designers. Le design doit contribuer à repenser nos produits et services pour tendre vers des modes de consommation et de production plus durables et plus respectueux de l’environnement. L’économie de fonctionnalité est pour moi très inspirante pour combattre l’obsolescence programmée. Le design passe de la « simple » création de produits à la proposition globale de solutions, services et expériences d’usages en mettant toujours le consommateur au cœur de la démarche design. Et puis, le design français a beaucoup à jouer avec le made in France, surtout actuellement avec les mouvements de relocalisation que nous connaissons.
Un message pour terminer ?
A.D. Vous l’avez compris, je suis persuadé que le design a de beaux jours devant lui dans ce cycle de mutation des modes de consommation et que de nouveaux terrains de jeux s’ouvrent aux designers. Enfin, et c’est mon expérience hors de France qui parle, je voudrais inciter tout designer qui en a l’opportunité à aller à l’étranger, ce qui lui permettra d’élargir rapidement son champ de vision. Et également, de tellement mieux apprécier la qualité du design français lorsqu’il reviendra en France !
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1209