Un designer chez les enfants…

C’est l’histoire d’un designer qui se promène dans un parc pour enfants et découvre des jeux… totalement inadaptés à leur public !
Et pourtant il aurait suffit d’observer ces gamins quelques minutes comme l’a fait Olivier Silvy qui nous fait part de son expérience en la matière et donne suite à son précédent article.
Un cas lire…

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Commençons par une ballade…
Amenant des enfants dans un jardin public, j’ai découvert cet ensemble de jeux. Moderne et coloré, il est doté d’un design innovant qui a attiré mon attention. J’ai attentivement observé une petite fille monter l’échelle de droite.admirable_design-olivier-silvy-1.jpg
Elle a d’abord mis un pied dans un trou de chaque colonne mais la forme ronde n’est pas adaptée (inconfortable et coinçante). Très rapidement, elle se retrouva écartelée et ne put faire face aux élongations musculaires en découlant. Elle essaya une autre stratégie : monter par une seule colonne. Mais cela signifiait pour ses mains et ses pieds un équilibre réduit au seul diamètre du trou, c’est-à-dire impraticable. En fait, la petite fille ne put jamais arriver seule en haut…
Contournant l’ensemble de jeu, j’ai découvert une autre échelle, beaucoup plus difficile car totalement verticale. Cette fois-ci, le designer a encore plus travaillé. Malheureusement, aucun enfant ne comprend comment utiliser le jeu. Non seulement les marches sont penchées ( !) alternativement à droite puis à gauche (ce qui exige une coordination hors de portée des petits enfants), mais, en plus, elles se rétrécissent vicieusement (en alternant de sens !).
Alors que ce genre de jeux cherche à favoriser l’audace, le dépassement de soi et la prise d’autonomie, l’enfant est orienté vers un sentiment d’échec.admirable_design-olivier-silvy-3.jpg

Le mauvais coup de l’asperge !
Continuant de faire le tour, je me retrouve face à une « asperge » (la fameuse barre de descente rapide des pompiers que tous les petits garçons rêvent d’attraper). Afin d’éviter un écrasement testiculaire, le diamètre de la barre ne doit pas être trop fin. Or, ici, il l’est beaucoup trop : un petit garçon se précipita dessus et se retrouva immédiatement par terre, le visage convulsé de douleur. admirable_design-olivier-silvy-4.jpg

Un pont pour les singes ?
Pour terminer, voici la photo du mini-pont de singe (là encore, une sorte d’exercice commando, donc très attirant). Vous remarquerez combien l’écartement des marches est périlleux (trop espacé). Deuxièmement, souvenez-vous qu’il s’agit d’un obstacle souple et instable pour lequel l’aide de la barre est vraiment nécessaire. Or, elle est inutilisable dans la partie haute (c’est-à-dire la plus dangereuse) car elle est trop basse (les mains sont au niveau des pieds).admirable_design-olivier-silvy-5.jpg

Bilan
Les jeux sont trop difficiles pour ceux à qui ils sont destinés : de petits enfants. Or, s’agissant d’un espace public géré par la mairie, il y a eu : appel d’offre, propositions, sélection, fabrication, réception et paiement. Ceci signifie que, durant tout ce temps et pour chacun des processus, l’ensemble des acteurs a choisi d’agir sans se préoccuper du vrai besoin de l’utilisateur. Comme c’est un cas qui arrive tous les jours en design de produit, cela vaut le coup qu’on s’en parle un peu plus.

Comment réussir un design produit et le vendre, malgré un décalage avec le client sur l’analyse de la valeur…
Quand on a du talent et de la compétence, mais que le client ne comprend pas la valeur du produit proposé, comment néanmoins gagner un marché ? Réponse : en développant non pas un art, mais deux !

Observer…
Si le designer de l’ensemble de jeux que j’ai décrit précédemment avait bien voulu aimer et observer les enfants, je suis sûr qu’il aurait fait un travail formidable. Or, ce qu’il y a de beau quand on allie technicité et anthropologie, c’est qu’on n’a pas besoin que le client soit compétent dans l’un ou l’autre domaine. En effet, la stratégie est d’obtenir son adhésion grâce à l’influence d’acteurs non prévus dans le processus achat. Cette irruption va le décontenancer (et bousculer la grille d’évaluation des réponses) et retourner complètement les conditions de compétition. On utilise la double incompétence du client en adressant un vrai besoin d’usage qu’il n’a pas spécifié.

Le beau et la simplicité d’usage
Grâce à un travail créatif centré sur le beau et la simplicité d’usage (et non un salmigondis d’explications de pourquoi c’est admirable), d’autres personnes vont immédiatement comprendre (dans leur domaine) les gains soudainement potentiels pour l’entreprise. Ce sont : des frais commerciaux de lancements réduits, des temps de décisions raccourcis, une maintenance moins chère, des coûts de garantie minimisés, une sécurité du produit très robuste, une vente intuitive, un potentiel d’agrégat de services et une montée en flèche de la notoriété (capitalisation).

Le management de soutien.
Travailler en innovant dans ces conditions est très agréable et très facile. Cela s’appelle le changement de paradigme et cela fait très mal et pour très longtemps à la concurrence. Pour réussir systématiquement lors d’une compétition très dure, il faut absolument mettre en oeuvre un effet Whaou !. Celui qui est efficace durablement, exploite des résonnances anthropologiques. Il s’agit de créer un choc d’adaptation, une expérience extraordinaire qui cherche un effet diamétralement opposé au choc obtenu par la déconstruction, la provocation, ou l’imaginaire.
En pleine mondialisation et financiarisation, les bénéfices d’un produit doivent être instantanément perçus par le client. La techno-anthropologie est complètement concentrée sur cette compréhension intuitive de la valeur. Cerise sur le gâteau, elle transforme un management de contrôle en un management de soutien.

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