Bildung : vive les indépendants !

Rencontre avec Isabelle Moisy-Cobti, co-fondatrice de Bildung, structure dont l’objet est de conseiller et valoriser la création indépendante.

Isabelle Moisy-Cobti, pouvez-vous présenter et présenter Bildung ?
I.M.C. Je viens du milieu de la direction artistique et du design et ai travaillé pendant neuf ans comme rédactrice en chef de la revue Étapes. Simon Descamps, mon associé, a travaillé une quinzaine d’années en agence de publicité comme responsable clientèle puis au planning stratégique. En 2016 nous avons fondé Bildung, structure consacrée à l’accompagnement et à la valorisation des créateurs indépendants. Nous sommes en effet parti du constat que les créateurs indépendants et petites structures de création maîtrisent généralement mal le business, la gestion et le côté entrepreneurial de leur activité, car ils se concentrent avant tout sur leur démarche créative. Nous sommes donc là pour les accompagner et les valoriser tout le long de leur carrière : Bildung est à la fois un agent, un cabinet de conseil et un organisme de formation. Plus largement, Bildung est un véritable écosystème : on apporte du soutien aux indépendants et aux petites structures et ils nous apportent des informations. 

Votre mode de fonctionnement et votre ambition ?
I.M.C. Nous travaillons en direct avec les indépendants et les petites structures, mais également avec les marques, les agences et les institutions pour lesquelles nous menons des missions de conseil afin de les aider à mieux collaborer avec les indépendants. Nous sommes une petite structure, constituée d’une entité conseil et d’une entité formation. Depuis notre création, plus de 150 indépendants ou entités créatives sont venus nous consulter et plus de 50 marques nous ont fait confiance. D’autre part, nous avons formé plus de 200 indépendants. À cinq ans, nous souhaitons consolider notre expertise de la création indépendante – ce qui inclue bien entendu les designers. Notre volonté est de toujours mieux connaître et anticiper les besoins des métiers de la création indépendante pour aider à la démarche de l’entrepreneuriat créatif. 

Pourquoi vous intéresser spécifiquement à la création indépendante ?
I.M.C. Deux tendances apparaissent nettement sur le marché : les grandes entreprises intègrent de plus en plus d’indépendants qui rejoignent en tant que salariés leur bureau de création – ce qui ne veut pas dire que ces entreprises ne font plus appel à de la création externe, bien au contraire –, et en parallèle, il y a de plus en plus de structures indépendantes qui se créent car les indépendants ont de moins en moins envie de rejoindre les agences de taille moyenne à grande. Ces mêmes agences, par ailleurs, vont embaucher de moins en moins de créateurs et feront de plus en plus appel aux indépendants en fonction des expertises spécifiques nécessaires le temps d’un projet. Ce double effet va accélérer la création de structures indépendantes de moins de cinq personnes  : freelances, petit studios, ateliers, etc. Tout cela représente déjà plusieurs millions de personnes et ce chiffre augmente exponentiellement. Pour ce qui concerne spécifiquement les designers, tous métiers confondus (graphisme, UX, objets, industriel, intérieur, etc.), j’estime qu’ils représentent environ 150 000 personnes.

Comment voyez-vous évoluer le design indépendant ?
I.M.C. Compte tenu que le design constitue de plus en plus une réponse à des besoins sociétaux et entrepreneuriaux, il me paraît logique qu’il y aura de plus en plus de structures indépendantes de design. Cela dit, il est très dur d’être designer indépendant aujourd’hui, car cela relève d’une économie précaire  : il faut que les entreprises et les grosses structures réinventent des modes de collaboration différents avec les designers indépendants, dans le but qu’ils puissent amener plus de sens à un projet d’entreprise, notamment en termes stratégique, d’organisation et de valeur d’usage. Mais les designers doivent également se renouveler de leur côté et diversifier leur pratique. Il est nécessaire qu’ils réinventent la manière d’exercer leur profession, qu’ils prennent en main leur façon de faire et imaginent de nouveaux modèles économiques. Bref, toujours indépendants mais moins dépendants de la volonté de leur client.

Que vous inspire les plateformes d’indépendants ?
I.M.C. C’est très bien pour diffuser les portfolios des freelances. Si pour un créateur qui joue avec son nom, ce n’est pas forcément une bonne chose, c’est excellent pour celui qui travaille en marque blanche car cela lui donne une visibilité maximale. Pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas du tout en concurrence avec ces plateformes. Nous y sommes mêmes favorables, dans la mesure ou les tarifs proposés sont cohérents : pas de dumping et pas de consommation de masse de freelances. Il faut un minimum d’éthique.

Votre vision de la création française ?
I.M.C. Il y a bien une spécificité française. Nous avons une culture très riche en matière d’arts décoratifs que nous retrouvons, par exemple, dans les métiers de l’illustration, de la typographie ou du design produit.

Un message pour terminer ?
I.M.C. Indépendants : structurez-vous, diversifiez-vous et n’hésitez pas à travailler avec le local, sans oublier l’ouverture internationale. Bref, donnez du sens à vos projets !

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1160