Un casseur de codes, Emmanuel Macron ? Plutôt un admirable interprète de vieux modèles qu’il a su s’approprier et renouveler pour répondre à une attente insatisfaite, tout en imprimant sa propre personnalité. Analyse d’Olivier Disle, entre rappels historiques et impertinence contemporaine.
Emmanuel Macron a été élu Président de la République le 7 mai 2017.
Bon.
Évacuons très vite dans son succès ce qui tient à son talent, son opiniâtreté, la capacité à agir au moment propice, l’atout du renouveau et la foi en son destin.
Mais en ce qui concerne son usage des « codes de communication », peut-on dire qu’il les a « cassés » ? Serait-il allé à l’encontre des codes traditionnels d’une campagne présidentielle, comme le mettent en avant les commentateurs ?
Je ne pense pas.
Je pense qu’Emmanuel Macron a réussi à opérer une vaste mise à jour que les Français attendaient depuis longtemps et qu’ils n’ont trouvée chez aucun autre candidat. Ils étaient plutôt « désenchantés » à ce sujet les Français, comme dirait Mylène Farmer. Lui seul l’a compris.
Toute la tension pour un candidat consiste en l’équilibre subtil qu’il lui faut trouver entre les attentes de l’électorat et ses propres attributs.
Petit rappel historique
Charles de Gaulle, né en 1890, apporte une restauration de l’autorité de l’État et une rassurance dans une atmosphère de chaos. Notons au passage qu’il avait un vrai talent pour jouer avec ses codes à lui, comme le fameux « Françaises, Français, aidez-moi » du 23 avril 1961.
Transition en douceur avec Georges Pompidou, tout en équilibre lui, entre plus de bonhommie en apparence, genre je joue au billard à Orvilliers en pull à col roulé la Winston au bec, et un vrai conservatisme de fond.
Volonté de « décrispation » de Valéry Giscard d’Estaing très vite pris au piège de ses initiatives totalement factices genre petit déjeuner avec les éboueurs de l’Elysée (« Vous êtes comme moi. Vous êtes du matin ») ou dîner chez les Français.
Ensuite Le pouvoir ne se partage pas [du nom d’un ouvrage d’Edouard Balladur, écrit après la cohabitation, ndlr] pas avec François Mitterrand. Ça on a bien compris et ça a laissé des traces.
Jacques Chirac, dont on apprend plus sur son mode de fonctionnement en lisant Les amazones de la République que le tome 1 de ses Mémoires au titre si exaltant : Chaque pas doit être un but.
Nicolas Sarkozy qui ignore visiblement la thèse de Kantorowicz sur Les deux corps du roi. Un qui lui appartient et l’autre qui appartient à la nation. Lui n’en a qu’un, qui a envie de mettre une claque à un marin-pêcheur l’ayant traité d’enc… et semble encore en train de chercher le second.
Petit exercice pratique : chassez l’intrus dans le cassage – pertinent – des codes.
A – Eh ben casse-toi pauv’ con.
B – Pas seulement quand je me rase.
C – Ça m’emmerde ce truc.
Enfin, François Hollande qui répète le syndrome de « Je ferais le contraire de celui dont vous ne voulez plus » et se noie dans une fausse normalité allant jusqu’au suicide politique, en énumérant ses états d’âme dans Un Président ne devrait jamais dire ça publié durant son mandat.
Comment Emmanuel Macron a-t-il mis à jour les codes électoraux ?
D’une triple façon.
D’une part il a utilisé les codes traditionnels.
D’autre part il a utilisé ses marqueurs propres en les assumant.
Enfin, il a procédé à une réinitialisation du logiciel révélant par là une demande insatisfaite.
Il a d’abord utilisé – abondamment – les codes traditionnels.
Couverture de Paris Match avec Brijou une semaine sur deux (enfin, disons une semaine sur trois) genre la jeunesse et l’anticonformisme de sa situation maritale.
