Designers de paradoxes

Lorsque les designers s’interrogent sur leur avenir, ils n’ont aucune raison de s’inquiéter. Il va y avoir du travail… En revanche, sur la nature de ce qui leur sera demandé et sur la manière de le faire, ils ont des raisons d’être beaucoup plus sceptiques.

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Au Château de Ferrières en Seine et Marne, s’est tenu le vingt-neuvième congrès du PDA (Pan European Brand Design Association). Cette association, qui compte près de quatre-vingts agences membres réparties dans dix-huit pays, avait choisi un château, fleuron du patrimoine national, pour débattre sur l’avenir du design : thème de la journée.

Un lieu historique, décoré dans la plus pure tradition française du dix-neuvième siècle, pour discuter d’avenir peut paraître paradoxal. D’autant plus qu’un designer qui se respecte, doit être à la pointe de l’innovation et avoir quelques longueurs d’avance sur les tendances. Le contraste était saisissant. Macintosh derniers modèles, télécommandés par téléphone portable, présentations audio-visuelles sur écran plasma géant, musique électronique au milieu d’une salle dont les moulures dorées à l’or fin rivalisaient avec les sculptures baroques perchées sur le piédestal en marbre. Tout compte, ce côté quelque peu décalé faisait sens, tant les intervenants nous ont parlé des extrêmes toute la journée. En effet, l’avenir du design ne semble pas vouloir jouer dans les nuances.

Le ton été donné dès l’introduction dans le message d’accueil de Shan Preddy. « Ce château est à l’image de ce que nous vivons quotidiennement dans notre profession. Son style vous semble Français, pourtant il a été conçu et réalisé en 1855 par Sir Paxton, architecte du Royaume d’Angleterre. Les créatifs ont toujours travaillé hors de leurs frontières en adaptant leur oeuvre aux contraintes locales et à celles de leur commanditaire… ».

Premier paradoxe : être global, paraître local…

Europe à vingt-cinq, mondialisation, demain encore plus qu’hier, le designer devra créer pour répondre aux attentes d’une cible de plus en plus large. Cependant, pour gagner encore plus en proximité, ces créations internationales devront paraître locales, même si celles-ci proviennent d’un tout autre pays d’origine. Le designer devra savoir s’adapter à une culture locale tout en respectant les impératifs de la globalisation des marques.

Second paradoxe : plus de packaging, moins de déchets d’emballage…

La présentation suivante sur l’avenir du design packaging, a elle aussi soulevé une contradiction à laquelle le créatif devra trouver une solution. Pour répondre aux attentes d’un consommateur en perpétuelle mutation et de surcroît de plus en plus exigeant, les designers vont créer de plus en plus de packagings spécifiques. À l’avenir, un même produit aura un conditionnement selon l’age de son utilisateur, son instant de consommation, son lieu de consommation, son bénéfice d’usage… Le contenu ne changera pas sensiblement, le packaging fera la différence et il sera produit en masse dans le monde entier. Parallèlement, notre planète s’épuise. Nous n’avons pas les ressources d’un tel développement exponentiel. La réduction à la source des matériaux d’emballage, un meilleur recyclage, voire la réutilisation des emballages, l’assistance à trier et à bien jeter sont des impératifs pour les générations à venir.

Troisième paradoxe : petites locales, grosses internationales…

Debora Dawton, responsable du DBA (Design Buisiness Association), association regroupant près de 200 designers en Grande Bretagne a, elle aussi, mis en exergue des notions opposées. Selon les études réalisées par son association, dans le future il n’y aura de place que pour deux types d’agences. Des petites locales de dix à vingt collaborateurs maximum. Hautement spécialisées dans une discipline du design, ces agences devront être toujours plus dynamiques, pro-actives, critiques et forces de propositions pour leurs clients. À l’extrême, nous trouverons de très grosses agences, beaucoup plus généralistes capables d’accompagner les multinationales dans leur développement planétaire. Selon Debora Dawton, « L’agence qui se situe entre les deux est promise à un avenir incertain, car peu rentable… »

William Lunderman

Quatrième paradoxe : conseillers de confiance, mise en compétition…

« Mon agence de design doit être mon miroir, mon confesseur, mon mentor » a proclamé William H. Lunderman, vice-président design global de Campbell Soup Company. « Notre relation doit s’inscrire dans la durée avec une vision à long terme… ». Ces propos ont laissé rêveur bon nombre de designers présents dans la salle. Notre profession est mise en compétition de manière systématique, les négociations de marchand de tapis avec les services achats des grandes entreprises sont devenus récurrents…