Guillaume Foissac, responsable chez EDF du Département Design au sein de la Direction Innovation nous parle avec franchise de son métier et de sa vision du design.
Guillaume Foissac, pourriez-vous vous présenter ? G.F. Je suis ce que l’on peut appeler un pur produit de l’enseignement français ! En effet, après avoir obtenu un BTS en architecture d’intérieur à l’École Boulle, j’ai suivi le Master 2 design et arts appliqués à l’Ensci. J’ai ensuite effectué un stage au Japon qui m’a beaucoup marqué et j’ai directement intégré le milieu de la recherche en rejoignant Air Liquide comme designer, pour travailler sur des projets concernant la pile à combustible. Enfin, en 2006, j’ai postulé chez EDF, entreprise à laquelle je suis fidèle.
Quelle votre fonction chez EDF ?
G.F. Je suis responsable du Département Design au sein de la Direction Innovation du Groupe. C’est une jeune Direction qui a réuni des experts de profils très divers dans le but d’insuffler une forte dynamique en matière d’innovation afin de contribuer à orienter au mieux EDF dans les années futures. Le design est un peu le poil à gratter du Groupe. Et c’est un rôle important puisque nous nous positionnons comme un acteur en mesure d’ouvrir des champs stratégiques utiles et souhaitables. D’ailleurs, notre base line à la Direction Innovation est « Bienvenue dans le monde des possibles » : cela montre bien notre détermination à ouvrir toutes les pistes. C’est passionnant, mais demande dans le même temps beaucoup de passion et d’investissement. Le cheminement du design au sein d’EDF n’a pas été chose aisée. Lorsque que je suis arrivé dans le Groupe en 2006, le design était intégré à la R&D où l’on se questionnait beaucoup sur son utilité. On pourrait presque dire que le design était perçu avec une certaine hostilité. Mais cette bataille pour légitimer et valoriser le design – et notamment en démontrant qu’il sait répondre efficacement à des besoins complexes et à des contraintes d’usage et aussi qu’il peut contribuer au processus de transformation du Groupe – nous a permis de l’installer sur des bases solides. Nous ne sommes donc pas un « design intégré » mais un « design infiltré » !
Comment travaillez-vous ?
G.F. Mon équipe comprend 20 personnes, composée majoritairement de designers – mais aussi d’ingénieurs et de développeurs. Nous avons à disposition un laboratoire de 500 m² dans lequel se trouvent tous les moyens et outils nécessaires à notre pratique du design, c’est-à-dire que nous sommes en capacité d’aller très vite entre les étapes de conception et de fabrication. Nous sommes sur un rythme de réalisation très soutenu et avons à ce jour déposé une quinzaine de brevets. Notre objectif est de privilégier le démonstrateur, notamment sur des problématiques en lien avec les aspects énergétiques, environnementaux ou sociétaux d’un futur décarboné : énergie propre, place de l’énergie au sein du foyer, accompagnement des populations à la transition énergétique, pilotage et gestion de l’énergie, principe de transmission de l’information – et notamment de ce que nous appelons l’interstice informationnel –, diminution de la précarité énergétique ou encore les moyens d’une économie énergétique maximale. Et aussi, don d’énergie, énergies renouvelables ou autoconsommation. De ce fait, nous nous sommes dotés d’outils de nature industrielle (prototypage rapide) afin de produire des innovations en nombre nécessaire pour pouvoir les tester en conditions réelles. J’ajoute à cela notre capacité à développer des cartes électroniques en propre. Bref, nous avons intégré 90 % de la chaîne de valeur de nos livrables, en nous appuyant en particulier sur un écosystème interne de grande qualité. Évidemment, tous ces moyens et outils dont nous disposons coûtent chers et nous avons une grosse responsabilité économique : nous visons l’équilibre financier à l’échelle d’EDF – c’est-à-dire que notre contribution en matière d’innovation doit relever d’une vraie proposition de valeur pour le Groupe.
Quelle est la spécificité du design made in EDF ?
G.F. C’est d’abord sa capacité à poser ses propres questions. Autrement dit, nous avons aujourd’hui une confiance acquise qui nous permet de questionner des champs d’ordre stratégique, puis de solliciter des collègues issus d’autres Directions ou filiales pour travailler ensemble sur une thématique donnée. Le design chez EDF est un catalyseur de réflexion et de recherche. On en est à un stade d’un design qui est quasiment un donneur d’ordres interne. Cette réalité est aussi liée au fait que nous entrons dans un moment particulier de l’histoire, avec une obligation d’arriver à la neutralité carbone, et que dans ce contexte on se doit d’embarquer tout le monde. Le design a une responsabilité importante pour que le citoyen puisse s’approprier utilement et efficacement la transition énergétique. Et la réponse ne pouvant être uniquement d’ordre sociologique, on utilisera le design pour que l’appropriation se fasse dans les meilleures conditions. Disons en synthèse que chez EDF le design relève d’une approche systémique qui sait prendre en compte l’ensemble des composantes d’une problématique donnée.
Quels sont vos principaux objectifs en matière de design chez EDF ?
G.F. Que le design soit vraiment un instrument stratégique fort et contribue à prioriser les enjeux clés. On se doit de proposer des pistes fortes d’innovation et les importer au plus haut de l’entreprise.
Votre vision du design français ?
G.F. En étant un peu critique, je dirai qu’il y a une culture de la recherche par le design qui est très faible en France. Le métier que je pratique est encore trop méconnu et pas assez valorisé. C’est trop sous-marin et très balbutiant, alors la culture anglo-saxonne a bien intégré le couple design-recherche. J’ai quand même bon espoir car la faculté du design français à systématiquement questionner une problématique est structurelle. Par contre, la structuration du design français pour rayonner, notamment à l’international, est très insuffisante. De l’étranger, on ne voit pas et on n’entend pas le design français. D’autre part, il y a une séparation inquiétante entre designers théoriciens et designers praticiens. Ce n’est pas possible : il n’y a pas ceux qui pensent d’un côté et ceux qui font de l’autre. Ceux qui parlent du design doivent être des praticiens mais ces praticiens doivent aussi se forcer à développer une pensée et à la valoriser. Chez EDF, par exemple, nous sommes très maillés avec l’université. Et puis, si le design français a cette vraie capacité à faire astucieux et malin, cela adresse trop souvent des problématiques un peu légères. Il faut que le design français se tourne en priorité vers des questions d’intérêt général, terrain insuffisamment exploité.
Un message pour terminer ?
G.F. Je défends beaucoup un design à la croisée de plusieurs formations : design, ingénierie, développement, arts. Tout reste à construire, même si certaines écoles commencent à proposer des doubles formations. Les profils dotés de formations qui n’ont pas forcément de liens entre elles sont souvent les plus intéressants. La synthèse ultime me paraît être une formation qui combine design, sciences dures et molles et maîtrise artistique.
Article précédemment paru dans le Design fax 1208