Des séries limitées pour quoi faire ?

Sophie Romet, experte en branding et design s’il en est, analyse les avantages et inconvénients des séries limitées sur le marché des eaux en bouteilles.

Au fond les séries limitées sont-elles utiles ? Il y-t-il des ratés ? Qu’est-ce que le design à avoir là dedans ?

Intéressant et documenté

Qu’apportent les séries limitées aux marques d’eaux ?

Dans l’univers des boissons, il est clair que « c’est le flacon qui fait l’ivresse »…. Et en particulier dans celui des eaux, où, pour paraphraser un ancien DG de Nestle Waters, « on vend du packaging ». Car c’est bien la bouteille, qui, au-delà d’être un outil de vente et de communication, incarne véritablement une marque.
L’eau est un produit si particulier, à la fois essentiel à la vie et à la santé, mais aussi très difficile à différencier sur des valeurs purement objectives. D’où un travail formidable autant sur le plan de la communication publicitaire, avec des sagas exceptionnelles que sur celui du design (cf. Evian et Perrier).
Dans ce contexte très particulier par rapport au reste de l’univers alimentaire, les séries limitées ont un rôle à jouer d’autant plus important que les marques d’eaux sont souvent historiques, en tout cas en France, où la plupart des marques s’appuient sur des eaux minérales centenaires, comme Evian, Perrier, ou encore Vittel. Cette dimension patrimoniale signifie que les packagings « classiques » de ces marques évoluent en douceur, autour de fondamentaux auxquels les marques peuvent difficilement déroger, au risque d’y perdre leur reconnaissance mais surtout leur identité, voire leur âme. Perrier en est sans aucun doute la meilleure illustration.
Les séries limitées sont alors un formidable moyen de raconter l’histoire autrement, de la rendre contemporaine, voire de la mettre à la mode, de communiquer des messages émotionnels en lien avec des évènements ou en relais de la saga publicitaire – sans mettre en péril l’essence d’une marque.
Perrier en a été le précurseur avec ses séries limitées notamment autour de Roland Garros, dont la marque est l’un des sponsors historiques.

Comment choisir le bon design et le bon partenariat en accord avec l’image de la marque ?

Cette question est complexe, car si l’on est vite tenté de lancer une série limitée, son succès dépend d’un certain nombre de préalables. Parmi ceux-ci, et il est souvent oublié, la capacité à donner un objectif clair à la série limitée, eu égard à la situation de la marque concernée. S’agit-t-il de « faire un coup médiatique », en associant la série limitée à une personnalité ou un évènement du moment ? La marque doit-elle au contraire renforcer certains traits de sa personnalité, de façon durable, en s’associant à une « signature », qu’elle soit artistique ou de tout autre ordre ? S’agit-il de recruter de nouveaux consommateurs et de leur donner à voir un aspect de la marque qu’ils ne connaissaient pas ? etc…
Une fois que l’objectif attendu est clair, la démarche logique consiste(rait) à le partager avec son agence partenaire, pour qu’elle puisse recommander une ou plusieurs solutions, internes et/ou externes, qui répondent à cet objectif. En mettant bien sûr en phase les propositions avec la personnalité et la culture de la marque. Ce qui implique que, de part et d’autre, il y ait une véritable connaissance de la marque, pas uniquement superficielle, mais aussi de son contenu, notamment d’un point de vue sémiologique.

Y a –t-il eu des loupés ?

Le grand avantage des séries limitées, à première vue, c’est qu’étant limitées, elles sont moins dommageables si elles ne sont pas réussies qu’un changement du design permanent. On peut les arrêter plus facilement, et elles ne se substituent théoriquement pas au standard – même si la réalité en magasin démontre que ce n’est pas toujours le cas.
Le « loupé » classique, donc, c’est la série qui ne se vend pas ou mal. La perte devient essentiellement financière, liée à l’investissement de départ… La casse reste alors relativement limitée, à condition que la série n’ait pas affecté l’image de la marque – ce qui peut se produire lorsque l’image du créateur ou de l’artiste associé cannibalise celle de la marque. Dans ce cas, non seulement la marque n’y gagne pas en image, mais elle peut aussi être assimilée trop fortement à la personnalité en question. C’est exactement la même problématique que lorsqu’une marque se choisit un ambassadeur publicitaire. Ce cas a déjà été vécu par une marque de champagne, par exemple.
Une autre erreur, souvent faite, est de croire qu’un créateur, parce qu’il est inventif, peut appliquer son art au design d’un packaging. Moult grands noms de la mode s’y sont essayé et ont sorti des packagings extrêmement banals. Et l’on connait aussi un cas de design (pour un produit classique, non une série limitée) où un architecte de très grand renom a littéralement démoli une marque de chocolat en appliquant au packaging ses principes, sans tenir aucun compte de la culture de la marque.
Enfin, même si la série limitée est réussie en elle-même, si elle est trop éloignée de sa « mère », elle risque aussi de « corneriser » le produit standard, de l’enfoncer dans une image vieillissante ou monolithique. Cela signifie que la série limitée doit faire partie d’une approche stratégique globale de la marque dans sa communication design, la série limitée ne pouvant à elle seule dynamiser ou rajeunir une marque existante. Et elle n’est véritablement crédible que si elle ne creuse pas le fossé éventuellement latent avec le consommateur.

