Cette année, à l’occasion du 3ème anniversaire de son classement au Patrimoine mondial de l’Unesco et du 50ème anniversaire de la reconstruction de son Hôtel de Ville, la ville du Havre a organisé le temps d’un été un parcours spectacle nocturne original qui, par le jeu des images projetées, la magie du trompe-l’œil et l’intervention de la musique, transforme et transcende la perception de sites majeurs de la cité monumentale. L’occasion pour Admirable Design de se pencher sur des moyens encore peu connus de mise en valeur de l’espace architectural et urbain.
Avec l’œil aiguisé d’Olivier Raymond de l’agence Bayadères…
FIAT LUX … ET FACTA EST LUX
Au même titre que la pierre, le bois, le verre et l’acier, la lumière est matière d’architecture. En France, à la fin du siècle dernier, l’évolution des techniques en éclairage ont permis l’apparition de nouveaux intervenants : artistes, sculpteurs ou plasticiens, éclairagistes, concepteurs lumière, scénographes, …
Issus pour la plupart du monde de l’Art, des métiers techniques du spectacle, du théâtre, du cinéma, ou même des fabricants de luminaires, ils ont réussi à concrétiser, par leur savoir-faire original, une dimension sensible, pratique et pointue de la lumière dont le spectacle de 1952 « Les Très Riches Heures de Chambord », premier son et lumière du monde, est le point de départ.
Ephémères ou pérennes, sur des lieux prestigieux ou abandonnés, ces réalisations d’un genre nouveau marquent bien souvent les esprits mais les noms de leurs créateurs restent peu connus du grand public. L’ouvrage « Lumières architecturales en France » de Vincent Laganier, paru en 2004 aux éditions AS, a été notamment un des premiers à rendre véritablement hommage à ces artistes de lumières longtemps restés dans l’ombre.
Le parcours-spectacle nocturne « Patrimoine en Lumière », proposé cet été gratuitement par la Mairie du Havre, a été l’occasion pour Admirable Design d’aller à la rencontre des artistes atypiques et éclectiques qui signent la création visuelle et musicale de cet événement. Leur nom : Skertzò.
Derrière ce nom se cache la retranscription phonétique de l’italien Scherzo ; un mouvement de musique, une indication de jeu – Allegro Vivace – que d’aucuns traduisent : jouer avec fantaisie. Un nom qui résume à lui seul la philosophie de ces amoureux de l’illusion et du trompe l’œil, adeptes du spectacle total, qui depuis 20 ans, font le pari d’offrir à leurs publics des expériences toujours plus époustouflantes.
De Paris à Tokyo en passant par Kiev, Turin, Jérusalem, Casablanca, Beijing, Séoul ou encore Houston, leurs réalisations, qu’elles soient spectacles, parcours-spectacles, installations urbaines ou expositions, sont toujours de savants mélanges d’imagination, de poésie et de haute technologie. N’ayant de cesse de parier sur l’intelligence du public, sa sensibilité, elles suscitent instantanément la curiosité, éveillent le regard, font naître le désir, …
Le double anniversaire célébré cette année au Havre permet à Skertzò de proposer aux Havrais et aux nombreux touristes qui découvrent la ville un parcours nocturne original composé de deux spectacles et d’une installation.
« Perspectives », le premier spectacle, est projeté sur la façade de l’Hôtel de Ville, monument emblématique de la Modernité imaginée par Auguste Perret. Un écran monumental, tout de verre et de béton pour rendre hommage aux bâtisseurs et à leur vision avant-gardiste de l’urbanisme, à leur volonté d’imaginer avant l’heure une culture libre et nouvelle de « l’habiter », de proposer des habitations ouvertes et lumineuses adaptées aux hommes et sachant également s’adapter à leurs envies.
Pour ce spectacle, Skertzò joue avec la trame « invisible » définie par l’Atelier Perret, cette trame qui règle le corps de la ville de manière aussi autoritaire que subtile. Une maille dans laquelle leur travail s’inscrit et qu’il met elle-même en scène ; une maille où la magie de la musique et des images fait revivre la décennie de la Reconstruction, son indicible atmosphère.
« Zootropic » est le second spectacle du parcours. Il habille de lumière les courbes du Volcan, la scène nationale, œuvre d’Oscar Niemeyer. Un lieu dont la poésie architecturale fascine Skertzò ; un lieu que ces amoureux de l’Image associent à l’imaginaire des zootropes, ces objets d’avant le cinéma, tambours percés de fentes au travers desquelles on pouvait découvrir formes, personnages, animaux ou objets animés.
Dès lors, la tentation de retrouver, non loin du port et des grands départs, les principes dynamiques et l’esprit burlesque du pré-cinéma ; l’envie de transformer le monument en une titanesque et éphémère machine à images. Et ainsi, chaque soir, « Zootropic », c’est tout un univers fantasmagorique qui illumine les parois du Volcan, entrainant le public dans une invitation surprenante au rêve et au voyage.
Un voyage qui rappelle que les ports ont toujours quelque chose de Babel, des ziggourats mystérieuses où les langues s’entrechoquent pour former un nouveau langage. Un voyage dont le héros, l’improbable commandant Raoul, est un maillon fort entre ces deux univers propices à l’évasion que sont l’Océan et l’Image.
Enfin, dans la Rue de Paris, véritable trait d’union entre les deux monuments, entre les deux spectacles, Skertzò imagine une installation atypique, une anamorphose, un jeu optique où des lettres de lumière sont accrochées sur des fils ténus.
Des lettres dont le mystérieux message n’est déchiffrable que d’un unique point de vue qu’il appartient à chacun de découvrir.
Avec ce parcours atypique oscillant entre Histoire et Rêves, Skertzò a avant tout la volonté de proposer à ses publics, Havrais ou simples touristes, la possibilité de porter un regard nouveau sur la ville-œuvre.
Parce qu’habiter une ville ou même seulement la visiter, c’est souvent passer devant des édifices remarquables en oubliant de lever les yeux, en oubliant qu’il est possible d’ajuster son regard à l’échelle urbaine pour mieux découvrir les milles détails qui la compose et qui font son identité, sa spécificité.
Une volonté perceptible jusque dans l’habillage des cabines abritant les énormes projecteurs nécessaires au spectacle. Pour l’occasion, elles deviennent en effet les étonnants containers de la ville Port ; des containers dont l’habillage graphique a été conçu comme un hommage à l’architecture Perret devant l’Hôtel de Ville, comme un clin d’œil à l’imaginaire des grands départs près du Volcan.
Une volonté qui a très vite rencontré la faveur du public puisque, alors que les spectacles ne sont diffusés que depuis fin Juin, plus de 45 000 personnes ont déjà assisté au spectacle, redynamisant ainsi le quartier du centre-ville : la preuve en video en visitant le lien suivant http://ma-tvideo.france3.fr/video/iLyROoafY3FP.html. Un succès qui réside dans la force des liens affectifs que Skertzò a réussi à tisser entre la ville et ses publics …
Nos « designers » de rêves seraient ils les maîtres de l’Emotional Dreaming ?
