EDF : design x innovation

Julien Villeret, directeur innovation d’EDF, nous parle de sa vision de l’innovation et des liens étroits entre innovation et design.

Julien Villeret, pouvez-vous nous présenter votre Direction ?
J.V. La Direction innovation EDF est une création récente au sein de l’entreprise. Elle a pour objectif de définir une stratégie d’innovation selon trois piliers  : d’une part les axes stratégiques, thématiques et projets ; d’autre part les missions opérationnelles de développement de projets innovants avec des outils spécifiques que nous mettons au service de l’ensemble des projets d’innovation, tels l’open innovation, l’idéation, le coaching innovation et le Design Lab d’EDF ; enfin, l’investissement dans des start-up que nous créons ou des start-up extérieures dans lesquelles nous prenons une participation au capital afin de développer l’innovation.

Qu’entendez-vous par innovation ?
J.V. Pour nous, ce que recouvre le terme innovation est très clair. Il s’agit de développer des solutions de décarbonation. L’Accord de Paris, l’AIE (ndlr : Agence internationale de l’énergie), le GIEC (ndlr : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et d’autres nous disent tous que les techniques actuelles permettent de faire 50 % du chemin vers la neutralité carbone que nous devons atteindre d’ici à 2050. Les autres 50 % restent à inventer. Pour nous, cela signifie trouver des solutions inédites et définir les nouveaux usages pour que cette seconde partie du chemin puisse être parcourue. Notre conviction est que cela passera par une électrification totale des usages et le renoncement aux énergies faciles. On sait faire mais la mise en œuvre est complexe. Prenons l’exemple de la mobilité qui constitue un réel changement de paradigme. Le conducteur a été habitué à une certaine autonomie et à un processus simple de recharge de carburant. D’un coup, tout change : il faut se brancher plusieurs fois par jour à une prise, pour un coût bien moindre que la recharge en énergie fossile, mais avec la nécessité d’apprendre des systèmes digitaux. Dans ces conditions, le design, en apportant de la simplicité d’usage, est le pont entre la complexité du monde de l’électrique et ses applications digitales et la vie de tous les jours. Le design va nous permettre de concrétiser la décarbonation pour que le client puisse s’approprier de façon simple et agréable les usages de l’électrique. Ainsi, en ce moment même, nos designers réfléchissent à l’intégralité du parcours client nécessaire à la recharge de son véhicule : on voit bien ici que l’approche design est complémentaire des processus d’ingénierie. Un autre cas davantage low-tech pour illustrer nos façons de faire : partout dans le monde, y compris en France, nous connaissons une précarité énergétique due en grande partie à une mauvaise isolation des constructions. Lorsque l’on sait que baisser d’un degré la température de chauffage fait économiser 7 % sur sa facture, l’on se dit qu’il y a là un espace d’innovation. On a donc développé avec notre équipe de designers une solution peu coûteuse et distribuée par millions : un thermomètre en carton avec une encre thermochromique qui permet de mesurer la température d’une pièce et avoir conscience du surchauffage si tel est le cas. Le thermomètre est conçu de telle façon qu’il s’accroche à une poignée de porte, c’est-à-dire à un endroit où l’on peut mesurer la « vraie » température, et non pas près d’une fenêtre. Ce thermomètre s’utilise sans aucun mode d’emploi et son usage est d’une compréhension immédiate. Il s’agit à mes yeux d’un travail remarquable démontrant concrètement l’apport du design. Dernière illustration : l’équipe design a repensé le principe du data center au travers l’upcycling, en réutilisant des panneaux photovoltaïques existants et d’autres composants de seconde main, pour créer un petit data center 100 % autonome et transportable en énergie pouvant héberger, par exemple, un site web. Des projets de ce type, nous en avons plus de 70 par an.

EDF est présent à Biennale Internationale Design Saint-Étienne ?
J.V.Tout à fait. Nous contribuons à l’organisation le 17 mai d’une journée « Inspire » (ndlr : dont Design fax est partenaire presse). La thématique porte sur la question de savoir si la recherche design est un accélérateur de mutations et de progression pour les entreprises. Pour ce faire, nous réunissons des représentants de l’univers académique et des acteurs du design en entreprise. Vous le savez, le design en entreprise connaît un développement important et il nous semblait donc intéressant de rassembler les mondes de la recherche et de l’entreprise qui sont en prise avec cette discipline. Les points clés d’échange porteront notamment sur les approches stratégiques sur le long terme que le design permet. Et, également, de préciser comment opérer des éléments de recherche pour que ceux-ci soient utiles à l’entreprise.  

Parlez-nous du Prix EDF Pulse start-up et de l’évènement VivaTech
J.V. Ce prix en est maintenant à sa huitième édition, ce qui indique son engagement dans le temps dans son objectif de récompenser des projets d’innovation, qu’ils soient internes ou extérieurs à EDF. Pour information, nous recevons en général plusieurs centaines de dossiers par an. Dans la continuité de nos axes stratégiques, nous voulons stimuler les innovations qui vont décarboner le monde. Dans cette optique, être reconnu par EDF donne du poids. Et puis nous accompagnons les lauréats et dans certains cas nous investissons dans leur structure. Concernant les catégories, elles sont au nombre de quatre : production bas carbone, consommer bas carbone, décarbonation par le digital et rendre l’entreprise plus simple et plus sûre. Pour chaque critère pris en compte, il y a toujours les aspects liés selon les cas à la user experience ou à la design experience qui sont examinés avec attention. Pour ce qui concerne VivaTech, nous sommes low carbon partner et présents au travers de deux aspects  : nous mettons à profit l’expertise de nos start-up pour décarboner l’évènement via l’analyse CO2 et la compensation et, d’autre part, notre équipe de designers va venir présenter son projet Up Data Solar.

Quelques mots sur la fonction design chez EDF ?
J.V. Aujourd’hui la fonction design est représentée au niveau Codir au travers de la Direction de l’innovation, c’est dire qu’elle est déjà à bon niveau. Ce n’est qu’un début : étant entendu que nous avons comme impératif de simplifier la complexité, la place du design va continuer de se développer. Nous sommes d’ailleurs en train de doubler les effectifs (ndlr : aujourd’hui, il y a quatre designers internes qui font travailler une vingtaine de designers extérieurs). On suit la demande et on raisonne en termes de création de valeur et le design crée de la valeur. Du coup, le marché interne est très demandeur.

Un message pour terminer ?
J.V. Je pense vraiment que notre rôle en tant qu’innovateur, et j’inclue bien entendu le design, est de créer de la valeur maintenant. L’innovation ce n’est pas uniquement de l’exploration lointaine. C’est quelque chose de très utile au développement immédiat des entreprises. Sur le sujet du CO2, il y a urgence, les approches théoriques ne sont pas suffisantes. Je pense que l’on gagnera tous à projeter nos disciplines dans le ici et maintenant. On a pu dans le passé se servir de l’innovation et du design se faire plaisir. C’est sympathique, mais il y a urgence à traiter les urgences. Ce qui crédibilise nos fonctions d’innovateurs, de designers, c’est de délivrer de la valeur maintenant. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1236