Mu : design coopératif

Anthony Boule, cofondateur et associé de la coopérative Mu, agence d’écoconception, nous précise l’activité et le fonctionnement de son agence, ainsi que sa vision de l’écoconception.

Anthony Boule, quel est votre parcours ?
A.B. Je ne suis pas designer, mais au départ ingénieur agroalimentaire, un peu par hasard, après avoir suivi un cursus à Montpellier. Cela dit, j’étais déjà pas mal sensibilisé à la question environnementale, et j’ai donc recherché des stages qui allaient dans ce sens : j’ai travaillé dans la caféologie, puis, dans le cadre d’un échange, au Canada pour étudier la question des plantes dans l’alimentation. Après cela, j’ai cherché un domaine qui pourrait combiner mes compétences d’ingénieur et mon attrait pour les questions environnementales, et c’est ainsi que je suis tombé sur le sujet de l’écoconception, autrement dit, comment intégrer l’environnement lors de la conception d’un produit. J’ai alors suivi une formation en écoconception à Cergy-Pontoise, puis j’ai été recruté chez O2 France, agence d’écodesign et d’écoconception fondée par Thierry Kazazian, le grand manitou de l’écoconception. Cette agence venait d’être reprise pour être transformée en une agence de développement durable. J’y ai fait des diagnostics de cycles de vie et de bilans carbone, et c’est là que j’ai rencontré François-Xavier Ferrari qui était l’écodesigner de la bande. On s’est très bien entendus et on a décidé de pousser une offre en interne, puis de façon externe avec la création de Mu en 2010.

Expliquez-nous ce qu’est Mu
A.B. On se définit comme une agence de conseil en écoconception. On fait de l’écoconception et rien que de l’écoconception : de l’ingénierie de l’environnement et du design industriel afin de répondre aux enjeux environnementaux – choix de conception, de matériaux, de stratégie d’usage, de distribution, de fin de vie, etc. Sur tous les projets, on veut comprendre, mesurer et suivre les impacts. Et puis, ce qui nous intéresse, c’est d’aller jusqu’au bout et mettre en œuvre la solution. On va de l’idée à la mise en marché, en travaillant très loin en amont, car c’est là où se situent les gros leviers qui permettent de produire dans les meilleures conditions techniques, environnementales et économiques. L’ensemble des parties prenantes doivent être satisfaites : il faut que le produit écoconçu plaise au consommateur et à l’usager pour pouvoir connaitre un débouché durable. Tout compte fait, nous sommes dans une démarche classique de design à laquelle on rajoute la composante environnementale. On travaille pour tout type d’entreprise,  les grandes comme les petites. Les impacts chez les grandes entreprises sont importants, compte tenu des volumes de production, mais, les petites entreprises ont souvent la solution qui peut changer la donne dans la façon de consommer. Pour ce qui concerne l’organisation de Mu, nous sommes structurés en société coopérative de production (Scop) avec 14 associés parmi les 16 salariés. On distribue la moitié des bénéfices aux collaborateurs et on conserve l’autre moitié en fonds propres. Du coup, on s’est toujours autofinancés et nous disposons de fonds propres consistants. On est par conséquent très résilients, et on n’a pas peur de recruter 1 à 2 nouveaux salariés par an. Enfin, on travaille en gouvernance partagée : par exemple, tous les salariés participent aux décisions d’investissement.

Quelles sont vos priorités pour les  prochaines années ?
A.B. À court et moyen terme, notre ambition est de continuer à nous développer jusqu’à atteindre 25 à 30 personnes, au maximum, car, du fait de notre principe de gouvernance partagée, nous ne souhaitons pas aller au-delà. Pour nous, le design est un marqueur différenciant. Beaucoup de cabinets de conseil se sont créés autour des métriques de mesure d’impact. Ce n’est pas notre choix. Nous, on veut faire, et donc aller toujours vers plus de design pour accompagner la mise en marché de solutions viables. On veut s’engager au-delà du discours, d’autant plus que l’on se méfie des règles générales qui ne couvrent qu’imparfaitement les contraintes industrielles et d’usage. On est l’agence d’écoconception qui a le plus intégré le design. On veut le design à tous les étages, avec notamment des diagnostics d’usage, techniques et fonctionnels. On veut s’autoriser à remettre en cause les produits et on veut, grâce au design, traduire les enjeux en solutions opérationnelles. Par exemple, nous avons chez Mu une équipe matériaux qui, de façon concrète, recherche quel fournisseur peut nous procurer telle ou telle matière. D’autre part, nous veillons chez Mu au déploiement : c’est bien d’accompagner l’entreprise, mais notre ambition est qu’elle puisse internaliser les processus clés de l’écoconception. En poursuivant cet objectif, nous touchons au design des organisations afin de déployer massivement l’écoconception à la fois dans les modes de fonctionnement et sur l’ensemble des offres. Ce sont des questions importantes pour nous. Et il ne s’agit pas de dire “mettez du recyclé, allégez vos produits”, ce qui, d’ailleurs, sera bientôt obligatoire du fait de la réglementation. Nous, on va au-delà de l’optimisation produit, car la question est de transformer les modèles économiques. On veut des réponses à la hauteur des enjeux, à savoir diviser par 5 l’impact de notre consommation. Et ce n’est pas juste avec du recyclé qu’on va y arriver ! Enfin, nous sommes très sensibles à la notion d’intégration de la dimension sociale : il faut être capable de réaliser une analyse sociale du cycle de vie, car il n’y a pas d’intérêt à diminuer l’impact d’un produit si c’est pour dégrader les conditions de travail liées à sa fabrication. J’ajoute que tous ces objectifs et ambitions vont renforcer notre politique de coopération avec des partenaires, voire des concurrents. Il est nécessaire d’aller chercher des compétences que l’on n’a pas et en particulier des compétences spécifiques auprès de designers. Comme on ne sera jamais une agence de 150 personnes,  il faut aller chercher des savoirs en dehors de nos murs.

Comment voyez-vous évoluer le marché de l’écoconception ?
A.B. Sur le long terme, nous croyons beaucoup à un mouvement vers la sobriété plutôt que de compter sur le seul progrès technologique, lequel est souvent associé à des effets rebonds. Par exemple, si, pour une voiture électrique, l’accroissement de l’efficacité au kilomètre parcouru s’accompagne par plus de kilomètres parcourus au détriment d’autres moyens de transport, comme le train, on ne règle pas le problème. L’efficacité d’un système est souvent amoindrie par le développement de l’usage qui y est lié. C’est dans ces circonstances que le designer peut apporter des solutions à la fois réalistes et attractives en matière de frugalité. De toute façon, trop simplifier est toujours déceptif. Il faut une approche globale avec une mesure des impacts pour l’ensemble des parties prenantes. De surcroît, l’avenir de l’écoconception conditionne sa capacité à remonter l’échelle des organisations : l’écoconception doit être la résultante d’une stratégie générale assortie d’objectifs clairs, le tout avec une trajectoire définie et partagée. Dans le cas contraire, dès le premier arbitrage lors du développement du produit, c’est la composante environnementale qui passe à la trappe.

Un message pour terminer ?
A.B. Pas d’écoconception sans design. Faire autrement est une aberration.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1363