Au moment où tout un pays – la France – sinon un continent – l’Europe
– se pose des questions sur son identité et son futur, dans un monde
ouvert et instable, il semble important de prendre la parole et de
poser à la fois un regard sur ce monde, ses problèmes comme ses opportunités,
et de partager notre conviction que les étudiants que nous formons,
et la discipline qu’ils portent, constituent un atout majeur pour ce pays. Christian Guellerin président de France Design Éducation (et directeur de l’Ecole de Design de Nantes) répond à ce questionnement dans un manifeste dont Admirable Design publie la première partie aujourd’hui.
Suivront article 2 : « La responsabilité du designer »et article 3 : « la responsabilité des écoles de design ».
À lire absolument…
LE MOMENT DU DESIGN
Si nous en connaissons la force et l’importance, cela n’est pas forcément
partagé par le plus grand nombre et en particulier par les acteurs institutionnels,
politiques, syndicaux ou professionnels de ce pays. L’objectif de
ce manifeste est d’exposer pourquoi le design, les designers et les écoles
qui les forment constituent une force inexploitée pour réinventer, enrichir,
renforcer, débloquer même, notre société dans nombre de dimensions industrielles,
économiques, sociétales, sinon politiques.
LE MONDE A CHANGÉ : UN NOUVEL IMPÉRATIF ÉCOLOGIQUE
L’humanisme se définissait naguère par le fait de mettre la nature au service de l’Homme. L’urgence est désormais de la sauver. Réchauffement climatique, empreinte
carbone, raréfaction des ressources, déforestation, accès à l’eau
potable, bientôt neuf milliards d’individus à nourrir… nous obligent à
revoir nos façons de vivre et nos usages car il s’agit de sauver la planète
et son humanité.
MIXITÉ DES CULTURES ET IDENTITÉS La globalisation permet
la mixité des cultures et leur enrichissement mutuel pour peu qu’elles
entrent en résonance. Mais, c’est aussi la remise en question des repères
aux droits et à la morale qui est formulée. Qui croire, que croire dès lors
qu’il s’agit de vivre ensemble sans renier pour autant là d’où l’on vient ?
UN NOUVEAU RAPPORT À LA SCIENCE
En matière de science, « Tout ce qui peut être fait, sera fait… Toujours ! ». Sciences et
technologies ont longtemps été vecteurs de progrès, mais le doute s’est
installé au xxe siècle : ce « progrès » nous amène-t-il l’éternité ou la fin de
l’humanité ? OGM : éradication de la famine ou bien fin de la biodiversité
? Décodage du génome : fin de la maladie ou eugénisme ? Nucléaire :
énergie propre et inépuisable ou catastrophe apocalyptique ? L’objet de la
recherche scientifique est désormais suspect.
UN NOUVEAU RAPPORT À L’ÉCONOMIQUE
À l’heure du Trading automatisé à la picoseconde, 97 % des échanges financiers
mondiaux ne sont basés sur aucune production de valeur réelle.
La formidable richesse produite par une économie mondialisée ne bénéficie
pas encore équitablement au plus grand nombre. Elle tend à se concentrer
et à creuser les écarts entre les riches et les pauvres. Les arbitrages
politiques en faveur du social s’enrayent, tant les états ne disposent pas
encore des outils pour en réguler les équilibres.
UN NOUVEAU RAPPORT AU POLITIQUE
Le niveau d’éducation augmente, l’information est créée, partagée, commentée
dans des proportions et à des rythmes jamais atteints. Ce sont les nouvelles
technologies qui rendent ceci possible et permettent la mise en oeuvre
de démarches politiques locales, innovantes et puissantes. L’abondance
comme l’immédiateté de l’information, la transparence, la fin du secret
transforment le rapport aux pouvoirs, et induisent ou appellent de nouvelles
pratiques démocratiques. Plus que jamais, la formule « Think Global,
Act Local » se trouve vérifiée. Les états, comme les organisations politiques
sont appelés à se réinventer.
UN DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE EXPONENTIEL
Le temps qu’une technologie passe du laboratoire au marché, comme
son temps d’adoption, sont de plus en plus courts. Les technologies de
l’information
sont en grande partie à l’origine de cette accélération, parce
qu’elles sont à l’oeuvre dans les process d’invention. Leur adoption par les
gens est d’autant plus rapide qu’elles se cachent, et que seuls les usages
induits se rendent visibles à une population qui en a compris et intégré les
codes et les ergonomies.
DE NOUVEAUX PARADIGMES INDUSTRIELS
Le management scientifique a pour modèle la compétitivité basée sur le rendement
: « Faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire » et pour gagner
un peu de marge sur la concurrence. La récente arrivée des industries des
pays émergents oblige à revoir ce modèle ou plutôt à l’enrichir. « Faire autrement,
ou autre chose, avec ce que l’on sait faire » devient le modèle des
entreprises qui réfléchissent à leur avenir. Le management de l’innovation se substitue au management scientifique.
DE NOUVEAUX PARADIGMES DU MARCHÉ
Le marketing s’est nourri du renouvellement des marchés au point que l’obsolescence
programmée fut naguère une vertu. Changer de voiture ou de lave-vaisselle
tous les trois ans n’est plus raisonnable. La conscience écologique
de frugalité va naître chez les consommateurs qui vont reconsidérer en
conscience la valeur patrimoniale des biens qu’ils possèdent. On ne jette
plus, on répare, on recycle, on garde, on partage… Des secteurs industriels
vont disparaître et/ou devoir s’adapter. Passer du produit au service est l’enjeu de nombreuses industries de biens de consommation.