L’espace, avenir du design ?

La conquête de l’espace ne nécessite pas que des ingénieurs ; les designers ont leur rôle dans la chaîne des compétences. Mais où peut on apprendre ce design là ? !

En France ! A Strate College, Françis Winisdoerffer qui forme les astronautes chez Eads, sensibilise les étudiants à ce sujet du futur. (Quoique n’oublions pas que le grand Raymond Lœwy a travaillé pour la Nasa).

Un sujet original et passionnant.

FS dans le simulateur de la Station Spatiale à Toulouse

La conquête spatiale, avenir du design ?

Francis Winisdoerffer pose à sa manière la question.

Formateur des astronautes chez Eads Space Transportation, il enseigne le design spatial à Strate College Designers.

Découvrons ce personnage atypique, qui pose la question de l’évolution du design produit et les fondamentaux de la formation des élèves.

Admirable Design : Comment, avec une formation d’architecte, arrive-t-on à enseigner le design spatial ?

Françis Winisdoerffer  : depuis l’âge de 9 ans, je voulais être astronaute. L’élément aérien est comme une deuxième nature. Je pilotais un avion avant de savoir conduire une voiture.

J’ai tenté de faire mon diplôme sur l’architecture d’une station lunaire. Le conservatisme des Beaux Arts m’a poussé rapidement à rejoindre l’université de Houston et Larry Bell, pour une formation sur l’architecture expérimentale (milieu extrême, espace, catastrophe).

La Nasa s’est alors intéressée à nos travaux. Et l’aventure a commencé. Je me suis retrouvé à travailler sur l’aménagement intérieur des stations spatiales pour les plus grands constructeurs. Il fallait étudier comment vivre dans un contexte d’apesanteur, et en milieu confiné.

J’ai appris le métier, dans ce milieu d’ingénieur. Depuis 87, je travaille chez Eads à l’aménagement de stations spatiales. Et aujourd’hui, je forme les astronautes.

FS en vol parabolique...

AD : Le design spatial, comment ça fonctionne ?

FV  : On explore un milieu nouveau (la microgravité) et qui ne pardonne pas.
Et l’homme est au centre de notre démarche. C’est le point commun avec une école comme Strate qui articule son enseignement sur le même axe.

De la définition, du concept, jusqu’au manuel de vol, il est fondamental de vérifier chaque étape avec ce point de vue.

Les ingénieurs dans ces secteurs, viennent des lanceurs et des satellites automatiques. C’est la technique qui prédomine. L’homme n’a jamais été au cœur de la logique.

Mon travail consiste à concevoir des produits dans un environnement inconnu sur terre. De ce fait, l’analyse d’usage est le point de départ incontournable.

Deuxième point commun avec la formation des designers.

Utilisation de structure gonflable pour la zone-vie dans l'espace

Nous devons penser, repenser tous les gestes du quotidien.
Comment fait-on pour vivre dans une station orbitale ? Dormir, manger, se laver. Nous devons mettre en scène toutes les situations d’une journée.
De ce fait, l’objet prend une tout autre dimension.
On définit les scénarii, que l’on modélise sous forme de modèles complexes.

C’est la simulation informatique.

On passe ensuite à une maquette grandeur nature. Pour explorer les six faces d’un volume. On mesure alors toutes les orientations possibles. Ainsi que les notions d’échelles.

Puis validation en piscine. Une situation qui se rapproche de ce que l’on peut rencontrer dans l’espace. Mais l’eau n’est pas suffisante ; on peut toujours tricher en nageant.

Dans un tel environnement, l’aide à la mobilité devient essentielle. Et l’objet y joue un rôle important. Ce que nous devons vérifier, c’est que l’individu peut à tous moment être capable de bouger en cas de problème.

Enfin, le vol parabolique valide les derniers éléments.

AD : vol parabolique ! vous pouvez expliquer aux lecteurs d’Admirable Design ! ?

FV : vous prenez un avion avec lequel vous décrivez une parabole. A un moment précis, vous obtenez quinze secondes où les forces centrifuges en mouvement de l’avion, équilibrent les forces d’attraction de la terre.

C’est ce type de vols qui vont être proposés à Monsieur « tout le monde » dans un avenir proche. La société VIRGIN a créé une filiale (Virgin Galactic) pour vendre du tourisme spatial. Les licences existent, les commandes ont été passées, trois engins sont en construction pour bientôt envoyer sept personnes.

Un vol suborbital totalement privé à 100 km d’altitude, où vous pourrez voir la courbure de la terre !

L’accès à l’espace va se démocratiser d’ici 2008 à 2010. Les initiatives privées vont se multiplier. On parle même d’un hôtel gonflable en orbite.

Quel vol, quel environnement, quel confort, quels objets ?

Tout est à inventer et c’est au designer de tout imaginer.

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AD : tout ceci est passionnant mais comment le transmettre dans l’enseignement pour une réalité terrestre ?

FV  : Il s’agit ici d’imaginer ce que vous ne connaissez pas et que portant vous devez maîtriser dans les moindres détails. De remettre l’enseignement à l’endroit. De parler à des artistes d’un monde d’ingénieur. D’apprendre aux élèves à conjuguer le verbe être et non avoir.

Prenez l’exemple de l’écologie. Dans l’espace, elle est totale. Tout ce que vous jetez vous reviens, un jour ou l’autre, avec les proportions que l’on peu imaginer.

Par notre enseignement, nous obligeons les élèves à faire un effort d’imagination dans le respect d’un cahier des charges très précis.
Ils sont obligés de se doter rapidement d’une culture sur le sujet, pour mieux répondre au sujet.

Etre curieux et ne cesser de se remettre en cause.

Explorer toutes les solutions et scénarii possibles.
Ils doivent placer l’homme au cœur de leur réflexion, en pensant l’objet d’une manière totalement nouvelle et dans un contexte inconnu.

L’homme est issu de la gravitation terrestre par son évolution. Le transposer dans un autre environnement nous fait nous remettre en question ; nous apprend à mieux nous connaître nous même, pour mieux servir l’autre. N’est-ce pas la mission du créateur, du designer, de l’architecte ?

Alors bien sûr, tous ne feront pas du design spatial. Même si les perspectives sont réelles sur ce marché. Une de nos élèves est actuellement en échange à l’université de Houston. Et les travaux d’élèves seront présentés en Février aux astronautes.

Mais tous seront faire preuve d’ingéniosité et d’imagination dans un contexte des plus exigeants qui soit. Et cette formation leur sera utile dans tous les secteurs du design … sur terre.

Et puis, ne pas oublier que « si la terre est le berceau de l’humanité, l’homme ne reste pas dans son berceau » comme dit Constantin Tsiolkovski.