La nécessité du design pour l’entreprise

Puisqu’il n’est pas inutile d’insister encore sur la nécessité du design dans l’entreprise, Admirable Design a choisit ce texte, extrait d’une conférence de Gérard Caron, pour ceux qui douteraient encore.

Pourquoi le design est nécessaire aujourd’hui encore plus qu’hier ?

Commençons par une observation de bon sens.
L’environnement sensoriel de l’homme occidental est saturé ! Trop d’images, trop d’informations, trop de communication et le tout sur un rythme stressant qui va en s’accélérant. Sans compter les échanges numériques du réseau Internet qui ne vont pas calmer le jeu. Le cerveau de l’homme récepteur a-t-il atteint ses propres limites ? Comment faire entendre son message dans tout cela ?

Taper fort pour se faire entendre ?
C’est la première idée qui vient à l’esprit. Pour se faire entendre il faut taper fort !Ces techniques sont celles des grandes marques appelées » megabrands  » qui arrosent la planète à coup de milliards d’euros, de leur omniprésence médiatique. Pas besoin d’être prospectiviste pour deviner les limites de cette méthode du marteau. Je considère pour ma part que trois de ses limites au moins, sont déjà atteintes :

 1- Première limite :les budgets réclamés sont de plus en plus considérables.

 2- Deuxième limite : une hyper exposition médiatique entraîne une attitude nouvelle du consommateur face à ces marques monopolistiques : ils attendent des marques en question, une prise de responsabilité qui dépasse largement leur simple rôle de caution de produits.
L’actualité récente nous en donne trois exemples forts : Nike accusé d’exploiter le travail des enfants, Coca Cola face en Europe à une psychose alimentaire aux origines incontrôlable et Total-Fina englué dans une marée noire vendéenne.
Dans les trois cas ces marques n’ont pas su répondre aux attentes émotionnelles du public. Il y a eu déception.

-3- Troisième limite : la saturation est l’ennemi insidieux qui érode l’attractivité de la marque et son pouvoir de séduction.
Jusqu’à quel point l’homme exposé peut-il percevoir les messages en nombre et les enregistrer ? Le design des produits qui fait appel à l’émotion, la sensibilité des consommateurs peut être une première réponse à cette question. En matière d’émotion la limite est repoussée très loin, contrairement à la pression quantitative des médias qui entraîne la saturation.

L’homme moderne et les marques
Dans mon agence de design j’ai travaillé avec des scientifiques sur les phénomènes de mémorisation dans l’univers des marques et des produits pour mieux comprendre le phénomène de perception et de mémorisation d’une marque ou d’un produit. Après plusieurs années d’études nous étions arrivés au constat que l’homme occidental moyen était exposé dans son champ de perception quotidien, environ 150 marques, 800 mots différents, 2000 images et 20000 fractions d’images ! .
Devant une telle abondance de messages quotidien on pourrait se lamenter de
les perdre tout quasiment tous..
Ceci étant dit, notre homme moyen cité plus haut, n’a le souvenir que de 10 marques au maximum, lorsqu’on l’interroge en fin de journée ; dix marques sur un total de cent cinquante…
Il est peut-être temps ici de rappeler une autre règle établie et aujourd’hui largement démontrée : pour qu’il y ait mémorisation il doit y avoir impérativement émotion, aucune information ne peut être mémoriser si elle ne comporte pas une charge émotionnelle. On comprend encore ici le rôle primordial du design qui joue d’une forme de bouteille d’eau minérale, d’une couleur d’un sachet de café et d’une matière lisse d’un pot de crème hydratante. Le design s’adresse directement à nos sens
Or, certaines marques devenues puissantes, à consonance financière plus que commerciale et souvent apatrides dans l’esprit du consommateur, se sont coupées de la sensibilité de leur public. Il est juste de dire qu’en retour, ce dernier le leur rend bien et qu’il ne se préoccupe plus de leur sort : elles peuvent s’associer, fusionner ou disparaître, les traces laissées sont vite effacées ! Qui se soucie de U.A.P, de Euromarché aujourd’hui ? Alors que des marques disparues mais à plus forte charge émotionnelles laissent des mémoires qui ne demanderaient qu’ à être réactivées : Bugatti, Facel Vega, l’Alsacienne, La Voix de son Maître, etc. Elles ont su émouvoir, apporter de la fierté ou plus simplement accompagner notre nostalgie. Je suis prêt à parier que la disparition d’Apple créerait beaucoup plus de regrets que celle d’IBM ou de Microsoft .
L’imaginaire à ses règles que l’économie ne devra plus ignorer longtemps.
Dans une situation médiatique encombrée, les exemples sont nombreux qui prouvent qu’une dimension affective du design est indispensable à la survie de la marque.
L’entreprise moderne a donc un autre moyen d’expression que celui de la méthode du coup de poing !