Interviews télévisées, portraits, débats, radios, émissions spéciales, etc.
Utilisation des réseaux sociaux, mais en évitant le gadget et le risque de se positionner comme le candidat du numérique. Ce que Jean-Luc Mélenchon a plutôt, lui, bien activé de son côté.
Il a ensuite joué intelligemment de ses marqueurs
C’est à dire qu’il les a assumés sans en rajouter.
« La guerre est un art tout d’exécution » disait Napoléon.
Son âge. Moins de 40 ans.
Il l’a fait de façon subtile. Sans en faire un argument explicite lourdingue. Et en laissant les autres s’enferrer dans la critique de son inexpérience.
Jouer sur le fait de ne pas avoir de passé d’élu.
Une démarche inédite dans notre pays quand les qualifiés pour une élection nationale sont toujours des militants et des élus de longue date, interviewés par des journalistes eux-mêmes présents depuis l’ORTF.
Aller à l’encontre des stéréotypes donc créant de l’intérêt dans le sens « Je suis jeune et beau et j’ai choisi une femme de 23 ans de plus que moi ». Il acte ainsi implicitement l’évolution de la société française en matière de mœurs privées vers plus de liberté.
Il balaye d’une phrase (une seule !) les rumeurs sur son homosexualité et sa double vie. Avec de la simplicité et de l’humour.
Ça c’était vraiment magistral. Le truc s’est éteint direct et n’est jamais ressorti.
Enfin, on peut dire qu’Emmanuel Macron a fait voler en éclat le vieux logiciel des codes de campagne électoral, qui ressemblait encore à un écran noir avec des petites lettres vertes qui clignotent et une imprimante qui fait treutreuchrichri…
Il a senti, et mis en action, et c’est ça, la vraie intelligence de sa démarche, que le corps électoral en avait assez des mêmes usages et des vieilles techniques usées et émoussées.
On peut dire, pour utiliser un langage marketing, qu’il a révélé une attente insatisfaite.
Il a compris que les clichés, façon visite d’un Pôle Emploi, les initiatives à portée symbolique qui sentent des dessous de bras genre photo sur les remparts du Mont-Saint-Michel ou petit tour en chalutier à fumer du gris, étaient totalement ringardes.
– Mais qu’est-ce qu’on pourrait faire pour aller ratisser des voix dans le Sud en étant un peu original ?
– Ben t’as qu’à prendre un chalutier et aller pêcher le rouget au large de Nice avec Collard fumant la pipe.
– Super idée. Tu nous organises ça ?
Il a joué la proximité sans pathos excessif ni mièvrerie spin-doctorienne.
Il est apparu sincère et moderne en n’hésitant pas à approuver ostensiblement ce qui lui paraissait juste venant de la part de ses adversaires lors des débats. Technique pas stupide du tout, même si elle a été moquée, car elle lui permettait d’économiser sur son temps de parole et ne pas avoir à répéter le déjà-dit.
Il s’est appuyé sur son instinct et a eu le sens de la réaction en apprenant tout de suite de ses erreurs.
On pourrait ajouter du courage physique, en allant directement à la confrontation physique avec les ouvriers de Whirlpool à Amiens.
Même en posant mon 9 et en retenant mon 1, je n’arriverai pas à calculer combien de voix cet épisode lui a apporté, mais certainement un bon paquet.
Pour emballer le tout, je double-clique et je supprime mon dîner à la Rotonde à 45 euros par personne et je mets en scène An die Freude (dernière partie de la Neuvième Symphonie de Beethoven et accessoirement hymne officiel de l’Union européenne) dans les obscures clartés du palais du Louvre le 7 mai au soir.
Pour conclure, on pourrait dire que la communication est réussie quand elle ne donne pas l’impression d’être de la communication.
Ou plutôt c’est quand la communication est réussie qu’on aime la communication tout en sachant très bien que c’est de la communication.
C’est valable pour les bébés d’Evian comme pour l’Hymne à la joie.