À l’occasion de l’obtention du label B Corp par Team Créatif, Sabine Keinborg, CEO de Shortlinks et pilote programme RSE chez Team Créatif, ainsi que Aurélia Cocheteux et Édouard Provenzani, respectivement DG et président de Pixelis, l’une des entreprises pionnières du B Corp en France, nous parlent du B Corp.
Sabine Keinborg, Édouard Provenzani, Aurélia Cocheteux pourquoi se faire labelliser B Corp ?
S.K. Les raisons varient mais, chez nous, le design est d’abord destiné aux gens. En d’autres termes, ce qui nous intéresse ce n’est pas de faire de l’art mais de promouvoir la dimension humaniste du design. Concrètement, cela passe par exemple par des emballages pratiques ou ergonomiques. C’est aussi le fait d’avoir en permanence le souci de l’autre et de ses besoins. Je pourrais même dire que nous avons toujours été B Corp dans l’esprit et très au cœur des usages dans le secteur dans lequel nous agissons qui est celui de la grande consommation. Pour en revenir au label B Corp, on l’a retenu parmi d’autres car son mindset se concilie bien avec nos valeurs à la fois business et humanistes. De surcroît, il s’agit d’une démarche très structurante vers la RSE : on voit bien ce que l’on peut faire, ce que l’on doit faire.
E.P. Tout à fait d’accord. Je précise à toutes fins utiles qu’il est une labellisation pour l’entreprise, pour les entrepreneurs. En 2015, on se posait la question de notre raison d’être, de la façon de l’exprimer, de ce que l’on voulait apporter, de comment on voulait le faire. Notre expertise c’est le branding et on veut le faire bien. La démarche B Corp nous a permis à la fois de donner du sens et de se mettre dans l’action. Elle nous a permis de préciser notre positionnement, de formuler notre offre, de définir et de prioriser nos actions, de fédérer les équipes en interne et, in fine, de valoriser notre démarche d’entreprise responsable, transparente sur ses engagements. Cela conduit à dire clairement quels objectifs l’on poursuit et puis, également, à démontrer qu’une entreprise de service est elle aussi en mesure de contribuer à l’intérêt général. Nous sommes une entreprise engagée, qui de surcroît fonctionne sur les mêmes objectifs que les autres entreprises labellisées. Le B Corp est une démarche ou l’on s’évalue, où l’on progresse. C’est aussi un moyen d’affirmer concrètement ses actions d’engagement à travers un système de notation – où, pour ce qui nous concerne, on est passé d’un score de 86 points au départ à plus de 100 points aujourd’hui.
A.C. Avec le B Corp, nous ne sommes pas dans une approche « classique » de type RSE mais dans une nouvelle façon de créer de la valeur. Le processus B Corp permet d’identifier des zones où l’entreprise peut s’améliorer mais aussi de développer de nouvelles offres. C’est une véritable démarche d’entreprise qui combine éthique et performance.
S.K. Il y a eu gros travail de fait chez Pixelis en termes de positionnement. Vous étiez précurseurs et je pense que vous avez pu attirer beaucoup de nouveaux clients grâce au B Corp. Pour ce qui concerne Team Créatif, il était temps que notre fonctionnement s’aligne formellement avec nos valeurs. Et puis, nous vivons aujourd’hui une période de transition où il est plus facile d’accompagner nos clients vers davantage d’éthique. Ils sont d’ailleurs demandeurs : on a pu le constater lors du salon Produrable où l’appétence des annonceurs pour tout ce qui touche à l’éthique était palpable. Ajoutons que dans une approche B Corp, l’intentionnalité est clé. Je veux dire par là que le business model et l’offre de nos agences doivent nous placer dans une démarche de progrès – éco-design, etc. – pour faire évoluer l’industrie. Notre filière doit apporter ses fondamentaux à l’économie de demain.
Quels changements en matière de stratégie, de projets, de développement pour les agences ?
S.K. Je n’oppose certainement pas générosité à rentabilité. Le B Corp est un modèle américain qui prend en compte à la fois bien-être et progrès. En d’autres termes, Il faut que nous puissions réconcilier RSE, business, éthique et profit. Il est impératif que se lissent les oppositions entre le lucratif et non lucratif au profit du concept de la performance globale en matière d’impact. Et chez Team Créatif, nous sommes très volontaristes sur le sujet. On est dans cette dynamique et l’objectif est de rendre les marques et leurs systèmes de valeurs toujours plus honnêtes, saines et vertueuses.
