Pack in France…

Pourquoi un Belge écrit-il sur le packaging design français, vous direz-vous sans doute ? Simplement parce que ce Belge, packaging designer depuis 30 ans, fondateur de d/g* brussels qui appartient au groupe français Desgrippes Gobé – www.dga.com – est un spécialiste des produits et emballages de grande consommation d’Europe et d’Asie.
Et qu’il est toujours bon d’avoir un point de vue extérieur, pas vrai ?…

Made in UK

Que dire des emballages français ?

Lorsque l’on visite un supermarché, n’importe où dans le monde – et je le fais souvent – on se fait une idée très précise de la culture, de la technologie, de la richesse, de la créativité, du niveau de civilisation, de l’indépendance économique et des habitudes alimentaires de ce pays. Un supermarché est un vrai microcosme et un laboratoire d’étude fantastiquement intéressant.

La Belgique est située entre la France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Hollande. De Bruxelles, après une heure de route à peine je peux visiter les supermarchés des pays limitrophes, 3 petites heures me séparent de ceux d’Angleterre. Je prépare actuellement une grande exposition sur les emballages de ces pays. Exposition qui sera présentée à Hong Kong, Shanghai, Séoul et Tokyo cette année. Je reviens donc d’un gigantesque store-check pendant lequel j’ai vu des dizaines de milliers de produits. J’en ai acheté plus de 500, représentatifs des tendances d’aujourd’hui.

Made in France

Ce qui est frappant en Europe c’est la différence considérable d’un pays à l’autre. Un supermarché Albert Hein à Breda (Hollande) n’offre à ses clients aucun emballage similaire à ce que l’on trouvera chez Auchan à Lille (France) séparés d’environ 150 km seulement. Visiter un magasin Tesco à Ashford (UK) c’est découvrir des milliers d’emballages inconnus sur le continent séparé de l’île par 30 kilomètres d’eau. Idem pour les supermarchés d’Italie, d’Espagne, de Suisse, de Grèce, de Russie, de Malaysie, d’Irlande, du Portugal que j’ai visités en 2005, rien ou alors très peu d’emballages communs. Et si on compare à Tokyo, Shanghai ou Chicago alors, on est sur une autre planète.

Que dire des emballages français ? D’abord que la France est un grand pays agricole où les gens aiment bien manger et boire. Que la France est un pays créatif (mode, industrie, cuisine, art,…) mais aussi très traditionnel. On peut aussi dire que les Français sont très fiers d’eux et parfois peu ouverts aux autres cultures. Tout cela se voit bien sûr dans leurs emballages.

Made in UK

Le vin ou la bouteille, quel est le préféré du consommateur ?

Vouloir ici faire le bilan de tous les emballages français est un leurre. Car la France est un pays aux industries nombreuses. Il y a bien sûr le luxe (parfums, produits de beauté, bijoux, alcools fins,…) dont la majorité s’exporte. Le 5 de Chanel sera le même partout dans le monde, comme la bouteille de champagne Laurent Perrier et le shopping bag de Louis Vuitton. Il y a aussi les vins.

Qu’ils soient de consommation locale ou internationale, il faut reconnaître que la France est en retard côté design. Ce sont les pays comme l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Argentine… qui font travailler les designers d’emballages et qui ont inventé le winemarketing.

La France fermée…

La France s’est malheureusement refermée sur son traditionalisme en pensant que la qualité du produit primerait sur le design. Grosse erreur. Le consommateur d’aujourd’hui, est plus sensible au design de la bouteille qu’il mettra à table qu’à l’appellation, l’origine ou le millésime. Concentrons nous donc sur ce qui est particulier chez les Français : la bonne chaire, la boustifaille…

Il faudra aussi considérer différents moyens de commercialisation des produits. D’un côté les multinationales, qu’elles soient françaises (Danone, Bongrain, Bonduelle, Lactalis,…), Européennes (Nestlé, Unilever, Cadburry,…) ou Américaines (Coca-Cola, PepsiCo, Campbell’s, Kraft, SaraLee, Masterfood,…). D’un autre côté les distributeurs (Auchan, Carrefour, Leclercq, Monoprix, Casino, Picard,…). Et d’un troisième côté la quantité de sociétés Franco-françaises dont le marché dominant est l’hexagone (Fleury Michon, Kronenbourg, St-Mamet, Daucy, Oasis, Lesieur, Charal,…)…

Made in UK

Gourmandise, péché mignon ou péché capital ?

