Cyril Ayroles, directeur du design de McDonald’s France, nous parle de son métier et de sa vision du design.
Cyril Ayroles, quel est votre parcours ?
Je suis sorti de l’Ensci en 2001, en même temps, clin d’œil, que Mathieu Lehanneur, où j’ai obtenu le premier diplôme en objet numérique lancé par l’école. J’ai ensuite travaillé comme designer muséographique à la Cité des sciences et de l’industrie où j’écrivais les briefs des dispositifs éducatifs : je n’étais pas dans le faire mais dans le comment on va le faire. Ensuite, chez Dusapin & Leclerc, j’ai travaillé sur tous les aspects design des projets architecturaux – serrurerie, menuiserie et sites internet. Puis, je suis passé chez IDSLAND, l’agence d’Olivier Peyricot, pour faire du design industriel et où j’ai eu une ma première expérience retail en 2004. C’est cela qui m’a donné le goût du retail, à une époque où toute l’industrie française se délocalisait en Chine. Je me posais de vraies questions sur comment faire mon métier de designer. Je trouvais passionnant de travailler sur des sujets populaires destinés au plus grand nombre. Et comme le retail physique n’est pas délocalisable, j’ai choisi cette voie. J’ai donc rejoint Malherbe Retail Design où j’ai effectué tout mon parcours jusqu’à être directeur général adjoint et associé. Là, j’ai vraiment appris mon métier de designer retailer en travaillant pour pratiquement toutes les enseignes de la grande distribution alimentaire française (Intermarché, Leclerc, Carrefour, G20, etc.) puis européenne. Cela a vraiment formé ma vision du design : réfléchir n’est pas suffisant. Il faut essayer, corriger. Et faire pour des gens qui en ont besoin et rapidement. Au bout de 10 ans, j’ai choisi de rejoindre une entreprise leader dans son domaine, où le design tenait une grande place. J’ai été chassé par McDonald’s et la greffe a pris immédiatement.
Pourquoi le design dans une institution comme McDonald’s ?
Tout d’abord, situons l’entreprise McDonald’s en France : 1 492 restaurants, 85 % de franchisés et près de 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé avec un panier moyen entre 12 et 14 euros. C’est dire le nombre de clients qui viennent chez nous ! La stratégie française de McDonald’s a été initiée par l’électrochoc José Bové, il y a plus de 20 ans, qui nous a poussé à passer du fast food à la restauration. De ce fait, nous sommes passés du service comptoir au service à table dans 98 % des restaurants. Autre point : nous avons ouvert visuellement les cuisines, autrement dit, nous les avons théâtralisées. D’autre part, nous avons supprimé le menu board. Tout cela a contribué à faire évoluer notre image vers celle d’un restaurant. Associé à ce mouvement stratégique, il y a eu un mouvement de décoration, et je dis bien « décoration » car en restauration on employait ce terme et non celui de design, pour lequel l’enseigne a fait intervenir des personnalités comme Philippe Avanzi, Patrick Norguet, Paola Navone et plus généralement des agences du monde entier, dont Landini Associate en Australie. Tout cela pour vous dire que nous portons une très grande attention à l’expérience client.
Actuellement, qu’est-ce que le design apporte à McDonald’s ?
Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite souhaité utiliser le terme design au lieu de décoration avec l’idée que si le design dans notre secteur est aussi de la décoration, il est surtout là pour prendre en compte les contraintes business, de construction, opérationnelles et marketing que l’on retrouvera dans tout projet de restaurant. Disons que le design est la principale rotule qui permet de combiner l’esthétique et les aspects dont je viens de parler. En d’autres termes, je suis sur une fonction transversale dont l’objectif est de répondre aux besoins et contraintes des différents directeurs de départements. Une des forces de notre enseigne est que le design peut s’exprimer sur toute la chaîne de valeur – de l’amont stratégique au fonctionnement du restaurant – dans le respect des réalités du terrain.
Quel est votre périmètre et votre mission ?
Mon périmètre est d’intervenir sur tout ce qui est visible par le client en restaurant – abords, extérieur et intérieur – et également de travailler sur les impacts liés à la suppression des emballages à usage unique et de la vaisselle jetable, programmée pour le 1er janvier 2023. J’ai également en charge les stands de communication pour le Salon de l’Agriculture et le Salon du livre et de la presse jeunesse. Mon équipe se compose d’un chef de projet et d’une assistante, mais il faut aussi comptabiliser les équipes que nos prestataires nous mettent spécialement à disposition, comme celle de Pascal Leturcq, directeur des opérations de Walter, la filiale de maîtrise d’œuvre d’exécution de W&Cie. Je travaille aussi avec eliumstudio pour ce qui concerne la vaisselle réutilisable. Quant à ma mission, elle consiste à articuler les différents départements pour élaborer le meilleur projet pour la meilleure expérience possible, avec la meilleure efficacité commerciale pour le franchisé, en tenant compte de la meilleure adéquation environnementale pour les communautés locales où sont implantés les restaurants. Cela passe évidemment par l’emploi mais aussi par deux domaines où je suis très impliqué : gestion de déchets et intégration architecturale.
Quels sont vos principaux objectifs en matière de design chez McDonald’s ?
Mon objectif principal est d’accompagner les changements stratégiques majeurs autour de la révolution environnementale : penser une vaisselle réutilisable, ce qui qui demande de changer totalement de modèle opérationnel tout en respectant un cadre économique contraint – conception, gestion, traçage, lavage, etc. Autre gros enjeu : mieux intégrer l’ensemble des nouveaux canaux de vente – que l’on avait déjà et qui nous permettent de passer la crise sanitaire dans de relativement bonnes conditions – livraison à domicile, click and collect, optimisation des drive auto et piéton, vente à emporter comptoir, et enfin, motiver les franchisés pour qu’ils continuent à investir durant la crise. Pour information, nous réalisons chaque année en moyenne 100 rénovations, 30 ouvertures et 250 changements de cuisine avec le concept du Made for You, c’est-à-dire des plats préparés uniquement à la commande. Pour résumer, je contribue à amélioration du business dans le respect des contraintes environnementales.
Votre vision du design en général ?
Pour moi, le design signifie apporter de l’intelligence de conception au plus grand nombre. Le parti pris esthétique m’intéresse finalement assez peu car je suis davantage porté par le service rendu par un système. Pour ce qui concerne le design français en particulier, l’expérience qui est pour moi la mieux représentative est celle de Decathlon. Voilà un modèle économique efficace qui génère des produits accessibles au plus grand nombre, dans des lieux de vente efficaces, avec une gestion réussie du design produit, de la R&D ou de l’aménagement des lieux. Pour moi une entreprise française comme Decathlon autant drivée par design et qui s’adresse au plus grand nombre, est l’exemple à suivre. Il y a aussi des démarches de créateurs ou de designers qui m’intéressent. Ainsi, au-delà du discours, la production de Starck demeure passionnante. Je pense aussi à Matali Crasset ou Patrick Jouin dont les créations, qui ressortent de démarches différentes, sont exemplaires.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1189