Le dernier fauteuil de Steelcase évoque le mot anglais pour soie. A raison : le siège s’adapte sans intervention mécanique à tous les corps. James Ludwig, vice-président Design global et ingénierie de Steelcase a mené toutes les recherches et présente son bébé. Interview.
Du suspense, il y en a eu pour le lancement de SILQ par Steelcase. James Ludwig, vice-président, design global et ingénierie du leader mondial de l’aménagement des espaces de travail est venu jusqu’en Europe dévoiler le design et quelques secrets de ce fauteuil, sa dernière création et futur produit iconique de la marque. Le 30 janvier, il le présentait en vidéo sur « Facebook live », cette application du réseau social qui autorise la diffusion en direct. Plus de 1300 spectateurs étaient présents, ils ont partagé l’intervention plus de 260 fois, ont commenté autant de fois. La vidéo a maintenant dépassé les 5 000 vues. La campagne publicitaire diffusée sur l’ensemble des réseaux sociaux pendant les semaines précédentes pour éveiller la curiosité a été un succès. Il faut dire que SILQ propose une toute nouvelle conception du siège de bureau qui répond intuitivement aux mouvements humains sans l’utilisation de mécanismes.
SILQ est-il pour vous l’aboutissement de votre travail ?
James Ludwig : Oui. Nous avons entre trois à quatre projets par an. Là, c’est un projet très important sur lequel nous travaillons depuis 2008 (NDLR, l’entreprise basée au Michigan dispose d’une cellule de recherche et de prospective). J’avais une idée : s’affranchir de tous les mécanismes d’un traditionnel siège de bureau. Mais je ne savais pas comment y arriver et quel matériau pouvait permettre d’y parvenir. Celui-ci n’existait pas à l’époque. Mais au cours des années, avec cette idée en tête, le département design a travaillé de nouveaux matériaux comme la fibre de carbone, présente dans les industries automobile, nautique…
Comment s’est déroulée votre recherche ?
J. L. : Nous avons lancé un premier produit qui nous a permis d’apprendre beaucoup sur la fibre de carbone, sur sa performance. Nous nous sommes inspirés de l’aérospatiale, du mouvement d’une prothèse de jambe haute performance (NDLR : comme celles d’Aimee Mullins, mannequin et athlète handisport qui fait collection de paires de jambes) etc., pour comprendre comment la combinaison de matériaux et de la forme pouvait créer un système simple. Avec les exemples du vélo en fibre de carbone, des chaussures, etc. nous avons décidé de concrétiser ce siège en fibre de carbone. En 2016, avec cinq personnes de mon équipe, nous nous sommes enfermés dans une chambre pour réfléchir à tout ça. Après 18 mois, le projet a été montré au CEO qui a été enthousiaste. Et voilà le lancement international !
Comment définiriez-vous SILQ ?
J. L. : Déjà, nous ne sommes pas partis d’une demande du marketing mais de l’intuition, à développer, d’un produit qui n’existe pas, un besoin qui n’est même pas identifié. C’est une vraie nouvelle offre et non un copié collé. Nous avons repoussé les limites de la science des matériaux et le matériau est devenu le mécanisme. La forme, la composition et la performance sont indissociables. Il fait entrer le siège de bureau dans l’ère du design : c’est un beau fauteuil, qui, grâce à sa coque enveloppante maintient et accompagne le corps dans tous ses mouvements. 90 % des gens n’ajustent pas leur siège, ce qui les rend inconfortables. SILQ s’adapte parfaitement et spontanément au corps de l’utilisateur et de ce fait, sa durée de vie et le confort qu’il offre sont beaucoup plus importants qu’avec un siège normal.
L’équipe design est-elle la même que pour Brody, le bureau temporaire présenté à la 10e Biennale internationale design de Saint-Étienne de 2017. ?
J.L. Oui. Nous travaillons tous, designers et ingénieurs pour apporter mobilité, technicité, mais aussi simplicité, raffinement et durabilité dans l’espace de travail.
Le siège est-il éco-conçu ?
J. L. : Pas la version en fibre de carbone mais la « scandinave », en bois, oui. Un des gros challenges dans l’écoconception, c’est la diminution du nombre de pièces : nous sommes passés de 240 à 40. Cela permet de séparer les matériaux plus facilement pour le recyclage. De plus, la vie du produit est plus longue : nous avons même arrêté de le tester car il était inusable !
Vous semblez très attaché à votre entreprise…
J. L. : J’aime Steelcase parce que j’ai un double cursus design/architecture, et que dans cette entreprise, on travaille tous ensemble. On n’aborde pas les problèmes à partir d’un siège mais de façon plus large. Je peux me permettre de donner vie à mes projets, de répondre à des questions, de résoudre des problèmes… Cela fait dix-huit ans que j’y suis !
Vous n’avez jamais été tenté par le design pour le grand public ?
J. L. : Non, c’est pour moi le même esprit que de travailler pour d’autres entreprises. C’est toujours l’utilisateur final qui est au centre de tout. Les frontières sont floues. Quand on passe d’une invention à une innovation, c’est quand on touche le grand public. Ainsi pour SILQ, nous avons créé un nouveau matériau polymère haute performance qui s’inspire des qualités de la fibre de carbone pour un prix accessible à un marché de masse.
Quels sont les pays les plus en avance en termes de design de bureau ?
J. L. : Un des bénéfices de la globalisation est la rapidité de la transmission des informations et des innovations. Ce sont les entreprises et non les pays qui sont plus au moins novateurs. Les entreprises novatrices ont les mêmes thématiques quel que soit le pays. Elles connaissent leurs employés et savent ce qu’il faut faire pour eux, beaucoup mieux que les gouvernements.
Quel sera le bureau de demain ?
J. L. : Les entreprises classiques, comme les banques, vont évoluer vers des espaces créatifs. Le LINC, créé à Munich, le nouveau siège européen de Steelcase a été construit dans cet esprit. Il synthétise toute notre recherche. Nous concevons désormais tous les espaces comme un studio de création. Le but est de favoriser l’innovation et, in fine la créativité, dernier rempart contre la robotisation, l’automatisation et l’intelligence artificielle.
Qu’est-ce que vous vouliez faire comme métier quand vous étiez enfant ?
J. L. : Je voulais être inventeur. J’ai réalisé mon rêve. ■
Le siège sera disponible dans le nouveau polymère haute performance aussi bien qu’en fibre de carbone. Le prix de départ de SILQ est de 970 dollars. Il sera commercialisé en Amérique du Nord et en Asie au printemps 2018, et en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique à l’automne.
Cet article est paru dans le Design fax 1054 du lundi 5 février 2018. Il vous a plu ? Abonnez-vous ici