A.C. S’il y bien a un terme qui nous est cher, c’est celui d’écosystème. On a constitué un réseau d’experts labellisés B Corp grâce auquel on peut proposer un large panel de compétences ou répondre de façon groupée à des appels d’offres. C’est une façon différente de faire du business, moins compétitive, davantage partenariale. Point important, on ne vise plus la croissance pour la croissance mais la performance économique au service de l’impact positif. Le but n’est pas faire de l’argent pour de l’argent mais de proposer des réponses satisfaisantes pour l’ensemble des parties prenantes.
E.P. Le B Corp avec ses 200 questions et ses indicateurs permet de se placer dans l’action. Et le résultat est vraiment intéressant : l’on passe d’une logique individuelle à une logique de collaboration, d’une logique de concurrence à une logique de partenariat. N’oublions pas que le « B » de B Corp correspond au terme « benefit », c’est-à-dire la redistribution de la valeur. Je souligne que Pixelis est une agence indépendante avec un modèle qui lui est propre, qui veut sortir du monde de la compétition traditionnelle parce qu’il représente une charge considérable – il faut savoir que le principal coût de fonctionnement d’une agence comme la nôtre c’est la compétition perdue. Alors, évidemment, nous avons un positionnement particulier, un écosystème spécifique et, surtout, une volonté d’apporter à nos clients notre compréhension du monde de demain. Nous sommes des change-makers.
S.K. On sort d’une période constituée de beaucoup de verticalités. Le B Corp apporte vraiment quelque chose de plus doux, de bienveillant et en même temps de très bien huilé. Il y a quelque chose de l’ordre de la gentillesse, de la fraternité. Il y a des valeurs communes, on est « Bee » (ndlr : cf. la prononciation de la lettre « B » de B Corp et celle du mot « bee », l’abeille) avec un côté poétique et métaphorique. C’est dire que le monde du design et de la communication vivent une ère de transition rafraîchissante.
Peut-on dresser un premier bilan ?
E.P. On est évidemment très fiers de faire partie des entreprises pionnières en France. On est des modèles qui plaçons l’impact au cœur de nos modèles économiques et toutes nos décisions sont prises en fonction de l’impact climat. Et cela va jusqu’à refuser de travailler avec certains clients si on est en désaccord sur une question d’éthique. A contrario, il y a de plus en plus de clients qui viennent chez nous parce que justement nous sommes B Corp. Danone, par exemple, cherche des agences B Corp. D’autre part, ce qui me plaît chez B Corp, c’est que le questionnaire change tous les deux ans, ce n’est pas figé. Enfin, et c’est important, cette démarche B Corp nous a conduit à devenir entreprise à mission (ndlr : nouvelle forme d’entreprise qui, en plus du but lucratif, a statutairement une finalité d’ordre social ou environnemental), parce que, à un certain moment, l’entreprise a un rôle politique et que la marque doit s’engager.
S.K. On vient d’être labellisé B Corp mais on n’a pas attendu d’avoir la labellisation pour changer. Les actes forment les idées et on était dans déjà dans ce cheminement. Le monde a besoin de créatifs et c’est qui nous différencie des consultant RSE. Nous avons le goût d’être bien dans un monde qui se transforme et notre créativité est l’une des clés de ce principe. Le design permet de rendre ces sujets plus abordables, plus faciles. On veut être des facilitateurs, on veut encourager. L’expérience globale doit être agréable pour le consommateur et c’est ce qui nous anime aujourd’hui. On peut utiliser nos facultés de designers pour aider au changement. Il faut faire en sorte que la frugalité soit une expérience durable, joyeuse et surtout pas être dans le moins-disant.
A.C. Je suis tout à fait en phase avec ce qui vient d’être dit. Tout reste à faire dans la réinvention du marketing et du design. Cela peut être vécu comme quelque chose de très contraignant mais c’est justement ce qu’il faut éviter. Il est nécessaire d’aborder la stratégie RSE au prisme de l’expérience consommateur pour apporter à la fois de l’éthique et de la valeur d’usage via de nouvelles propositions et expériences. C’est ce que nous sommes en train de faire chez Pixelis avec toute une série de contenus clés inédits.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1206