De l’importance du logotype de la marque…
Certaines marques nous font une forte impression et d’autres passent notre champ visuel sans laisser de trace apparente. Je spécifie bien  » apparente  » car en réalité nous avons vu qu’une marque perçue peut s’oublier mais ne se perd pas ; elle se loge dans l’  » inconscient cognitif  » qui est celui qui regroupe nos connaissances, nos acquisitions par opposition à l’  » inconscient émotif  » qui regroupe nos émotions. Les marques qui captent notre attention se logent dans notre conscient avant de rejoindre l’inconscient émotif, le plus actif.
En conséquence on voit que le premier objet de la marque est de  » distinguer « un produit d’un autre, une entreprise d’une autre, sans craindre le pléonasme disons de  » marquer  » ou de dessiner une trace pour avoir une chance de se faire  » remarquer  » (voyons comme le préfixe de retour  » re  » a bien sa place ici !). Cette trace est d’abord due d’abord à l’impact physique de la marque : le logotype.

Les graphistes ont à leur disposition trois langages visuels principaux pour créer un logotype performant. Je les classe ci-après dans l’ordre décroissant de prégnance :

 la couleur

 la forme

 le mot (la marque)
Sans oublier les matières et ce qui peut, par ailleurs, mobiliser le sens de l’odorat et de l’ouie

La couleur, si puissante

Consacrons quelques instants à la couleur le plus puissant des langages visuels à la disposition du designer : la couleur. Elle influence doublement le sens de la perception, puisqu’elle agit non seulement sur nos référents culturels mais aussi sur notre physiologie.
Placé successivement dans deux pièces l’une peinte en rouge l’autre en bleu, un visiteur déclarera une température supérieure de 4° dans la première (alors, qu’elles sont à température égale, on l’avait deviné) ! La perception par notre système nerveux des couleurs chaudes –rouge, orangé, jaune- a la particularité d’augmenter le rythme cardiaque et par voie de conséquence, élève la température du corps ; les couleurs froides ayant la particularité inverse apportent calme et détente.

Est-ce pour ces causes inconscientes que la couleur la plus utilisée dans le monde financier est le bleu et que le vert est son équivalent dans le monde des assurances ? Qu’est quasiment interdit le port de couleurs vives et chatoyantes à tout homme d’affaire qui se respecte, sans qu’il y ait besoin de lois ni de règlements pour les lui interdire ! ?

La couleur est une grande manipulatrice de nos sens et nous la dominons avec peine. Autre exemple, qui tenterait à prouver qu’elle peut induire un goût : en 1996, à la demande des réalisateurs de l’émission Envoyé Spécial d’Antenne 2, j’organise l’émission dans un hypermarché de la région parisienne, pour démontrer le rôle majeur des incitations commerciales auprès du chaland. Je propose l’idée de soumettre quarante consommateurs pris au hasard dans un supermarché, à un choix de yaourts dont la seule variable, inconnue d’eux, serait la couleur : ils devait emporter un pack de yaourts natures après en avoir goûté deux échantillons posés sur une table devant les linéaires. L’un était dans un pot que j’avais recouvert d’une couleur d’un joli bleu ciel, l’autre dans un pot de couleur caca d’oie… Trente neuf des consommateurs cobayes sont partis en emportant les yaourts bleus qui se révélaient être, selon eux définitivement « plus doux, plus onctueux, moins acides, biologiques, etc… ».Bien entendu j’avais utilisé pour le test effectué à la vue de plusieurs millions de spectateurs, la même marque et de la même qualité de yaourt ! La supercherie avouée, ces consommateurs n’en démordaient pas : le bleu était bien le meilleur…