Qu’est-ce qu’une série limitée réussie selon vous ?

Une série limitée réussie, c’est avant tout un design qui fait vendre, car il fait envie ! En général, la série limitée réussie est d’abord tout simplement belle à regarder, on a envie de la montrer, de la mettre sur la table… La meilleure illustration de ce succès, c’est que les séries limitées réussies se retrouvent sur les tables bien après que la série ait été épuisée, elles servent à « carafer » l’eau ! Parfois même elles deviennent des collectors. Certaines séries limitées sont ainsi des succès financiers, ce d’autant plus que ces bouteilles sont souvent vendues à un prix sensiblement supérieur au produit classique.
Le deuxième critère de succès d’une série limitée, c’est sa capacité à répondre à l’objectif fixé par la marque, en général un objectif d’image – et notamment qu’elles deviennent l’incarnation d’un trait de personnalité de la marque. En cela, une série limitée réussie peut être considérée comme un travail d’innovation, qui permet de faire connaitre un ou des aspects de la personnalité de la marque – sa modernité, son engagement pour un thème ou autour d’une cause, son humour – ou de dérouler le fil narratif que la marque a mis en place dans sa communication.
En ce sens, je prendrais pour exemple la marque Coca-Cola, qui sait extrêmement bien exploiter le « filon » des séries limitées. Nombre de ses bouteilles designées sont devenues des collectors, en nourrissant tout à la fois l’univers graphique de la marque et son image au sens large : excursion dans l’univers pop et association à la musique via le design Mika ; excursion dans le minimalisme, la mode et association à une personnalité forte et juste par rapport au produit via le design de Karl Lagerfeld sur le Light, parmi d’autres.
Ce qui est particulièrement réussi dans ces exemples, c’est que ces séries limitées ont un sens réel par rapport au discours de la marque et de ses produits et à l’univers visuel qu’elle construit. La série limitée devient un véritable outil stratégique, un média à part entière, une manière de casser le monolithisme et d’innover fortement. Le lancement de la série limitée peut alors occasionner une mini-campagne de RP, voire de pub, un relais Internet via un mini site évènementiel, une application iPhone…

Qu’en attendent les consommateurs ?

Avant tout, les consommateurs sont à la recherche de désir, de casser la monotonie. C’est particulièrement vrai dans le domaine des eaux, où l’achat est réflexe et considéré comme contraignant (c’est lourd, cher, ça prend de la place…). C’est pourquoi ils « craquent » pour un bel objet comme l’ont été les bouteilles éditées pour la célébration de l’an 2000 par Perrier et Evian respectivement.
Au-delà de cette valeur esthétique, qui confère à la bouteille une dimension statutaire et non plus uniquement fonctionnelle, les consommateurs sont aussi sensibles à des univers visuels ou à des personnalités à travers lesquels ils se retrouvent, et qui leur permettent de refléter leur personnalité. Puisqu’il s’agit d’un objet que l’on montre et qu’on utilise quotidiennement, voire que l’on emporte avec soi (comme la bière ou les soft drinks).

Noël est-elle une période propice à ces lancements ?

Noël est évidemment une période faste pour les séries limitées car c’est une période où l’on reçoit. Le rôle de « bouteille carafe » joue alors à plein. On orne sa table d’une jolie bouteille d’eau comme on fait sa décoration de table de fête. C’est aussi une période de cadeaux, où la série limitée est un moyen extrêmement efficace de valoriser une marque. Les spiritueux y ont tous recours, souvent avec beaucoup de succès.

Propos recueillis par Aurélie Charpentier © AdC – L’Agence de Contenu