Le design à l’École Polytechnique

Frédéric Brechenmacher, président du Département des Humanités et Sciences sociales de l’École Polytechnique, précise comment l’institution intègre le design dans ses enseignements et pratiques.

Frédéric Brechenmacher, comment situer votre département ?
F.B. L’École Polytechnique est structurée en départements d’enseignement et de recherche. Parmi tous ces départements, celui dont j’ai la charge englobe l’ensemble du spectre des arts et des sciences sociales, ce qui, au passage, est tout à fait inhabituel en France dans des écoles d’ingénieurs. C’est dans ce département que prend place le design, dans un contexte à forte composante humaniste. Il s’agit donc d’éclairer les élèves dans un idéal de progrès, et pour cela il est nécessaire d’investiguer tous les métiers dans lesquels cela est possible.

Quelle est votre démarche pédagogique ?
F.B. Comme je le disais, à la différence de la plupart des écoles d’ingénieurs et d’universités scientifiques, l’École Polytechnique donne une grande place aux humanités et aux sciences sociales (1/2 journée par semaine obligatoire) dans lesquelles les élèves peuvent choisir entre séminaires et cours magistraux. Dans ces enseignements, le design se retrouve au niveau des séminaires et s’articule avec des enseignements proposés dans les cours. En l’occurrence, ces derniers portent sur l’architecture, l’urbanisme et l’histoire de l’art. Au niveau des séminaires, l’on va trouver la pratique du dessin, de la sculpture et de la gravure mais aussi de l’architecture et de l’urbanisme, de l’infographie et enfin du design à proprement parler, comme le design industriel, d’une part, et design numérique (infographie, etc.), d’autre part. Plus récemment, nous avons intégré le dessin d’animation qui nous paraît un moyen tout à fait efficace pour assurer la transmission scientifique auprès d’un public large, ce qui est l’une de nos missions. Dans ce cas précis, notre démarche consiste à enseigner le dessin comme instrument de conception de formes numériques au service de la pensée, et en particulier de la pensée scientifique. Il y a ensuite des enseignements proposés à partir de projets individuels ou collectifs et qui peuvent susciter des approches transversales avec d’autre départements – informatique, mécanique, etc.  – mises en œuvre via des chaires qui font intervenir des intervenants extérieurs, comme la chaire art et sciences montée avec l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs-PSL et la Fondation Daniel et Nina Carasso ou la chaire science et jeu vidéo montée avec Ubisoft.

Vous semblez associer fortement design et transmission du savoir ?
F.B. En effet, nous croisons enjeux liés au design et thématiques interdisciplinaires comme l’informatique graphique, domaine extrêmement important pour tous les métiers de l’image. Par exemple, certains élèves se sont appuyés sur les collections historiques de l’École pour développer des projets de design visant à concevoir des outils de médiation au service de nos fonds – intermédiation graphique mais aussi proposition d’un rendu numérique ou matériel, à l’aide d’une imprimante 3D, qui va permettre à un vaste public de s’emparer de nos collections. Nous revenons là à notre volonté d’élargir la diffusion de la connaissance scientifique. Nous y avons également associé des problématiques de son : spatialisation du son ou son 3D que nous pouvons relier à la thématique dont je viens de vous parler. Et comme nos élève sont d’un excellent niveau en matière de mathématiques, d’informatique ou encore de mécanique, cela nous permet d’investiguer certains compartiments de la science pour y associer le design. Enfin, nous utilisons aussi la mécanique des fluides pour concevoir des œuvres d’art, dans une démarche de designer, à des fins pédagogiques, toujours pour sensibiliser le public aux enjeux comme science et société, pollution de la planète, changements climatiques ou biodiversité.

Quid des élèves qui souhaitent aller plus avant en matière de design ?
F.B. Pour les élèves qui souhaitent aller plus loin, nous développons des partenariats avec des écoles de design numérique ou d’architecture où ils peuvent effectuer une année de césure. Ainsi, nous avons signé une convention avec Gobelins – École de l’image qui accueille trois à quatre élèves entre la 3e et la 4e année qui vont s’intéresser aux jeux vidéo, au cinéma d’animation ou directement au design numérique. Quand ils reviennent en 4e année, ils se spécialisent en informatique liée à l’image pour ensuite se positionner dans ce domaine à titre professionnel. Nous avons également un accord avec l’école d’architecture ENSA Paris-Val de Seine pour un double diplôme École Polytechnique-DEA. En complément de ces deux conventions, nous constituons des formations hors catalogue avec des écoles d’art ou de design en France ou à l’étranger – c’est d’ailleurs l’une des richesses de notre École que de proposer des trajectoires spécialisées en fonction des souhaits de nos élèves.

Pas de double diplôme ingénieur-designer ?
F.B. Nous n’avons pas à l’heure actuelle un double diplôme avec une école de design, même si la question s’est posée, compte tenu des liens entre design, conception et démarche scientifique. Pour le moment, nous avons le sentiment que les élèves qui se destinent au design ne peuvent le faire chez un partenaire unique, compte tenu de la diversité des métiers liés au design. Nous sommes dans le domaine du sur-mesure et choisissons la formation en fonction des objectifs précis de l’élève. 

Qu’en est-il des composantes stratégiques et managériales du design ?
F.B. Les aspects du design tels le management, la stratégie ou le design thinking étaient au départ logés au sein de mon département, mais compte tenu de l’essor de l’entrepreneuriat, ils ont été intégrés au Département Management de l’Innovation et Entrepreneuriat. Cela dit, les enseignements sur projets se développent transversalement à plusieurs départements et concernent souvent des aspects entrepreneuriaux liés au design – management du design, évaluation d’un modèle économique, management de projet, analyse de valeur d’usage, etc.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1170