Comment transformer une station de Haute-Savoie en haut lieu de l’art contemporain ? En invitant l’art urbain dans son parking semi-souterrain, parie la ville de Saint-Gervais. Reportage au 2KM3, entre design d’espace et économie culturelle.
Au pied du Mont-Blanc, sur la place centrale de Saint-Gervais, en cette fin d’après-midi ensoleillé du 2 juin 2017, c’est l’affluence des grands jours. Les habitants de la commune se sont réunis en masse pour assister à une inauguration pas comme les autres. Celle d’une « plateforme » d’art contemporain inédite : le parking couvert du centre-ville a été transformé en une toile géante. Onze street-artistes internationaux y ont repeint les onze étages et une partie de la façade.
L’idée est née après le premier festival d’art urbain de la ville en 2015. Organisée par l’association Kill Art Factory, présidée par l’artiste Hugues Chevallier (alias Irsut), son succès a stimulé l’imagination du maire de la commune, Jean-Marc Peillex. Pourquoi ne pas faire intervenir des artistes dans le parking semi-souterrain du centre-ville ?
2000 m³ chacun
« Aucune directive, aucune censure, aucun médium ne leur a été imposé », précise Hugues Chevallier, commissaire de la plateforme et qui a lancé l’entreprise il y a un an en s’inspirant du Lasco Project du Palais de Tokyo. Seule obligation pour chacun : créer une œuvre in situ en à peine 17 jours sur un étage complet, soit 40 mètres de long, 20 mètres de large et 2,5 mètres de haut. En tout, 2000 m³ à habiller par artiste, en bref, 2KM3 comme le nom de ce musée alternatif.
Après 300 enfants des écoles de Saint-Gervais, plus tôt dans l’après-midi, c’est au tour du public de (re)découvrir le lieu. À l’intérieur, le béton brut a laissé la place à une explosion de couleurs, d’abstractions nébuleuses et de formes hypnotiques servies par des éclairages naturels ou artificiels (LED, le plus souvent) tout en nuances. À ne pas rater, les kaléidoscopes éblouissants de l’artiste vénézuélien, diplômé en design graphique, Satone (étage 3) ; le style abstrait et très graphique du fantasque argentin Elian Chali (étage 8) ou encore la constellation d’étoiles d’Étienne de Fleurieu (étage 10).
Visite du 2KM3 en diaporama
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« Ce n’est pas que de la peinture, les œuvres font tout autant appel au design qu’à l’architecture, relève Hugues Chevallier. Les artistes ont dû penser en trois dimensions, imaginer l’arrivée des voitures, le parcours des piétons, imaginer une lecture globale. » Comme pour inviter le public à flâner entre les étages, il n’y a aucun marquage au sol ni repère de sa place de voiture dans le lieu. L’ancienne signalétique a été effacée, les chiffres supprimés. Désormais, c’est la couleur qui sert de jalon : dans les escaliers, la teinte choisie par les artistes doit permettre de repérer le bon étage.
« Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est qu’il offre aux utilisateurs d’un parking la possibilité de vivre à l’intérieur d’une œuvre d’art, souligne, pour part, Elian Chali. Chacun est invité à devenir spectateur/utilisateur de celle-ci. »
Nouvelle vie
Côté spectateurs, c’est l’enthousiasme :
– « Garer sa voiture dans un musée, vous pensez ? C’est appréciable pour elles comme pour nous », s’amuse un visiteur.
– « C’est un lieu mort qui, d’un coup, reprend vie, » témoigne une retraitée saint-gervolaine.
– « Jamais je n’aurai pensé qu’un parking puisse être beau », reprend une jeune commerçante de la ville.
– « Avant, dans les parkings j’avais peur, renchérit encore une autre. Dans celui-ci, je m’y attarderai. »
Ce projet inédit doit beaucoup à l’opiniâtreté et la force de persuasion du maire Jean-Marc Peillex. Il a réussi à convaincre des entreprises privées de financer entièrement les œuvres et les travaux liés à leur réalisation à hauteur de 500000 euros. « Je considère que l’art peut changer la vie, explique-t-il. Il doit s’intégrer dans la ville, se partager et être accessible au plus grand nombre. Et si cela peut se faire sans utiliser l’argent des contribuables, comme en l’espèce, c’est évidemment encore mieux. »
Reste maintenant à savoir comment évoluera l’espace et comment le public s’en emparera au quotidien. « Dans ce parking qui restera gratuit et ouvert jour et nuit, les œuvres réalisées vont désormais vivre et se présenter chaque jour différemment, au gré des couleurs des capots des voitures, s’enthousiasme le maire. C’est une œuvre vivante. »
Afin d’éviter qu’elle ne noircisse trop vite sous la fumée des pots d’échappement les murs sont lavables – ils seront nettoyés une fois par ans- tandis que 25000 euros ont été investis pour y déposer un vernis anti-tags. « Le prix de la préservation du beau et de la sérénité », conclut Jean-Marc Peillex.