Design : les tendances du recrutement

Rencontre avec Antoinette Lemens, présidente de Lemens & Partners, cabinet spécialisé dans le recrutement des talents des secteurs du luxe, de la mode et du design, afin de faire le point spécifiquement sur le marché de l’emploi du design.

Anoinette Lemens, comment la crise sanitaire a-t-elle impacté le marché du recrutement des designers ?
A.L. Si la plupart des agences ont continué à travailler, les recrutements ont été mis en suspens. Les effets du Covid-19 impactent tous les secteurs, mais pas de façon identique et, logiquement, le secteur du retail est l’un des plus touchés.

Concrètement, comment cela va-t-il influer sur la demande en matière de profils de designers ?
A.L. Ce qui est marquant avec cette crise liée au Covid-19, ce sont les évolutions constatées dans la façon de consommer : on ne touche plus les produits (ce qui est un changement majeur dans le luxe), on respecte une distanciation sociale, etc. Cela va nécessairement influer sur les demandes en termes de profils de designers, puisque ces nouveaux rapports entre la marque et le consommateur devront être maîtrisés, et que de nouvelles voies créatives vont devoir être travaillées en conséquence. Sur un plus long terme, deux hypothèses : soit l’on revient à un fonctionnement d’avant crise, soit cette évolution de consommation est durable et nous verrons alors des spécialités devenir majeures dans les demandes – alimentation, maison, environnement, sécurité sanitaire, etc. Cela dit, et dans tous les cas, la RSE (ndlr : responsabilité sociale des entreprises) est une tendance de fond.

Comment sentez-vous le marché du recrutement à partir de maintenant ?
A.L. Côté agences, petites ou grosses, l’on sent une reprise à l’international. En France, c’est plus compliqué, notamment parce qu’avec les mesures de chômage partiel mises en œuvre, on ne peut pas penser recrutement instantanément. Cela étant, et en particulier à partir de septembre, le recrutement devrait reprendre, en premier lieu avec toutes les activités liées au digital. Mais ce n’est pas fait et à l’instant t, tout le monde attend et prend le temps d’analyser la situation selon différentes projections. Côté entreprises, le recrutement reprend, majoritairement du fait de structures situées hors France – et notamment en Asie (ndlr : pour mémoire, Lemens & Partners effectue 50 % de son chiffre d’affaires à l’international).

Les modalités de recrutement vont-elles évoluer ?
A.L. Le fait que les gens puissent maintenant bouger va évidemment faciliter les choses : on ne peut pas embaucher un candidat sans l’avoir vu physiquement. Un échange via Zoom n’est pas suffisant, sauf cas exceptionnel, c’est-à-dire quand le candidat est déjà connu des parties prenantes. Je tiens à dire que le recrutement restera toujours un acte intuitu personæ et que, même si un outil comme Zoom est très intéressant pour la présélection, les candidats shorlistés doivent impérativement être vus physiquement, à la fois par le recruteur et la structure qui a le poste à pourvoir. En rebondissant sur Zoom, je voudrais par ailleurs signaler que le confinement a modifié nos façons de travailler, selon deux aspects. En positif, l’on s’est aperçu que beaucoup de tâches pouvaient parfaitement être effectuées de chez soi, dans le respect des objectifs assignés. En négatif, le manque de réel lien social, c’est-à-dire de vraies réunions avec de vrais gens est pesant, voire contre-productif. C’est dire que le sujet du télétravail va être clairement intégré dans les définitions de postes et des profils correspondants, sachant qu’il va falloir trouver le bon mix entre présentiel et télétravail. Ce mix devra, point important, être quasiment personnalisé en fonction du poste et du profil. 

Quelles sont les tendances du recrutement ?
A.L. Un fait, tout d’abord : si un designer a la possibilité d’être salarié, il n’hésitera généralement pas. Cela ne veut pas dire que tous les freelances le sont par défaut, mais cela signifie qu’une partie d’entre eux le sont car qu’il n’ont pas trouvé un job de salarié. Cette situation bénéficie évidemment aux plateformes de créatifs (ndlr : de type Creads, cf. Df 1151), qui par nature utilisent beaucoup de freelances, notamment dans le domaine du design graphique. Ceci posé, il y a une tendance nette qui se dégage avec les entreprise, tous secteurs confondus, qui embauchent de plus en plus leurs designers afin de constituer des centres de design internes. Cela ne signifie pas, au contraire,  qu’elles arrêtent pour autant de travailler avec des agences extérieures, et avec d’excellentes  relations, puisque ce sont des designers qui parlent à des designers. Pour faire bref, la tendance est que le designer recherche de plus en plus un poste de salarié, mis à part celui qui a vocation à être freelance ou entrepreneur. 

Votre vision du design français ?
A.L. Honnêtement, pour moi, le terme design français, ne veut pas dire grand chose. Y-a-t-il un design français : je ne sais pas. Tout ce que je peux dire c’est que le design français est d’excellente qualité et reconnu mondialement. Dans mon activité, on me demande avant tout de trouver un bon designer, quelle que soit sa nationalité. Et si l’on me demande de trouver un designer français, c’est soit pour la maîtrise de la langue, soit pour sa connaissance du marché français. Je n’ai jamais de demandes du type « trouvez-moi un designer de telle ou telle nationalité ». Cela étant, j’ai des clients américains ou asiatiques qui veulent recruter des designers un peu partout dans le monde mais qui nous contactent, nous Français, pour trouver les bons designers. Autrement dit, ces clients font confiance à des professionnels français dans leur recherche de designers. C’est donc que la France jouit d’une bonne réputation, au moins dans nos secteurs !

Quelques mots pour terminer ?
A.L. Lorsque l’on m’appelle, l’on veut généralement rencontrer au moins cinq profils exceptionnels et retenir le meilleur. Je tiens à souligner que ce n’est pas nécessairement la bonne démarche. D’abord, un bon profil est très demandé et s’il n’est pas pris ici, il le sera là et, par conséquent, avoir trop attendu peut faire rater une opportunité. Ensuite, un coup de cœur pour un candidat, même si l’on en a vu qu’un seul, est un signal déterminant : embauchez-le ! 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1154