Rencontre avec Aurélien Fouquet, président de Santos, leader mondial du presse-agrumes professionnel, adepte d’un design « non périmable ».
Aurélien Fouquet, pouvez-vous nous présenter Santos ?
La société Santos a été créée en 1954 par mon grand-père André Fouquet, un passionné d’aviation et de moteurs électriques. Son hobby était de motoriser tout ce qui pouvait l’être. Pour cela, il se servait des catalogues de vente par correspondance américains pour s’inspirer de ce qu’il pourrait proposer comme produits motorisés en France. C’est ainsi qu’il a lancé le premier moulin électrique sur une base de moulin à manivelle Peugeot, en utilisant un moteur asynchrone (ndlr : un moteur asynchrone, ou moteur à induction en anglais, est un moteur à courant alternatif sans connexion entre le stator et le rotor, ce qui lui confère une grande résistance et longévité). Quand la société SEB a pris le parti de se positionner sur le marché du particulier, Santos a décidé de prendre pied sur le marché du professionnel. Et lorsque SEB a développé des produits en utilisant massivement l’injection plastique, Santos est parti sur la fonderie d’aluminium. C’est avec cette double expertise du moteur asynchrone et de la fonderie d’aluminium qu’ont été lancés divers nouveaux produits : moulins à café, bien sûr, mais aussi des râpes à fromage commercialisées en 1954 et qui existent toujours. Ensuite, on a conçu des appareils combinés, c’est-à-dire que plusieurs accessoires pouvaient se connecter sur un même moteur. Dans les années 1960, nous avons lancé les presse-agrumes, ou plus exactement le presse-citron. L’idée était de pouvoir prendre un jus de citron dans son bistrot de quartier pour effacer les excès de la veille ! Pour l’anecdote, tous nos produits ont un numéro, le numéro 1 étant logiquement le plus ancien. Les numéros 10 et 11, lancés dans les années 1960, sont des presse-agrumes avec et sans levier, avec leur design si caractéristique, et sont toujours vendus à plusieurs milliers d’exemplaires chaque année. Ils sont exportés dans 130 pays et nous permettent de revendiquer la première place mondiale dans le segment du presse-agrumes professionnel.
Vos produits n’évoluent donc jamais ?
En fait si, et en permanence. Même si pour beaucoup d’entre eux l’aspect paraît inchangé, nous réalisons en permanence des efforts importants sur la qualité perçue (peinture, finition, bruit). Par exemple, pour abaisser le niveau sonore, nous avons monté le moteur sur silent bloc. Les interrupteurs ont évolué dans le souci du respect des normes et d’une meilleure ergonomie. Il faut savoir que nos appareils sont extrêmement sollicités et en dépit de cela ont une durée de vie quasiment illimitée – et c’est toute la différence avec les produits grand public. Nous sommes dans le concept de la « non obsolescence » : quand on conçoit un produit c’est pour les trente ans à venir. Comme vous le savez, nous sommes tenus en tant que fabricant à récupérer les appareils en fin de vie. Eh bien, en ce qui nous concerne, nous ne récupérons quasiment rien car nos produits ont tous une seconde vie. C’est l’avantage, entre autres, du moteur asynchrone et de sa durée de vie théoriquement sans fin.
Que représente Santos en chiffres ?
Santos réalise un chiffre d’affaires 17,5 millions d’euros avec une cinquantaine de collaborateurs. Nous réalisons 75 % de notre chiffre d’affaires à l’export et sommes évidemment très dépendants du CHR (ndlr : le terme CHR désigne le circuit spécifique des cafés, hôtels et restaurants). Le deuxième confinement a été très dur pour nos clients qui sont très tendus en trésorerie et je crains fortement les défaillances qui pourraient se produire en 2021. Nous avons la chance de vendre en Afrique, Moyen-Orient et Asie, ce qui fait que notre chiffre d’affaires n’a baissé « que » de 20 %.
Comment travaillez-vous ?
Santos a l’avantage d’être à Lyon, un bassin industriel fantastique. Comme tous nos moules nous appartiennent, nous faisons travailler fondeurs et plasturgistes locaux. Nous produisons 100 % en France et bénéficions du savoir-faire de sous-traitant experts. Ainsi, mon plasturgiste travaille beaucoup pour l’automobile et maîtrise de ce fait parfaitement bien l’injection bi-matière. Je regrette seulement la disparation en France de certains savoir-faire comme l’emboutissage profond, la finition ou encore la fabrication de moteurs électriques. Concernant notre expertise, tous les produits Santos sont développés et fabriqués dans notre atelier, à Lyon, et sont montés par des opérateurs responsables des appareils du début de leur production jusqu’au contrôle final que nous effectuons sur 100 % de la fabrication.
Et le design ?
On fait travailler des designers depuis toujours. Nous avons un bureau d’études intégré et avons en permanence deux designers extérieurs qui travaillent pour nous. On apprécie les designers dotés d’un profil technique leur permettant de travailler très en amont avec le bureau d’études. Par exemple, l’extracteur de jus Nutrisantos 65 a été conçu en collaboration avec le studio Evok (ndlr : Evok est une agence de design industriel et de communication, située près de Nancy, créée en 1997 par Sébastien Poirel). C’est un produit complexe, sur le principe de la pression à froid, donc lente, qui permet de conserver toutes les vitamines, afin de suivre la tendance liée à la consommation de jus de légumes et notamment le pressage de feuilles.
Quelle votre stratégie pour les années à venir ?
L’idée est de conserver nos fondamentaux : moteur asynchrone avec pilotage électronique et usage intensif de l’aluminium. Nous avons obtenu le label LONGTIME, ce qui constitue une reconnaissance de notre savoir-faire. LONGTIME est un label français qui a vocation à s’exporter et qui garantit le fait que nos appareils sont réparables à l’infini et non sujets à une obsolescence rapide. Nous sommes d’ailleurs étonnés de voir les retombées commerciales issues de ce label. Le grand public y est sensible et est prêt à acheter du matériel professionnel, même très cher, pour disposer d’une qualité irréprochable. Cela ne change pas mon ambition pour Santos qui est de rester résolument sur le marché du professionnel. Le segment de marché sur lequel nous allons le plus se développer est le bar, dans toutes ses dimensions. Et puis, nous voulons répondre aux nouvelles tendances de la restauration, comme la naturalité ou le retour aux valeurs d’antan. Songez que dorénavant, pour le concours international Bocuse d’or, il faut présenter une assiette 100 % végétale. Les chefs ont donc besoin d’outils comme les nôtres pour coller à cette tendance végétale, avec, par exemple, un Nutrisantos totalement dans la cible. Le seul frein est qu’une partie de notre clientèle est très résistante au changement. Dans le domaine professionnel, un produit est encore nouveau trois ans après son lancement, et c’est encore pire en Amérique du Nord !
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1180