Le Français est donc un bon vivant et la France un pays riche en traditions culinaires.
Et cela influence la structure et la forme des boîtes et étiquettes. Les courbes et les rondeurs sont dominantes. Les produits sont traités en gros plan, très appétissants, mis en valeur plus qu’il ne faut. La tradition est très présente, soit par l’utilisation de matières et textures imitées comme le bois, le tissus vichy, la paille tressée, les typographies manuscrites. On y voit des photos anciennes, des personnages légendaires, des paysages typiques, des vaches et des fermes.

Made in France

Du catholicisme au protestantisme.

Mais c’est aussi un pays de culture catholique. Cela se traduit par l’utilisation de typographies semi-bold, italiques, bas de casse, souvent alignées sur des courbes.

Les couleurs sont vives mais restent naturelles. Les emballages sont chargés. Le designer français aime que son emballage soit bien rempli, comme le sont les églises baroques ou le palais de Versailles. On y ajoute des macarons de toutes sortes pour dire que le produit est 100 % ceci, 0 % cela, prêt en 5 minutes, élu produit de l’année, riche en goût, sans OGM, bon pour le cœur, fabriqué (avec amour) comme dans le temps, en provenance de telle région, fait avec de la volaille qui cours en liberté, péché par des pécheurs français,…

En comparaison, dans les pays de tradition protestante (Angleterre, Hollande, Scandinavie), on trouvera des typos sans empattement, droites, alignées à l’horizontales, des structures rigides. Le design est souvent très élégant, l’esthétique prime souvent sur l’appetite appeal. Les couleurs seront froides (des gris, argent, noir, couleurs sombres) ou flashy et excentriques (vert pomme, mauve, orange, rose,…), principalement au Royaume Unis.

Les mentions sont regroupées d’une façon structurée et minimaliste.

Mais avec parfois une touche d’humour et toujours beaucoup de créativité chez les Anglais.

Made in France

Hip, Hip, Hip… Hyper !

En France, l’hypermarché gigantesque, situé aux alentours des villes est l’endroit privilégié pour l’achat des produits de tous les jours. Chaque consommateur possède sa voiture, parfois même deux voitures par famille, et le pouvoir d’achat est élevé. Le caddy de la semaine pour une famille moyenne de 4 personnes tourne aux environs de 150€. Il en résulte qu’on trouve beaucoup de produits différents car la place ne manque pas en rayons mais aussi que les gros volumes sont nombreux. L’eau minérale s’achète systématiquement par 6 bouteilles de 1,5L, ou par bouteilles de 3 litres. Idem pour le Cola, le vin qui est vendu aussi en containers de plusieurs litres. Les yaourts s’achètent par 8 ou 12 pots… etc.

Cela a bien sûr une répercussion sur le design des packagings. En effet, plus l’emballage est grand, plus le designer a de l’espace pour s’exprimer. Et il ne s’en prive bien sûr pas.

Il me faut aussi remarquer que la France est un pays qui permet à des designers issus d’autres univers, comme Philippe Stark, Jean Paul Gaultier, Castelbajac, Christian Lacroix, Jean Nouvel,… de s’exprimer dans les produits de grande consommation, souvent pour des séries limitées, pour y apporter une touche particulièrement créative.

Je vous convie donc, la prochaine fois que vous viendrez en France, à visiter quelques supermarchés car sans conteste la France est un des plus grands pays du packaging Européen.

À bientôt

Made in France

Cet article a été écrit pour être publié dans la publication Russe « Identity Magazine »

Jean Jacques Evrard.

Lion dans le zodiaque occidental, Tigre dans le zodiaque oriental, il est né le 10 août 1950 et est passionné des supermarchés, de Tintin, d’aviation, de voyages et d’architecture. Il créa, avec son épouse Brigitte, l’agence d/g*brussels qu’ils dirigent encore aujourd’hui. Ensemble ils ont remporté plus de 30 awards. Ils organisent régulièrement des expositions sur les emballages et produits de grande consommation. Shopping in Tokyo I fut présentée à Bruxelles en 1995, Shopping in Cartoons en 1996 et Shopping in China en 2000. Shopping in Tokyo II fut exposée en 2003 à Bruxelles et Paris et en 2005 à Stockholm. Jean Jacques Evrard est aussi l’auteur, avec Brice Auckenthaler de « What If ? » un livre vitamines sur les tendances – éditions www.passion4brands.com

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