Inde : le karma est-il bon pour le design ?

Alain Boutigny, maître es-distribution, fondateur avec Gérard Caron des Enseignes d’Or, éditeur de presse spécialisée du commerce, nous fait le cadeau d’un papier sur la distribution en Inde, après avoir visité les centres commerciaux du cru.

Un article formidable qui donne un aperçu de la réalité à ce jour, loin des grands titres dithyrambiques des médias.

A dévorer !

Le karma est-il bon pour le commerce ?

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Je reviens de l’Inde et je n’ai qu’une seule certitude : pour y comprendre le commerce, il faut avoir de bons yeux ! La chance dramatique de la Chine concurrente, à cet égard, est son éducation communiste qui lui a donné des structures rationnelles. Ici, rien de tout cela. Les classes sociales s’ajoutent aux religions, les trente-trois millions de divinités aux multiples climats et les centaines de professions, avec leurs rites, aux quatre castes dont les brahmanes, les esprits, les purs, occupent la plus haute, laissant la seconde aux princes et aux soldats et la troisième aux… commerçants !

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Ça commence mal. Il s’ensuit une panoplie de places marchandes les plus variés allant du misérable alignement noirâtre de tentes en plastique des entrées de villes au centre commercial acceptable, en passant par le bazar traditionnel fait des mêmes boîtes en béton qu’à Casa ou Saigon, le new market survivance des marchés de la colonisation, avec leurs alentours de boutiques parfois à l’enseigne Adidas, Bata ou Pepe Jeans, et les malls croupion des grands hôtels abritant Vuitton, Gucci, Dior et Hugo Boss. Toutes nos enseignes s’interrognet donc sur ce sous-continent. Certain y envoient des émissaires. Beaucoup en reviennent bredouilles, en tous cas circonspects. On le serait à moins…

Car, à l’évidence, les places sont chères. Elles se résument à de rares avenues comme la South Extension de Delhi, où trônent Mango, Lacoste, Levi’s et Mac Donald, effroyable pénétrante à huit voies interdite de traversée, ou la belle Chworinghee Road (Nehru) de Calcutta dont les arcades abritent timidement Reebook et Bata, omniprésent. Et, naturellement, aux centres commerciaux : l’espoir de toute une génération qui se rêve bientôt habitant dans les tours en construction aux abords aisés des mégapoles… Cette Inde-là n’est pourtant pas pour tous ni pour tout de suite.

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Elle se contente de sites commerciaux de toute première génération parfois interprétée comme un propret souk à étage. Leur ambiance banale est faite de solides blocs rectangulaires, sommaires, similaires dans leur architecture d’atrium central éclairé par des demi cylindres de plastique, leurs carrelages au sol et leurs rampes en Inox. Leur intérieur, souvent climatisé à la va-vite, sonorisé à la folie et sécurisé jusqu’au délire par des portiques de détection, des gardes pour chaque escalator (un instrument bien mal commode pour les saris !) et chaque magasin, raidissent le visiteur. Les malls en cul-de-sac y sont une spécialité, les murs aveugles une tradition, les parkings inexistants ou rudimentaires.

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Et les enseignes peu présentes. Pizza Hut domine, suivi de McDo, d’Adidas et de Reebook : le fast food et le sport. Ensuite, pas grand-chose encore. Dans les 60 ou 80 points de vente (sans alimentaire) qu’abritent les Forum ou les City Centre de Calcuta, les City Square, les Tdi Mall, les West Gate et les Hudco Place de Delhi ou les Crystal Court, les Gauran Tower ou les City Pulse de Jaïpur, on ne rencontre, outre les chaînes déjà citées, que Swarowski, Benetton, Guess, Marks&Spencer, Kipling, Next, Esprit, The Body Shop, Kapa, Rockport, Kfc, Docker’s, Bose, Nike, Subway et Baskin Robins. Quelques chaînes locales de grands magasins (Shopper’s Stop, Piramyd, Life Style) ou de spécialistes comme Pantaloons, Woodland (sportwear) ou Planet M (musique).

Etam en plus, qui projette une centaine de magasins dans l’Union à la fin de l’année. L’enseigne avait déjà eu raison trop tôt en Chine – où elle aligne aujourd’hui 2 000 points de vente ! L’Inde, avec son dollar quotidien par tête, ses 800 millions de misérables, ses 25 % d’hommes et ses 50 % de femmes analphabètes ressemble toujours à un squat universel installé dans gigantesque dépotoir. Ses 200 millions consommateurs aisés ou très aisés, la place qu’elle occupe entre l’Asie et l’Occident sur la route de la mondialisation et le temps qu’il faut pour la déchiffrer oblige néanmoins à se demander « s’il faut y aller ».

Et à se poser la question tout de suite.