Quelle couleur pour le design ?
Curieux d’en savoir davantage sur ce pouvoir, fascinant pour tout professionnel de la communication, je me suis penché sur le sujet avec l’aide de neurologistes et sophrologues, en créant en 1988 une cellule laboratoire au sein même de mon agence de design. Les supports de recherches s’appuyaient sur l’analyse des couleurs citées ou utilisées dans les écrits sacrés et les textes fondateurs des civilisations, dans les oeuvres artistiques les plus anciennes des pays européens, asiatiques et américains. Sans oublier, qu’à cela s’ajoutaient des centaines de séances sophrologiques que j’organisais et où les participants s’exprimaient sur la symbolique des couleurs, des mots et des formes des grandes marques pour lesquelles je travaillais…Une fois l’état de conscience atteint, je les faisait réagir non pas sur des événements de leur vie mais sur…des marques.

Le design se loge dans notre plus ancienne mémoire !
Un exemple illustrera mon propos : sait-on que chaque jour au moment où la lune apparaît, la température de notre corps s’élève imperceptiblement ? Il s’agit d’une trace relevée par les scientifiques américains, de notre peur de la nuit, moment de tous les dangers…
Cette découverte m’a longtemps donné à réfléchir sur le sens de notre métier. Peut-on imaginer la puissance qu’aurait une publicité basée sur cette mémoire ! ?
Or, notre apprentissage des couleurs est de ce registre là !
Il est évident que manier la couleur demande une certaine expérience de la part du designer, pour ajuster son tir…et aussi du professionnalisme et de la vigilance, car le  » sens mode  » et  » sociétal  » des couleurs évoluent vite . Ainsi avec la saturation des couleurs électroniques des ordinateurs, des jeux vidéo, les jeunes générations s’étalonnent sur de nouvelles gammes de couleurs… Les conséquences sont pour demain.

Le design, ou l’art d’utiliser les formes
La forme possède elle aussi son propre langage. Des études en cours sembleraient démontrer qu’elles émettent des ondes, tout comme les couleurs. Est-ce pour cette raison ou pour des causes purement culturelles que nous leur attribuons naturellement un sens ? Des formes seront reconnues comme viriles et seront logiquement utilisées par les designers pour la création de logotypes de groupes multinationaux ou d’entreprises à vocation technique, par exemple ; ou pour la conception des packagings de  » drinks energisants « , de produits de rasage, etc.
D’autres formes sont dites féminines , parce qu’elles sont protectrices, enveloppantes, rassurantes. Elles sont adaptées aux produits laitiers, aux aliments des petits, aux produits cosmétiques, etc. Dans le domaine des marques, elles trouvent naturellement leur place dans les logotypes qui évoquent un art de vivre, un engagement social ou humanitaire. Tout comme pour la couleur, la symbolique de la forme induit notre comportement sans en appeler au raisonnement.
Le langage de la forme et de la couleur ainsi que des mots est complexe, et peut expliquer certains échecs commerciaux alors que tous les clignotants étaient au vert avant le lancement sur le marché :  » les tests étaient positifs mais une fois mis dans la distribution le produit a été un échec !  »
C’est oublier que l’on fait appel à la rationalisation du comportement des consommateurs où chacun de ses dires est analysé jusqu’à ce que la situation ne laisse place à aucune zone floue. Sorti de ce contexte de laboratoire, le consommateur laisse libre cours à ses instincts et retrouve son comportement d’animal lâché dans la jungle des linéaires.
Le langage du design demande créativité et expérience, parce qu’il traduit par la forme les qualités d’un produit ou les services d’une entreprise.
La forme me direz-vous, mais qu’est-elle à comparer au fond, à la qualité du produit lui-même.

D’abord , les hommes de communication et en premier lieu les designers, savent que l’habit fait le moine…Mais il faut ajouter qu’aujourd’hui le consommateur exige d’avoir le meilleur produit au meilleur prix avec un design fonctionnel et valorisant pour satisfaire son propre plaisir. Ce que client veut….