Be Dandy : révéler la marque

Pierre Berget, fondateur et directeur de la création de Be Dandy fait notamment le point sur l’activité de son agence ainsi que sur sa vision du branding.

Pierre Berget, quel est votre parcours ?
P.B. J’ai un bac en art et en philosophie, puis j’ai suivi une formation complète en art appliqué, en communication graphique et en arts visuels. J’ai terminé à l’ISCOM avec des profs passionnés et passionnants. Le seul point d’achoppement était sur l’acception du vocable design, car pour moi c’était le design du point de vue britannique qui l’emportait, alors que le design au sens français du terme était plutôt de type “affichiste, culturel et engagé”. Imaginer le design pour les marques n’était donc pas forcément très bien vu à l’époque… Des années après, j’ai réalisé que j’ai eu très tôt un goût pour la publicité et son esthétique. Ma génération a vécu avec la Citroën Visa qui décollait d’un porte-avion, c’est-à-dire des choses puissantes et très évocatrices. En fait, ce n’était pas des films de pub, mais de marque. J’ai donc débuté chez Publicis FCA !BMZ où l’on a vécu à la fois avec les créatifs à l’ancienne et l’arrivée du Mac. Puis je suis passé chez Australie, où j’ai rencontré des gens brillants, comme Vincent Leclabart ou Luc Speisser, qui m’ont beaucoup apporté en matière de vision et de processus créatif. En 2002, je cofonde le studio 21×29,7 qui s’est construit une certaine forme d’identité créative : on travaillait pour des clients en direct – Dom Pérignon, Arte, EMI, etc. – et également en DA pour les plus belles agences parisiennes. Chemin faisant, j’ai voulu sortir du modèle du studio pour aller vers un fonctionnement de type agence, mais avec une grande souplesse et agilité, et j’ai utilisé la maturité créative dans laquelle j’étais pour m’attaquer aux maisons de luxe. C’est là que je rencontre Alix Declercq et l’on a décidé de travailler ensemble, puis finalement de fonder Be Dandy en 2010. Alix a un parcours intéressant : elle est passée par Publicis, puis chez l’annonceur, FDJ, puis en consulting dans la transformation. 

Quel est votre positionnement ?
P.B. Be Dandy est un modèle d’agence qui veut éviter les erreurs des grosses agences, comme l’inertie ou la lenteur. On voulait de l’énergie créative. Avec le recul, ça a marché, mais le développement a été plus lent que prévu, sachant que l’on a toujours voulu grandir de façon raisonnable et raisonné avec la volonté de rester indépendant et à taille humaine. Nous sommes actuellement 12 personnes réparties entre la partie conseil, la partie créative et la partie stratégique : on sait donc tenir des problématiques client assez consistantes. On n’est pas une grosse agence, mais on se retrouve en compétition avec les grosses agences de la place, ce qui démontre que nous sommes perçus à la fois comme stratégiques et créatifs, et c’est exactement ce que l’on voulait. Nos clients reconnaissent la montée en qualité des marques que nous créons. On a cet objectif de premiumiser la marque, aussi bien dans le luxe que dans le B to B, avec cette composante de durabilité qui est importante pour nous. Le mindset de l’agence est le refus du prêt à penser, le goût pour le sur-mesure et la conviction que les marques portent en elles ce qui fait leur socle. On n’est pas là pour inventer, mais pour révéler. On ne rajoute rien, on n’édulcore pas, on veut aller dans le sens de la vérité de la marque. Cela dit, on est toujours sur un chemin de crête entre le trop et le pas assez. Et puis, la satisfaction client, ce n’est pas lui donner ce qu’il demande, mais lui procurer ce dont il a besoin. Faire ce que le client veut est court-termiste et, finalement, cela frustre tout le monde : lui et les créatifs.

Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
P.B. On a une réflexion aujourd’hui sur l’internationalisation. On ne sait pas encore sous quelle forme – cela pourrait être un rachat ou un partenariat – mais on réfléchit vraiment là-dessus. On veut également continuer à recruter des talents comme on le fait pour arriver à une vingtaine de personnes, et, en parallèle, faire grandir les gens en interne en les poussant sur leurs appétences. À titre personnel, j’aimerais bien créer des formes d’engagement plus clair avec les clients pour avoir des relations plus construites et plus durables, surtout avec ceux qui ne perçoivent pas bien le branding. En matière d’offre, on développe une proposition social media haut de gamme pour optimiser l’émotion de la marque. De façon générale, on se bat pour promouvoir l’importance de l’idée ramassée, en réponse à ce design qui vise le beau, ce design de papier peint comme je l’appelle. C’est joli, mais il n’y a pas d’idée. Une bonne idée est une idée simple, sans compromis inutile. Nous, on monte au créneau et on se bat pour défendre l’axe créatif auquel on croit.

Quelle est votre vision du branding ?
P.B. J’ai un regard assez critique, mais que j’estime lucide, sur le branding en France. D’abord, les Anglo-saxons ont un train d’avance : n’oublions pas qu’ils ont inventé le design et le branding. Ensuite, il y a une richesse créative forte en France, aussi bien dans les grosses agences que dans des petits studios comme Brand Brothers, Yorgo&Co ou Murmure. Cela étant dit, cette richesse créative peut s’étouffer dans l’esthétisme côté affichiste ou dans le manque d’audace, souvent le fait d’ailleurs du commanditaire. Pourtant, il n’y a pas de sujet, le branding est une discipline stratégique. C’est une grammaire, un positionnement. C’est ce qui permet à une marque d’exister dans le temps. Si nous avions en France une meilleure perception de la valeur du design, ce serait sans doute différent. Cette méconnaissance du métier et la présence d’acteurs qui le parasitent avec des propositions sans fond et sans cohérence et qui traitent le branding comme étant un livrable lambda, tout cela n’aide pas. Alors, bien sûr, les choses bougent, mais pour autant, y a-t-il une vraie concordance entre branding et croissance ? La question est toujours posée, car la puissance du branding n’est pas assez reconnue comme telle. D’autre part, on assiste à une forme de dépréciation de l’acte créatif et cela vient en partie des mots que l’on utilise : industrie du branding, industrie du luxe. On prétend faire du sur-mesure et créer de la valeur alors que tout dans le discours révèle une logique de création standardisée, c’est-à-dire peu durable et vite datée. Pour finir, abordons le chapitre de l’IA. Je l’utilise beaucoup, pour la génération d’image, pour de l’optimisation ou pour challenger une idée. Mais cela reste un outil. Et c’est comme un marteau : si l’on s’en sert mal, on se tape sur les doigts. De surcroît, il y a des acteurs du marché, et notamment des grandes agences ou des magazines, qui ne voient l’IA que sous l’angle de la productivité ou de la data. Là, c’est de la consommation de masse et ce n’est pas à mon sens la bonne démarche.

Un message pour terminer ?
P.B. Je voudrais m’adresser aux jeunes qui arrivent sur le marché : soyez curieux et passionnés, ce sont les deux piliers de notre métier de la création. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1362