Wearth Group vient d’annoncer l’acquisition de Conicio, agence de design et d’ingénierie qui vient elle-même de reprendre EDDS. Vincent Schmitt, fondateur de Conicio, nous explique les raisons de ce mouvement de concentration.
Vincent Schmitt, pouvez-vous nous éclairer sur les tenants et aboutissants de ces opérations ?
V.S. Conicio est une agence que j’ai créée en 2011 avec un principe de base : un fort ADN de design industriel avec une expertise en matière d’industrialisation – je précise que j’ai été formé à l’UTC Compiègne et que j’ai démarré ma carrière dans une agence aux Pays-Bas qui maîtrisait le design produit, le marketing, la sociologie, l’ethnographie et l’ingénierie. Je n’ai rien inventé en 2011, car il existait bien sûr en France de très bons designers et de très bons ingénieurs, mais il n’y avait pas d’agences capables de piloter la chaîne allant de l’idée à l’outillage industriel. Je dois dire que ce n’était pas non plus évident chez nos clients industriels qui avaient souvent une perception assez rétrécie du design. 15 ans plus tard, on s’est bien développé : l’équipe comprend 12 personnes et nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 1,2 million d’euros en 2024, ce qui, dans notre monde des agences de design industriel, est respectable. On a toujours gardé ce mix entre designers produit, techniciens et ingénieurs. Jusque-là, tout va bien, mais arrive la crise sanitaire, et nous stagnons en chiffre d’affaires et affichons nos premières pertes. À l’issue de cette crise, je n’ai pas la volonté de repartir pour 10 ans à travailler comme un fou, mais je veux quand même que cela accélère, sans savoir comment. Je commence à vouloir structurer le management de l’agence en cherchant un partenaire typé direction des opérations. Après quelques tâtonnements, je prends langue avec Éric Denis, le fondateur d’EDDS, qui cherche un directeur, car il souhaite partir sur une autre voie. Rapidement, je prends la décision de racheter EDDS et de la fusionner avec Conicio. EDDS demeure une très belle marque, même s’il n’y avait plus qu’un seul salarié quand je l’ai rachetée. De là, avec en tête les notions d’expertise et de proximité, je commence à développer un maillage régional avec Lyon où se trouve EDDS et Annecy où est Conicio, sachant qu’à terme la marque EDDS va disparaître. Cela dit, se remettre dans un cycle de croissance nécessite quelques moyens en matière de recrutement et de pression commerciale. Et comme la COVID avait mangé toute notre trésorerie, il était logique que je m’adosse à un groupe industriel solide comme Wearth, avec ses 200 salariés et ses 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, et de surcroît susceptible de mettre à disposition des services support performants sur lesquels Conicio peut s’appuyer. D’autre part, Conicio étant désormais le pôle design, R&D et innovation du groupe, les 13 sociétés qui le composent s’adressent à nous pour nous consulter. De surcroît, je continue de développer mon portefeuille de clients, ce qui est dans l’intérêt de Wearth, car ils détiennent la majorité de notre capital.
Quelles sont désormais vos ambitions en ayant intégré Wearth Group ?
V.S. Je souhaite que Conicio soit implantée sur plusieurs sites en France et à l’international, ce qui signifie à terme que nous soyons une équipe de 50 personnes réalisant 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui devrait nous placer en tête des agences de design produit françaises. Notre plan de route est donc de quadrupler de taille d’ici 2032. Nous ne nous fixons pas cet objectif seulement par souci de croissance, mais aussi parce qu’il est crucial, pour de grandes industries, de travailler avec des partenaires fiables. Pour cela, il faut être capable de piloter toute la chaîne de valeur du besoin industriel, allant de la conception à l’industrialisation, en passant par le prototypage. Et c’est aussi une manière de correctement valoriser la création que de garder la maîtrise du développement jusqu’à la présérie. Sans compter que les industriels apprécient un tel positionnement qui répond à leurs besoins et contraintes. En raccourci, se cantonner au seul design industriel, c’est prendre le risque de ne pas passer l’étape du cahier d’idées.
Quelle est votre vision du métier de designer produit et de ses évolutions ?
V.S. Pour moi, le design produit doit avoir la capacité de piloter la chaîne de valeur de la conception à l’industrialisation. Cela dit, je ne crois pas au designer multifonctionnel. Un designer a des spécialités bien précises et la bonne agence est celle qui sait rassembler à la fois des profils différents de designers produit, ainsi que les compétences connexes pour couvrir l’étendue du besoin industriel, de la réflexion stratégique à la mise en marché, avec une capacité à faire. Tant qu’il y aura du produit, il faudra faire et pas seulement intellectualiser : dessins, 3D, et prototypes. Et il faut absolument garder cette expertise de production : production d’idées, productions de produits. Les Pays-Bas m’ont beaucoup appris à ce sujet.
Un message pour terminer ?
V.S. Il faut être optimiste sur l’avenir et croire en nos capacités en France. Il y a beaucoup trop d’industrie bashing à propos en France, alors que l’on sait faire de très belles choses. Et, en plus, il y a des gens motivés pour y aller !
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1356
