Héritières d’un passé prestigieux ou banal, vieilles dames respectables ou jeunes pousses innovantes, toutes les marques ont une histoire à raconter, ou à inventer.
Jean-Watin Augouard, spécialiste de l’histoire des marques, et Louis Comolet, directeur général de l’agence Cltg Design, nous livrent leurs réflexions.
En voilà deux qui savent de quoi ils parlent ! Vous avez le micro…
Histoire(s) de marques
L’histoire des marques ? Dans les poubelles !
Inventée par les hommes, pour des hommes, la marque nous parle dès sa naissance. Certaines marques se créent par frustration, constate Jean-Watin Augouard, comme Gillette créée par son fondateur éponyme qui désespérait de trouver un rasage efficace et sûr, ou par rébellion comme Chanel ou Afflelou, ou bien encore par vocation comme Nestlé ou Danone.
Faire connaître son histoire permet de donner à la marque une réalité, de lui donner une épaisseur humaine, de l’ancrer dans la vraie vie, de lui donner une existence au-delà de ses produits.
« Dans mon agence, indique Louis Comolet, nous commençons toujours par revenir aux racines de la marque avant de travailler sur un sujet. C’est pour nous un moyen de savoir d’où elle vient, quelles sont ses valeurs et de mettre en avant sa véritable personnalité, en menant si nécessaire nos propres investigations ».
Car si elles sont généralement conservées dans les entreprises familiales où l’histoire se transmet de génération en génération, les archives des grandes entreprises ont souvent disparu au gré des changements de direction.
« C’est la poubelle qui est l’histoire de la marque » regrette Jean-Watin Augouard… Une exception notable cependant : l’univers du luxe pour qui l’histoire est un élément déterminant. Une marque comme Hermès fait vivre son histoire chaque jour, grâce à sa boutique originelle du faubourg Saint-Honoré restée « dans son jus », à la perpétuation de son savoir-faire artisanal de sellier, à la fidélité à ses valeurs fondamentales dans l’invention de ses nouveaux produits et à la gestion de son identité.
Pour Hermès, l’histoire est devenue une dimension stratégique du développement de l’entreprise. Les maisons de champagne savent aussi capitaliser sur leur patrimoine et n’hésitent pas à mettre en scène les histoires de leurs fondateurs.
Les marques qui savent se raconter développent au fil des années une relation affective avec leur cible, et au-delà.
Que faire de mon histoire ?
Face aux marques et à leur histoire, les approches diffèrent selon les cultures et les pays. Aux USA, où l’entreprise est au cœur de l’histoire du pays, il existe des cabinets d’historiens des marques, des rayons entiers de librairies sont consacrés à l’histoire des marques. Il existe même un diplôme à Harvard de business history et ce depuis…1923 !
Des entreprises comme Kellog’s ou Coca Cola ont créé leur propre musée. En France, où le regard est différent, l’histoire a une image « passéiste » et la marque ne fait pas culturellement partie du patrimoine de notre pays. Se distingue cependant l’univers automobile où Peugeot et Citroën ont créé un musée, Renault un atelier sur les Champs Elysées, et dans un tout autre univers, La Vache qui Rit qui ouvrira très prochainement son musée. Si ces cas restent des exceptions, Jean-Watin Augouard constate une évolution du regard des entreprises, qui se posent deux vraies questions :
Est-ce que j’ai une histoire ?
Si oui, comment peut-elle me servir aujourd’hui et pour demain ?
La deuxième question est bien sûr essentielle, souligne Louis Comolet, et il faut pour cela accepter d’investir à long terme. Car l’objectif n’est pas de s’abîmer dans la nostalgie d’une époque révolue, de commémorer le passé, de rééditer des packs collector ou de faire du faux vieux « à l’ancienne ».
Tout au contraire, il s’agit de ramener en pleine lumière ce qui fait la spécificité de la marque, ce qui légitime son excellence, sa différence et ses valeurs, bref ce qui la rend unique, et de s’en servir comme tremplin d’innovation : autrement dit, utiliser sa propre histoire comme déclencheur stratégique.
La démarche consiste à intégrer l’histoire de la marque comme un accélérateur d’efficacité.
Des histoires qui nous parlent d’aventures humaines…
C’est précisément ce qui a été mis en œuvre pour le repositionnement d’Affligem. Il s’agissait de faire d’Affligem un peu plus qu’une bière d’Abbaye parmi les autres, sur un marché déjà très disputé. Et c’est là que les archives très anciennes de l’abbaye nous livrent une histoire extraordinaire, qui nous rend cette marque plus proche et plus vivante : celle des six brigands repentis – les fondateurs – qui se retirent du monde pour expier leurs péchés…
Et que nous découvrons que le père abbé est encore aujourd’hui le détenteur et le conservateur des recettes d’élaboration des bières : une formidable légitimation pour lancer une extension de la gamme Affligem à de nouvelles variétés !
Cette même démarche d’investigation appliquée à la marque Marquis de Montesquiou nous permet de découvrir une dynastie intimement mêlée à l’histoire de France : une saga complète qui constitue le ferment des nouveaux produits que développe la marque, notamment tout récemment les millésimes historiques destinés aux circuits sélectifs.
Et c’est encore une saga, celle de la dynastie Vilmorin – sept générations depuis Philippe-Victoire de Vilmorin – qui constitue le terreau, Jean-Watin Augouard parle de l’humus de la marque, de la nouvelle identité de Vilmorin.
Et si je n’ai pas d’histoire ?
Il faut la créer ! Les fondateurs des marques ou leurs successeurs n’ont pas procédé autrement, et c’est la démarche de tous les innovateurs, dont les projets sont sous-tendus par des convictions, nous précise Louis Comolet. Encore faut-il savoir