Rencontre avec Joseph Mazoyer, designer industriel, fondateur de Design Office (DO) dont les activités se répartissent entre la France et l’Asie.
Joseph Mazoyer, quel est votre parcours ?
J’ai démarré par un DUT de génie mécanique, mais ma sensibilité personnelle et mon environnement familial – une mère professeure de dessin – m’ont depuis toujours sensibilisé à la création. C’est donc naturellement que je suis entré l’Ensci (dont je suis administrateur aujourd’hui) en 1982, peu après son ouverture. C’était le début des écoles design en France (ndlr : avec l’ESDI). J’ai ensuite effectué un an à l’ISG pour me former aux fondamentaux du commerce et de la gestion et j’ai commencé mon aventure professionnelle en indépendant. Trois ans plus tard, en 1992, j’ai créé DO à Lyon.
Présentez-nous DO
DO est une agence de design qui a un pied en Europe et un pied en Asie. Nous sommes des designers industriels, et j’insiste sur ce terme, parce qu’il signifie notre capacité à accompagner l’industrie au sens large, que ce soit des pour des biens manufacturés, des services ou en matière de digital. Le vocable industriel signifie que nous sommes en mesure de comprendre les contraintes de l’entreprise et donc de dialoguer avec elle, en considérant autant ce qu’elle représente que pour l’accompagner dans son évolution, en enrichissant du même coup notre savoir-faire et notre expertise, compte tenu de la variété des problématiques que nous rencontrons. En termes de données chiffrées, DO ce sont 15 collaborateurs (5 à Paris, 7 à Lyon et 3 en Chine) auxquels il faut rajouter des consultants en Asie et un designer partenaire à San Diego. Nous avons réalisé 1,8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, dont la moitié hors de France. Logiquement, nous avons connu une baisse d’activité de 20 % en 2020 du fait de la crise sanitaire.
Quelle a été l’histoire de DO depuis sa création ?
Notre histoire a connu plusieurs temps forts. Le premier a d’abord été de se doter d’une méthodologie pour comprendre ce qu’est l’ADN d’une entreprise. En effet, on s’appuie trop souvent sur le terme marque, et ses valeurs, pour définir une offre, ce qui nous paraît insuffisant. Avec sa culture technique, le designer industriel va plus loin et est à même de cerner l’ensemble des fondamentaux de l’entreprise, ainsi que ses projets d’avenir, avec laquelle il collabore. Ce premier pas nous l’avons justement fait avec l’aide d’un expert de la marque qui nous a sensibilisés aux basiques du management, ce que les écoles enseignent trop peu malheureusement. Cela nous a pris cinq ans pour que chaque collaborateur de l’agence puisse parler le langage de l’entreprise, quel que soit l’interlocuteur. À ma grande surprise, c’est une qualité que nos clients ont rapidement reconnue et que nous avons finalement transformée en offre une à part entière. Nous réalisons des guidelines que nous appelons Référentiel Design et qui parlent aux divers métiers concernés par le design au sein des organisations. Le premier a été celui d’Artemide, puis Somfy, RATP et dernièrement Fermob. En fait, lors de chaque nouvelle étude, nous réécrivons une page sur l’ADN, pour être sûr de bien comprendre la vision de l’entreprise. Et, le cas échéant, de l’aider à clarifier cette vision. Tous cela pour vous dire que nous sommes des designers industriels qui parlons le langage de l’entreprise !
Deuxième temps fort ?
