Quand le design se fond dans le consensus

Difficile de trouver une voiture qui ne ressemble pas à ses concurrentes? Une question de design, certes, mais aussi de vision et de marketing.

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Par Patrick Le Quément, designer naval.

« Toutes les voitures se ressemblent, c’est pas comme avant…»  J’entends, depuis plusieurs décennies, cette lamentation qui s’avère être fondée non pas sur la réalité mais sur de la nostalgie d’un temps meilleur, car forcément c’était mieux avant… Il y a quelques années j’ai fait un exercice en prenant des photos de la Place de la Concorde à dix ans d’intervalle, en commençant dans les années 1920 et jusqu’en 1980. Après avoir biffé les voitures qui n’avaient pas été fabriquées dans la décennie, je suis alors arrivé à la conclusion que le phénomène du : “Follow the leader” a toujours existé. Dans la réalité, ceux qui s’expriment en disant que les automobiles du passé étaient beaucoup plus différenciées les unes des autres que celles d’aujourd’hui ont tendance à baser leurs impressions sur une Place de la Concorde où figurent des voitures couvrant trois ou quatre décennies…

Gaston Doumergue, président de la République élu le 11 juin 1924, se rend à Auteuil avec son coupé Chauffeur Avions Voisin, qui équipe l’Élysée depuis 1920.

En fait, il y a des grands courants qui traversent les époques et qui balaient au passage toute velléité de non-conformité pour englober l’ensemble dans une uniformité rassurante. Certes il y a, et il y aura probablement toujours quelques productions qui sortent du lot, qui crient au-dessus du bruit ambiant plutôt que de murmurer dans un brouhaha collectif, des voitures comme celles de Gabriel Voisin, ou la DS de Flaminio Bertoni et, pourquoi pas ne pas mentionner l’Avantime de Renault. Il est néanmoins important de souligner, même si la vérité ne fait pas toujours plaisir, que ces voitures n’ont eu aucune influence sur le reste de la production automobile. La DS en est l’exemple par excellence, après la DS, le néant. Il n’y jamais eu une après DS.

Flaminio Bertoni derrière une des premières esquisses de la DS.

Et puis tous les constructeurs se copient. On commence par démolir la concurrence par du “off” lors des salons automobiles puis on la copie sans vergogne. La liste est longue de ceux qui ont critiqué BMW sous l’ère de Christopher Bangle mais qui l’ont pourtant bien imité par la suite. Le design automobile se fait en grande partie avec un regard permanent dans la cour du voisin tout en gardant un œil dans le rétroviseur et en pratiquant des tests de marketing où l’on rassemble sous un seul toit des maquettes de styles et des véhicules de la concurrence avec pour objectif, que la moins dérangeante des nouvelles propositions gagne. Il y a quelques années de ça, la mode chez les constructeurs automobiles voulait que les voitures de la concurrence soient présentées sans leur logo, pour s’assurer que l’image de marque ne domine pas le débat, elles étaient ainsi confrontées à deux ou trois maquettes en lice pour le choix suprême.  Quelle ne fut pas la surprise que de constater que 30% des personnes appelées à porter un jugement n’arrivaient pas à reconnaitre leur propre voiture.

Le grand publiciste David Ogilvy patron de l’agence Ogilvy & Mathers disait d’ailleurs sur le sujet des tests marketing, aussi appelés “clinics” :  “La plupart des entreprises utilisent les clinics comme un ivrogne se sert d’un lampadaire, beaucoup plus comme soutien que comme éclairage”. Merci David, je t’ai souvent cité, de la même façon que j’ai fait remarquer à mon président à qui un dirigeant du marketing exprimait l’importance d’un choix consensuel que, dans ce mot consensuel, ce n’était pas le mot sensuel qui me gênait.