Actio ! Constance Guisset ensorcelle les Arts Déco

De la musique, des installations mouvantes, des dialogues entre des objets contemporains et leurs ancêtres… Pour ses dix ans de création, la designeuse Constance Guisset fait de sa rétrospective aux musée des Arts décoratifs une aventure surprenante et magique.

Panache (Petite friture, 2016). Un miroir à pampilles pour jouer avec le paraître. Vue sur les miroirs Time and Tide (Editions Constance Guisset Studio, 2017)

Y’a d’la joie, de la couleur, du mouvement. Ils frémissent, ils tournoient, ils parlent même ! Les objets réalisés depuis dix ans par Constance Guisset se sont posés au troisième étage du musée des Arts décoratifs pour nous entraîner, depuis le 14 novembre, dans une valse légère et enchanteresse. De la fameuse lampe Vertigo (Petite Friture, 2010) immense et frêle capeline ajourée qui oscille au grès des souffles et fit l’immédiate renommée de la designeuse en 2010, aux tables Alca, sorties en 2017 (Uhuru), avec leurs plateaux en bois qui semblent vouloir échapper à leurs pieds en fonte d’acier brute, la centaine de créations exposées disent le mouvant, l’infime déplacement ou le tourbillonnement interne. Toutes, des bijoux aux miroirs, des scénographies aux clés USB, des fauteuils aux boîtes, paraissent pouvoir s’animer, certaines discutent, dansent dans une remarquable mise en scène qui sait réinventer des expositions passées et entraîner le spectateur en jouant sur les rythmes et les surprises. Une ode au faire.


Invoquant Merlin l’enchanteur, son héros de jeunesse, Mary Poppins et Harry Potter, Constance Guisset se fait magicienne : Actio ! Le nom de l’exposition, est son mantra, le poème d’action, son mot de prédilection. « Je dis souvent « action », s’amuse-t-elle. C’était le nom du projet au départ, avec une dimension politique et cinématographique. Mais c’était aussi trop brut, trop flagrant. Le plaisir, la sublimation l’ont emporté pour plus de poésie. Nous sommes passés à actio ! afin d’être plus proche du théâtre. » Un théâtre d’objets où tous ont leur mot à dire : chaque salle est titrée d’un verbe (d’action), accompagné d’un nuage sémantique travaillé avec soin. Autant de manifestes, comme des chansons de geste qui raconterait les hauts faits des pièces présentées.

Transmettre : une réflexion entre design contemporain (Chroma, Musée national Eugène Delacroix) et des bas reliefs (frises de Velez Blanco).

Reprenant le dispositif mis en place cet été avec Les formes savantes au musée Fabre de Montpellier, Constance Guisset fait discuter trois de ses pièces grâce à un jeu de lumière et de sons, dans de mini-scénettes travaillées avec trois auteurs. Un dialogue, drôle et instructif, s’engage entre pièces de mobilier contemporaines et anciennes. Toute création naît de son contexte d’apparition et d’une histoire passée. Voici Plume, par exemple, dessiné pour Cyrillus en 2017. Ce lit modulable recouvert de larges voiles comme des ailes de géant s’est glissé dans une salle du Moyen-âge afin de discuter avec un lit à dais né vers 1500, son oncle, puisque c’est ainsi que la voix émanant du plus petit des lits le designe. « On dormais tout nu ?, demande-t-il. Le pyjama est une invention victorienne, répond l’ancêtre. Pour étouffer les bruits des lits chétifs. Ils n’en avaient pas besoin avec mes grosses tentures. » Des scénettes écrites par Adrien Goetz (écrivain et historien de l’art) et les conservateurs Frédéric Dassas (musée du Louvre) et Denis Bruna (musée des Arts décoratifs).

Canova (Moustache, 2016) : plats en céramiques aux airs de coussins moelleux.

« Je n’ai pas peur de l’exposition spectacle, assume la mutine. Ce n’est pas un gros mot pour moi. Il ne s’agit pas de seulement montrer des pièces mais d’avoir un discours, de créer un contexte, aussi. J’ai voulu proposer un parcours, un voyage. » Elle entraine le spectateur dans une scénographie en trois temps qui racontent différentes manières d’occuper l’espace, de transmettre ou d’explique : un dialogue avec des pièces de musées, d’abord, où le design se présente comme un moyen d’interroger le passé tout en le révélant et/ou en le bousculant. Puis une présentation très scénarisée de ses objets comme de ses scénographies passées. Dans le couloir, ce lieu de passage, elle dévoile son processus de création avec des collages, des maquettes…

Au sources de l’inspiration. Collages et autres jeux de mots (j’aimerais vous voir traduire « I don’t need accio to make you come »… à vos enfants) pour une jouissance créative en partage.

« C’est comme un film », assurent Valentin Marinelli et Clément Barbier du studio MBC qui ont composé les musiques de chacune des salles où ne siègent que le mobilier et les bijoux de la diplômée de l’Essec (commerce), de sciences Po Paris  et de l’Ensci (design). Ils se sont toujours sentis dans leur élément, la conception de musique à l’image. « Elle nous a d’abord fait travailler sur les mots, explique Valentin Marinelli. Les objets sont venus après. » Une première structure qui s’enrichit vite de nouvelles sonorités. « Nous avons enregistré les bruits du studio de Constance au travail, raconte Clément. Ça a changé notre appréhension de l’ensemble. Nous avons décidé de détourner les sons pour qu’on n’en reconnaisse pas l’origine, ils ont pris la place de notes de musique.  »


Les deux musiciens font partis des artistes invités par la designer à partager sa carte blanche : la graphiste Agnès Dahan, Laurent Derobert et ses mathématiques existentielles, l’artiste Marc Couturier (n’hésitez pas à ouvrir quelques « placards de coin »), la tapissière Sarah Grass….  Au « je », Constance Guisset préfère en effet le « nous » qui permet d’approfondir la réflexion, de se nourrir, de partager. Tous ces ronds qui ponctuent l’espace du troisième étage – tables, miroirs, bijoux, suspensions comme la fabuleuse « Fiat Lux » avec son interrupteur, lune près de sa planète, qui défie la gravité terrestre, prouvent que la jeune femme aime faire cercle. Pour accueillir. Soizic Briand

Bouillards. Écorché (très sensible) du livre pour enfants paru chez Albin Michel en novembre 2017.

 

Séduire : lampe Apollo en plâtre, led et métal (Edition Constance Guisset Studio 2017).

Au musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, jusqu’au 11 mars 2018

Photo de une : Constance Guisset par Chantal Hamaide
Autres photos : Soizic Briand