Packaging et art ? Oui !

L’art est une source d’inspiration, propice au détournement ou à l’appropriation pour les uns, le packaging est un nouveau support d’expression témoin du quotidien pour les autres. Les échanges se font dans les deux sens. Les designers puisent dans le patrimoine artistique, les packagings inspirent les artistes. La complicité est si forte qu’un grand nombre d’artistes ne rechigne pas à troquer son support de prédilection pour s’exercer à l’emballage.

Fabrice Peltier, président de P’Référence, nous invite dans son musée imaginaire…

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Art et packaging, une relation privilégiée…

Dans la première moitié du vingtième siècle, la publicité et le décor des emballages pour les produits de grande consommation étaient souvent créés par des artistes de renom. Mucha, Lautrec, Cappiello, Cassandre ces noms résonnent encore aussi bien pour la qualité de leur oeuvre artistique que pour leur contribution à la vente des produits sur lesquels ils ont exercé leur talent.

Simultanément, les Américains nous enseignent que la communication et la promotion des ventes sont des affaires de spécialistes. Des domaines d’activités réservés aux équipes marketing qui délaissent rapidement les artistes. Certes, ces derniers avaient du flair pour faire vendre les produits, mais ne se laissaient pas si facilement enfermer dans une méthodologie rationnelle et rigoureuse.

Les agences de publicité vont alors prendre la relève. Ce sont elles qui vont créer les messages pour les différents supports de communication, puis feront appel à des artistes pour réaliser les visuels. Pour assurer l’interface entre les créatifs et les artistes, un poste a été mis en place dans les agences : l’acheteur d’art. Sa fonction consiste à dénicher le talent pour réaliser la campagne et bien évidemment, pour négocier sa prestation et les droits de reproduction de son œuvre.

Dans l’univers du packaging, nous assistons à peu de choses près au même phénomène. Les agences de design, elles aussi achètent des photographies et des illustrations à des artistes pour réaliser les créations acceptées par leurs clients des services marketing. Malgré tout, les arts majeurs, la peinture, la sculpture et l’architecture continuent à entretenir un rapport étroit avec le design packaging.

Une démarche souvent mal comprise…

Nombreux sont les défenseurs de l’intégrité artistique qui dénoncent l’utilisation des œuvres d’art à des fins commerciales. Ils considèrent cette démarche comme une exploitation honteuse, un plagiat , un vol… Penser que les designers ont recours au patrimoine artistique comme à un réservoir de sens et une banque d’images libre de droit pour combler leur manque d’idée est erroné. Certes, dans le processus de conception, les créatifs trouvent dans l’art des modèles graphiques exemplaires, des stimulus qui leur permettent de réaliser des packagings attractifs et efficaces, mais en aucun cas ils se permettent de revendiquer la paternité d’une œuvre et cherchent à cacher leur source d’inspiration.

Deux grandes familles de packagings artistiques :

LOrealw.jpg – La référence

Ce sont des décors de packagings qui s’inspirent du travail ou du style d’un artiste. C’est le cas de Studio Line de l’Oréal qui puise directement son décor dans les compositions de Piet Mondrian. Basic Homme de Vichy, reprend des études de la physionomie humaine de Léonard de Vinci dans son logotype. La liste n’est pas exhaustive, elle est simplement représentative d’un procédé que l’on peut apparenter à une imitation de la thématique ou de la technique d’une oeuvre.

– La reproduction

Cette catégorie comprend tous les types de copies et de reproductions totales ou laitierw.jpgpartielles d’œuvres originales dans le décor du packaging. La Laitière de Nestlé par exemple n’est autre qu’une reproduction de la laitière peinte par Johannes Vermeer au XVII ème siècle. Le café San Marco reprend un détail de La Création d’Adam peinte par Michel Ange sur la voûte de la Chapelle Sixtine. Certaines boîtes de chocolat ou de gâteaux comme celles de Delacre présentent comme unique décor l’intégralité d’un tableau de maître. Ces emballages qui sont souvent réutilisés une fois vidés de leur contenu, deviennent de nouveaux vecteurs de diffusion de l’art. Ainsi l’art ne demeure pas l’apanage d’une élite intellectuelle et sort des livres et des musées.

Des emprunts mutuels…

Si l’art est stimulant pour les designers, du côté des artistes, la vie quotidienne reste une source d’inspiration intarissable. Il n’est donc pas étonnant que des peintres modernes mettent en scène des packagings dans leurs œuvres. En 1912, ampbelw.jpgPicasso peint « Verre et une bouteille de Suze ». Quatre-vingts ans plus tard, cette toile est reproduite en série limitée sur la bouteille vendue au grand public. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Andy Warhol n’est pas l’auteur du design des packagings Campbell’s. Il s’en est servi de modèle pour composer plusieurs de ses sérigraphies. Keith Harring a décoré un magnum de scotch J&B sur le thème de « La danse, la fusion des corps et la gueule de bois ». Le sculpteur César lui, a compressé à plusieurs reprises des emballages.

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Du packaging à l’objet d’art…

La maison de Champagne Taittinger a bien compris qu’il existait une passerelle évidente entre le packaging et l’art. Certaines de ses bouteilles sont même devenues de véritables objets d’art. Depuis 1983, des artistes reconnus décorent les grands millésimes de la marque. C’est Victor Vasarely qui a inauguré une série qui s’est enrichie par la suite des signatures d’Arman, André Masson, Vieira da Silva, Roy Lichtenstein, Hans Hartung, Toshimitsu Imaï, Corneille et Matta. Aujourd’hui il n’est plus rare de voir des marques faire appel à des artistes de toutes disciplines pour concevoir des emballages événementiels. La dernière bouteille de Suze créée par Christian Lacroix en est un parfait exemple.

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Le catalogue de l’exposition « L’Art dans la Pub », présentée l’été 2000 au Musée de la Publicité avance une comparaison polémique entre les deux univers créatifs qui semblent avoir du mal à cohabiter : « Les rapports qu’entretiennent l’art et la publicité sont similaires à ceux qui existent traditionnellement entre l’art et l’archéologie : les premiers auraient en charge le noble, l’intemporel alors que les secondes se contenteraient de l’ignoble quotidien. » Le design packaging se positionne sans complexe dans la quotidienneté. Il ne revendique aucunement le statut d’œuvre d’art. S’inspirer ou emprunter dans le patrimoine artistique de la matière et du fond pour concevoir le design des packagings, tout comme voir des artistes s’exercer au design packaging n’a rien de choquant. Il s’agit même d’une véritable opportunité pour que les démarches artistiques soient mieux appréciées par le grand public.

Enfin, si dans quelques milliers d’années nos descendants retrouvaient des vestiges d’emballages dans leurs fouilles, nul doute que ceux-ci seraient exposés dans un musée comme un témoignage artistique et culturel d’une époque lointaine…