Le deuxième temps, du fait de notre capacité de compréhension des enjeux de l’entreprise, a été d’investiguer des marchés spécifiques, comme celui du sport ou de la santé. Pour ce dernier, nous avons créé DOMED, entité à part entière, qui a la particularité d’accompagner ses clients jusqu’au stade industriel. Notre client principal est Air Liquide Santé, et depuis quatre ans nous accompagnons également une association de médecins – Le Petit monde – pour laquelle nous avons conçu et fabriquons l’IRM en jeu, un simulateur qui permet à l’enfant devant subir une IRM d’éviter l’anesthésie, tout en optimisant le flux de patients à l’hôpital. Avec plus de 30 installations dans le monde, nous sommes très fiers de ce projet. Voilà qui démontre l’importance de disposer d’une capacité de prototypage. C’est un incontournable dans la santé, et au-delà. En effet, le prototypage et les POC permettent aux entreprises de limiter le risque et d’optimiser l’investissement, notamment en matière d’innovation. Pour cela, on a dû étoffer notre atelier pour renforcer notre capacité de prototypage, de la maquette fonctionnelle à la micro-série pilote. Nous disposons aussi d’imprimantes 3D et maîtrisons la stéréolithographie ainsi que la commande numérique grand format. C’est sur la base de ce savoir-faire que nous accompagnons le CEA de Grenoble dans la création et la fabrication de démonstrateurs présentés chaque année au Consumer Electronics Show de Las Vegas. Ou encore, que nous complétons la ressource design du Groupe SEB dans l’exécution de ses projets. Je voudrais aussi mentionner la prise en compte de la digitalisation dans notre activité, et en particulier la systématisation du produit physique. Nous avons ainsi accompagné Desautel, leader du matériel de protection incendie, dans sa transformation digitale. Je trouve la question qui nous avait été posée particulièrement intéressante : qu’est-ce que le digital peut apporter à une entreprise aussi industrielle et réglementée que Desautel ? Et c’est là que le design fait des merveilles, par sa capacité à s’immerger dans des problématiques complexes et à aller à l’essentiel pour l’utilisateur, avec empathie et élégance. Autrement dit, comment gommer toute la technicité d’une solution pour ramener l’essence même du service sur son écran de smartphone. On arrive à des résultats incroyables, mais cela suppose un énorme travail de recherche de briques technologiques, d’acculturation au sein de l’entreprise et de capacité à produire des démonstrateurs. En la matière, l’approche de DO est particulièrement complète et efficace.
Enfin, troisième temps fort ?
Le troisième temps touche au développement international. Nos premiers pas en Chine remontent à 2006, alors que nous visitions des usines pour notre compte ou celui de nos clients français. Pour plus d’agilité nous avons ouvert un bureau à Hong Kong, ce qui nous a permis de mieux comprendre les besoins spécifiques de la zone en termes de design et de suivi. Puis, nous avons rapidement développé des collaborations dans divers pays tels Japon, Vietnam, Corée, Australie, Inde et même Russie. Mais, paradoxalement, il était difficile de contracter avec la Chine, car les industriels chinois voyaient en nous des designers de clients occidentaux, et non des prestataires pour leurs besoins propres. Et puis, il faut dire qu’il est n’est pas aisé de contracter avec les Chinois et surtout de maintenir le flux, car ils sont à la fois chronophages et très demandeurs de contacts directs. En 2015, nous avons eu l’opportunité de racheter l’activité Chinoise de Millot Design, agence fondée fondé par Michel Millot, qui opérait en Chine depuis 25 ans. Cela a procuré à DO la possibilité de bien séparer ses prestations entre Asie et Europe et de maintenir une barrière de confidentialité, car contrairement à DO, cette structure travaille exclusivement en ODM (ndlr : ODM ou Original Design Manufacturer, consiste pour une entreprise à fabriquer un produit en marque blanche qui portera la marque d’une autre entreprise lors de sa vente), c’est-à-dire que nous dessinons des produits qui sont ensuite vendus par le fabricant chinois à des marques chinoises et occidentales, et notamment en Amérique du Nord, raison pour laquelle nous avons mis en place un partenariat avec un designer à San Diego qui a la tâche « d’américaniser » nos design. Et même si le caractère innovant de l’ODM est limité, cela nous permet d’apprendre sur les modes de consommation de marchés incontournables au niveau mondial. Cette expertise, nous la partageons avec certains de nos clients dans l’internationalisation de leurs projets. Tout cela a été un véritable accélérateur pour notre activité, avec un doublement notre chiffre d’affaires. Enfin, nous allons ouvrir une deuxième antenne, à Shanghai, opérationnelle fin 2021.
Votre vision du design français ?
Le design français a une véritable carte à jouer en Asie, pour peu que l’on sache s’organiser et être présents. La French touch est une valeur très appréciée en Chine, car le Chinois apprécie le mode de vie français, ou du moins l’idée qu’il s’en fait, mélange d’inventivité et de raffinement. Ce qui est dommage, c’est que l’on n’est pas vraiment à l’aise en France pour s’internationaliser. On rencontre toujours les mêmes sur les grandes foires. Aujourd’hui, un jeune designer français se doit d’être ouvert à l’international et ne pas avoir peur de se lancer dans l’entrepreneuriat, même à petite échelle. II n’en sortira que grandi.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1187