Pour mieux comprendre les liens entre design et silver économie, interview de Nicolas Menet, directeur général de Silver Valley, et de Nicolas Marquis, co-fondateur de l’agence Ova Design.
Nicolas Menet, DG de Silver Valley.
Nicolas Menet, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Nicolas Menet. Je suis sociologue de formation (sémiologie et sociologie) avec une formation complémentaire de l’Éna. J’ai débuté mon parcours professionnel par la création du cabinet Adjuvance spécialisé en innovation et études sociologiques applicatives, et ce jusqu’en 2017. Cela m’a permis de beaucoup travailler avec des agences de design et de me familiariser avec le sujet du vieillissement, sujet écosystémique passionnant puisqu’il touche nombre de domaines dont le politique, l’économie, le social. Tout cela m’a donné une véritable, appétence pour l’inclusion et la bienveillance. Et comme j’ai pas mal publié en parallèle, ce qui m’a apporté une certaine visibilité, l’on m’a proposé de prendre la direction de Silver Valley.
Qu’est-ce que la Silver Valley ?
N.M. Silver Valley est le plus gros cluster en Europe consacré à la problématique de la longévité. Je dis bien longévité, car cela sous-tend toutes les composantes du vieillissement, et notamment les aspects physiques, économiques, familiaux, etc.). Silver Valley s’intéresse en particulier aux 92 % des seniors qui sont autonomes. Silver Valley est constituée de 300 projets d’innovation, dont 180 start-up. Cela représente un écosystème de 4000 personnes physiques. Nos start-up lèvent en moyenne 40 millions d’euros par an et nous avons accompagné 1000 projets depuis 2013, année de création du cluster.
Comment fonctionne Silver Valley ?
Nous fonctionnons selon trois axes principaux.
1. Une offre évènementielle avec par exemple un concours d’innovation, la Bourse Charles Foix.
2. Un accompagnement personnalisé intégrant l’audit, l’expertise et l’accélération des projets entrepreneuriaux : rendez-vous organisés avec le concours de HSBC, dérisquage de projets avec stress test pour validation business model, business plan et solidité des équipes.
3. Un open lab pour lequel nous avons conclu 15 partenariats avec des associations de personnes âgées. Cela représentent 450 seniors capables de participer à des groupes de parole exploratoires et qui sont formés à la démarche du co-design. Notre philosophie est de mettre les seniors en position d’entrepreneur pour qu’ils soient à la fois au centre des projets et utilement contributeurs.
Comment évaluez vous l’apport du design dans le domaine de la longévité ?
N.M. L’expérience client, les aspects ergonomiques, sont, en particulier, des éléments qui relèvent véritablement de l’expertise du designer. C’est pourquoi nous avons la volonté systématique de rapprocher designers et porteurs de projet avec des actions comme les formats “coup de Pouce / coup de Boost” dont l’objectif est de renforcer l’attractivité et la pertinence des projets. De façon générale, le design est pour nous une composante clé : le senior étant au cœur de tout projet d’innovation, le designer va forcément intervenir, à un moment ou à un autre, afin d’apporter son regard et son savoir-faire
Un message pour terminer ?
N.M. La France est très en avance en matière législative et réglementaire dans le domaine de la longévité, avec le principe que c’est à la société de s’adapter au vieillissement, et non l’inverse. La filière silver économie s’est fortement structurée depuis 2013 et nous sommes aujourd’hui dans une étape de massification des innovations afin qu’elles touchent la cible la plus large possible, en s’appuyant des modèles économiques pertinents. On a donc plus que jamais besoin des designers pour travailler sur des concepts non stigmatisants pour lesquels les seniors seront attirés naturellement (notion de design universel). Autrement dit, le designer a un rôle majeur à jouer dans la mise en œuvre d’une démarche inclusive et bienveillante. ■
Nicolas marquis, co-fondateur d’Ova Design.
Nicolas Marquis, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Nicolas Marquis. J’ai suivi une formation BTS design de produits au lycée Camille Claudel de Blois puis un DSAA à Olivier de Serres. J’ai fondé Ova Design avec Benjamin Sabourin il y a 11 ans.
Comment se situe Ova Design sur le marché des agences ?
N.M. Ova Design s’est rapidement positionnée sur le terrain de l’innovation par l’usage – c’est-à-dire la prise en compte des besoins réels de l’utilisateur. L’autre point est que nous appréhendons l’ensemble de la chaîne de valeur du produit ou service, puisque nous partons de l’amont stratégique et allons jusqu’à la phase d’industrialisation. L’agence comprend aujourd’hui six personnes (cinq à Paris et une à Montpellier) et réalise un chiffre d’affaires de 700 000 euros, en croissance régulière. Je précise, que nous n’avons pas la volonté de devenir une grosse agence.
Quelle est la part de l’activité consacrée aux seniors ?
N.M. Le design orienté seniors représente, selon les années, entre 30 et 50 % de notre travail. C’est donc une composante importante de notre activité.
En quoi le design destiné aux seniors est-il particulier ?
N.M. La caractéristique transversale est l’absolue obligation d’associer le senior dans les étapes de réflexion préalables. Les besoins en matières d’ergonomie et de contenu de service sont spécifiques. Pour autant, il est hors de question de concevoir des produits dont l’esthétique serait trop marqué “senior”, cette population n’appréciant pas du tout être stigmatisée. Rappelons que les seniors sont des utilisateurs et des consommateurs “normaux”, dont les besoins sont simplement particuliers et qu’il n’y aucune raison de bêtifier lorsque l’on s’adresse à eux, ou encore de les considérer comme une catégorie d’individus diminués (ndlr : on pourrait faire le parallèle avec certaines démarches publicitaires tellement ciblées seniors – dans le mauvais sens du terme – qu’elles en deviennent déprimantes).
De quels projets êtes-vous le plus fier ?
N.M. D’abord, du tout premier projet que nous avons réalisé : le robot Buddy pour lequel on avait d’ailleurs obtenu une Étoile de l’Observeur du design. Cela date un peu – 2015 – mais la démarche pour laquelle nous avions optée nous paraît toujours exemplaire : un design pour tous, destiné aussi bien aux enfants, qu’aux adultes ou aux seniors (ndlr : Buddy est un projet porté par la société Blue Frog Robotics). D’autre part, nous sommes également satisfaits de l’accompagnement, en liaison avec Silver valley, du groupe Acorus (ndlr : rénovation et entretien en site occupé du patrimoine immobilier) : le design de service a été porteur de valeur autant pour eux que pour les locataires – et en particulier les seniors.
Le marché des seniors est important. Pourquoi n’y-a-t-il pas plus de designers spécialisés en ce domaine ?
N.M. Je pense que les formations initiales ne sensibilisent pas assez les designers aux problématiques des seniors. Cela dit, les acteurs économiques étant de plus en plus sensibles à la notion d’expérience utilisateur seniors, il est assez probable que les choses devraient évoluer dans le bon sens.
Un message pour terminer ?
N.M. Encore plus qu’ailleurs, le domaine du design orienté senior nécessite que le designer joue un véritable rôle d’interface entre l’ensemble des parties prenantes – structures spécialisées, industriels et cibles finales. La compréhension, l’écoute et la génération d’idées forment un tout que le designer doit impérativement savoir appréhender.
Une interview de Christophe Chaptal
Article précédemment paru dans le Design fax 1131