De la poudre de coquillage, des algues et quelques ingrédients secrets issus de déchets de l’exploitation halieutique. Il a fallu trois ans de recherche à Lucile Viaud pour mettre au point ce verre marin au cœur de la marque Ostraco. Parcours d’une entreprise de design.
Il a la couleur des vagues qui bordent la côte d’Émeraude, celle de l’océan les jours de grand bleu ou quand brusquement le soleil perce les nuages : il est glaz, entre bleu et vert en breton, et Glaz est son nom. Du verre marin. Une nouvelle matières aux composants issus de la production halieutique. Après 18 mois de recherche avec le Cerfav (Centre européen de recherche et de formation aux arts verriers), la designer Lucile Viaud a mis au point un « verre malléable et pouvant se travailler avec toutes les techniques verrières traditionnelles ». Les premiers essais ont donné un vert d’eau salée bruissant d’embruns. Un brin rude et frustre, mais prometteur. Aujourd’hui, il se présente sous la forme de 7 pièces, empilables et combinables, aux teintes changeantes suivant la lumière et le contenu. Cette première collection, Pot, est exposée à la Cité de la mode et du design pendant le Off de la Paris design week. Avec une marque désormais déposée : Ostraco, d’ostracon, coquille en grec ancien, mais aussi « tesson de poterie qui servait de support d’écriture ou de dessin dans l’antiquité ». Une « forme de post-it » s’amuse la jeune femme de 23 ans d’abord rencontrée aux Ateliers de Paris. Elle aime que rien ne se perde, est prête à tout transformer en produit durable. Pour mieux protéger et valoriser les ressources en utilisant des « coproduits « (déchets valorisés) et toujours en collaborant avec des partenaires. Sa méthode ? La recherche expérimentale.
Tout a commencé il y a un peu plus de trois ans alors qu’elle terminait son cursus de designer de produits à l’école Boulle. « C’est la matière qui m’intéresse le plus, raconte cette Lorraine passionnée par la mer et amoureuse de la Bretagne. Je travaillais sur le cuir de poisson de pêche et recherchais des applications autres que la petite maroquinerie quand, avec mes partenaires en Bretagne, j’ai découvert d’autres « déchets » à valoriser. » Comme des poudres de coquillages ou de coquilles de crustacés, des algues, etc. La production halieutique est en effet de celles qui produisent le plus de « rebus » d’où une forte activité de transformation avec création de farines, huiles, hydrolysats (pour des compléments nutritionnels, par exemple. Une sous-valorisation pour la designer inquiète de la limitation des ressources et du meilleur moyen de les utiliser. Partant du principe que les déchets ont la valeur intrinsèque du produit « premier » elle choisit de traiter les « chutes » comme une matière première noble (voir son mémoire).
Au centre iDmer de Lorient (Institut technique de développement des produits de la mer), elle manie d’abord la poudre de cartilage marin. Une texture qui la conduit naturellement (elle ressemble au plâtre) à mettre au point le « plâtre de mer », changeant de couleur suivant les coquilles utilisées. Elle moule des bols puis s’essaie à la cuisson, à la céramique. De cette rencontre avec les arts du feu naîtra l’envie de croiser le verre, d’autant plus que dans sa Lorraine natale quelques-uns de ses proches connaissent ce domaine sur le bout des doigts. Le premier verre à sortir des fours est Opale. Il prend le nom de sa couleur, laiteuse, légèrement irisée et un rien bleuté. Pour arriver à sa texture étrange, entre céramique et verre, façon corail, elle a peu à peu substitué « les matières standards utilisées dans la fabrication des matériaux silicatés [le verre est composé à 70% de silicate] par les matières marines collectées ».
L’envie de tester, d’explorer encore pour aboutir à un produit commercialisable pousse Lucile Viaud à chercher encore plus loin. Elle arrive au Glaz aujourd’hui présenté sous forme simple et graphique. Surtout, il est marin en grande majorité. A base de poudre de coquille d’huîtres produite par l’Usine de Kervellerin et divers matières parfois peu transformées issues de la mer, sa composition reste un secret de fabrication jalousement gardé. Pour la soude, qui sert (en gros) à mieux faire mieux la silice (abaisser son point de fusion), nous parions tout de même sur la cendre de goémon, bien connue des Finistériens qui conservent encore quelques anciens fours. La jeune entrepreneuse qui commencera à vendre ses produits à la fin de l’année, acquiesce à peine et sourit. Son Graal reste Abysse, 100 % marin, 100 % Breton. Un verre vert, sombre et profond, encore difficile à apprivoiser mais, lui aussi, comme ses aînés, fort prometteur. Soizic Briand
Exposition à now ! le Off à la Cité de la mode et du design 34, quai d’Austerlitz, 75013 Paris pendant la Paris design week du 9 au 13 septembre.