Production Type : typo avant tout

Rencontre avec Jean-Baptiste Levée, fondateur et CEO de Production Type, agence de création de caractères typographiques. 

Jean-Baptiste Levée, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J-B.L. Je suis un créateur de caractères typographiques. Ma formation s’est entièrement déroulée à l’École Estienne, d’abord en communication visuelle, puis en création typographique. J’ai débuté ma carrière comme directeur artistique dans un label de musique. Ensuite, je me suis installé en freelance puis ai créé en 2009, avec trois associés, la toute première société française de création et distribution de fontes sur internet. J’ai quitté cette structure en 2012 et ai passé deux ans à préparer mon nouveau projet, et notamment réfléchir sur les aspects de stratégie de catalogue, de communication et d’image de marque. Cette réflexion a abouti à la naissance de Production Type en 2014. 

Quelle est la taille de Production Type ?
J-B.L. Production Type comprend cinq salariés avec un bureau à Paris et un partenaire à Shanghai qui réalise pour nous les versions asiatiques de nos caractères. Cela afin de répondre aux demandes d’une clientèle occidentale qui souhaite s’exprimer avec une expression non latine, et particulièrement dans les domaines du luxe, de la mode, de l’industrie et des médias.

Parlez-nous de votre métier
J-B.L. Notre métier à la chance et la malédiction d’être un métier d’expertise. Nous sommes donc très peu challengés sur notre savoir-faire en termes de qualité de création et de maîtrise technique.
Mais cette position d’expert nous cantonne aussi à une dimension « craft », alors que notre activité qui consiste à donner une forme visible au langage est structurante dans l’expression textuelle de nos clients. Autrement dit, nous sommes perçus comme des « artisans du caractère » alors que la fonte est un asset majeur de la marque. Et lorsque l’on se fait remarquer c’est  souvent quand il y a problème technique ou d’ordre esthétique. Et quand tout se passe bien, nous sommes invisibles ! Il faut quand même pondérer ces propos car Production Type a une stratégie de catalogue et un historique de projets – faire des caractères utiles mais qui sont vus –  qui lui donnent une patte particulière. 

Quelle est la particularité de Production Type ?
J-B.L. Nous sommes systématiquement dans la recherche de l’équilibre, en fonction des contraintes de nos clients, entre le confort de lecture et l’esthétique. Production Type est bien identifiée en matière de démarche et de positionnement, ce qui permet déjà de situer les relations avec nos clients dans un cadre cohérent. De ce fait, on a la chance de pouvoir revendiquer 100 % de nos créations : nous sommes fiers de tout ce que nous avons fait. D’autre part, la France n’est pas notre premier marché, même s’il constitue notre marché de cœur. En effet, nous vendons plutôt nos licences à des pays de culture anglo-saxonne, c’est-à-dire là où les caractéristiques de notre métier sont bien identifiées.

Quelles sont les caractéristiques de la typographie française ?
J-B.L. La typographie française connaît un renouveau depuis une dizaine d’années : d’abord, un renouveau pédagogique via une offre accrue, ce  qui a permis de former de jeunes designers audacieux et visibles, parlant anglais et, ensuite, un renouveau en termes d’activité avec un secteur de la création typographique plutôt en bonne santé, au moins sur un plan artistique. Car sur un plan économique c’est sans doute une autre histoire (cf. Df 1146 avec Prototypo) et je dirais que, de façon générale, le modèle économique de la fonderie française n’est pas stabilisé. Mais, en face de cette maturité artistique et de cette reconnaissance internationale, il y a une destruction de savoir et d’expertise de notre métier au sein des agences de design et de communication, avec l’apparition de typothèques gigantesques donnant le confort du choix (Adobe et Monotype) mais qui insistent plus sur la sécurité juridique (ndlr  : les droits) que sur l’expertise. D’ailleurs quand on parle avec des spécialistes, l’on s’aperçoit qu’ils veulent toujours une police de caractères issue d’une fonderie indépendante comme nous car le geste de design précis en fonction de besoins précis est primordial. C’est d’ailleurs en fonction de ce contexte que je viens de décrire que je considère que ma mission et celle de Production Type vont au-delà du simple business. Nous tenons à être présents dans des fonctions associatives, d’enseignement ou officielles pour mettre en valeur notre métier et son importance dans la chaîne de valeur de la stratégie et de la création.

Comment voyez-vous évoluer votre métier ?
J-B.L. Jusque là, je n’ai pas connu beaucoup d’évolutions depuis le démarrage de Production Type, hormis des évolutions mineures comme, par exemple, des changements de format de fichiers. Pour ce qui concerne l’avenir, je pense qu’il devrait y avoir un double mouvement : en premier lieu, une concentration du catalogue avec des acteurs comme Monotype qui vont continuer à rassembler la propriété intellectuelle du 21e siècle, et, en face, une atomisation d’acteurs indépendants, interconnectés mais pas forcément solidarisés, qui vont continuer à prospérer. On devrait également observer un transfert de compétence vers l’utilisateur final, avec une promesse d’un bénéfice accru, comme la possibilité de modifier la typographie en fonction des besoins ou envies de lecture. D’où l’obligation pour cet utilisateur final, mais aussi pour l’ensemble de la chaîne de valeur, de mieux connaître le métier. Mais enfin, tout cela reste de l’ordre du remous. Pour ce qui concerne spécifiquement Production Type, l’on devrait être de plus en plus dans une logique de producteur avec l’intégration de travaux de designers produisant des créations contemporaines, en adéquation avec notre époque. 

Votre vision du design français ?
J-B.L. Mon souci est d’animer un design vivant, de proposer des caractères de designer qui sont en activité. Il faut entendre par là qu’acheter des licences de polices sur catalogue est souvent une occasion ratée de faire vivre la création typographique française. D’autre part, si je revendique un bagage culturel français, je suis convaincu que nous devons aussi être résolument tournés vers des clients non français qui n’ont pas une culture de caractère exclusivement française. Disons qu’il faut s’inscrire dans une vision globalisée, sans pour autant renier notre coloration française qui signe notre singularité et marque notre attractivité.

Un message pour terminer ?
J-B.L. C’est plus une observation d’ordre général. À notre niveau de PME de cinq personnes, on arrive à mener une réflexion sur un futur durable, assortie d’actions concrètes. On soutient financièrement des causes environnementales ou sociétales (changer de fournisseur d’électricité, prévoir des indemnités kilométriques vélo, faire des dons à des associations, etc.). Si nous on arrive à le faire, alors de grosses structures peuvent le faire. Ceci est un message pour agir : on ne doit pas rester au simple stade de la déclaration d’intention.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1157