Agences : des idées pour fidéliser ses clients…

Manfred Mack, un Américain de Paris, conseille les entreprises dans les nouveaux modes de management. Auteur de plusieurs livres, il est par ailleurs, animateur du groupe de réflexion « Entreprise et Avenir » qui planche sur une nouvelle logique de l’entreprise du 21ème siècle.
Son dernier ouvrage « Pleine Valeur » décrit une méthode pour créer une nouvelle dynamique qui génère de la valeur et donc le succès.

Et si le design appliquait ces règles, ça marcherait ?
Gérard Caron lui a posé la question.

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Pleine Valeur : des idées pour une nouvelle façon d’interagir avec ses clients.

Gérard Caron : Manfred Mack, pouvez-vous nous indiquer quelle est l’idée centrale de votre ouvrage
« Pleine Valeur » ?

Manfred Mack : Il part d’un constat simple, à savoir que le problème de base de beaucoup d’entreprises est lié à un défaut dans leur logique de fonctionnement. Et ces entreprises n’en sont pas conscientes parce que, dans leur métier, les autres fonctionnent de la même façon. C’est le cas dans le design également à ce que je crois. La conséquence est que les entreprises s’essoufflent, pédalent de plus en plus fort, avec souvent en retour des résultats qui plafonnent.

Ce défaut de fonctionnement peut se corriger en repensant la notion même de valeur et en organisant différemment les processus qui créent de la valeur. _ Aujourd’hui, les acteurs-clé de l’entreprise ont une conception restrictive de la valeur : elle consiste à n’attacher d’importance qu’à ce qui est lié, directement ou indirectement, à la valeur créée pour l’actionnaire, donc aux résultats financiers à court terme, donc, dans l’acte d’achat, à faire baisser le prix, donc à aborder la relation client-fournisseur dans un esprit d’hypercompétition dans laquelle les affaires se gagnent à coup de réduction des prix de la prestation ou du produit.

Je pense que cette logique-là finira par être auto-destructrice pour les entreprises qui continueront à la pratiquer avec obstination. Dans vos métiers du design vous êtes confrontés aussi à des appels d’offres non, ou peu rémunérés…

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GC : Oui, mais comment est-il possible de faire autrement ? N’est ce pas là la réalité, certes dure, de notre système capitalistique ?

MM : Des exemples d’entreprises que je décris dans le livre montrent qu’il est possible de faire autrement. Pour cela, il convient d’élargir sa perspective concernant ce qu’est la valeur. De considérer qu’elle est synonyme « d’effet bénéfique » à différents niveaux, aussi bien financier que non financier, quantitatif que qualitatif, matériel qu’immatériel, dans le résultat « final » que dans les résultats intermédiaires. Ainsi, on en vient à s’intéresser, dans le système entreprise, aux interactions dynamiques qui engagent l’ensemble des parties prenantes – entreprise, client, équipes multi-disciplinaires, partenaires – dans un processus de co-création de la valeur. Pour cela, il faut, entre les acteurs, un fort degré de proximité, d’intimité, d’échange d’informations, de dialogue créateur, de confiance mutuelle. Il faut aussi se mettre dans une posture qui permet d’avoir la vision globale des choses, pour observer qu’une intervention, même modeste, à un endroit donné du système, peut modifier son fonctionnement de façon décisive et ainsi entraîner une manière d’opérer plus performante ( donc plus rentable) de l’ensemble.

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GC : Tout ceci laisse entrevoir des pistes. Mais comment en dégager des réponses concrètes pour le métier de designer ?

MM : J’ai envie de parler d’un exemple concret d’entreprise qui a réalisé une transformation majeure de son mode de fonctionnement avec des résultats remarquables. Il s’agit d’une entreprise dans un métier différent, à savoir le BTP… Mais on verra qu’il y a des enseignements pertinents pour les dirigeants d’agences de design.
L’entreprise est connue puisqu’il s’agit de Spie-Batignolles. J’en parle dans mon livre et elle m’a autorisé à la citer en exemple. Avant sa transformation, Spie-Batignolles, comme les autres entreprises de la profession, répondait systématiquement aux appels d’offres émanant de donneurs d’ordre potentiels. Ces derniers attribuaient l’affaire au « moins disant » parmi les offreurs, souvent en exigeant un « effort supplémentaire » (sur le prix) avant de signer la commande. Ce processus diabolique, surtout lorsque pratiqué en période de faible activité, avait pour conséquence de forcer les intervenants, comme Spie-Batignolles, à réduire leurs marges à pratiquement zéro et, périodiquement, à réduire les effectifs, d’où des plans sociaux à répétition.

Un examen critique et lucide de la situation a permis de se rendre à l’évidence que c’était la logique de fonctionnement par appel d’offre qui était la cause profonde de tous les problèmes récurrents de l’entreprise.
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Spie-Batignolles décida de se sortir du système en adoptant une autre approche vis-à-vis de ses prospects et clients. Elle mit en œuvre ce nouveau mode de fonctionnement, initialement à titre expérimental, avec quelques clients industriels. Il s’agissait de proposer au donneur d’ordres potentiel un « contrat » différent disant en substance : vous avez un ouvrage à construire (par exemple un nouveau siège), nous vous proposons de nous donner une exclusivité sur cette affaire. Nous conviendrons ensemble d’un « prix estimé initial ». Nous constituerons une équipe de projet mixte composée de spécialistes des deux partenaires. Cette équipe effectuera une étude d’optimisation de la conception de l’ouvrage. Tous gains réalisés par rapport au prix estimé initial seront partagés entre le donneur d’ordre et nous selon des modalités fixées au départ.

GC : Il me semble qu’il y a en effet là des pratiques qui sont applicables à la manière dont l’agence de Design s’y prend pour approcher le client. Le fait de prévoir une phase préliminaire au cours de laquelle prestataire et client réfléchissent ensemble à la manière de traiter le sujet, interagissent donc pour co-créer une démarche, se donnant la possibilité de porter un regard global sur ce qui crée de la valeur – tout cela pourrait avoir des effets bénéfiques pour le client, comme pour l’agence de design.

MM : Oui, car cette approche, pratiquée aujourd’hui par Spie-Batignolles sur de nombreuses affaires a donné des résultats qui dépassent toutes les attentes. Les clients concernés sont très satisfaits (délais, prix et objectifs de qualité sont parfaitement respectés), l’entreprise a amélioré sa performance de façon significative, les équipes qui travaillent dans cette nouvelle approche n’ont plus envie de revenir à « l’ancienne façon ».

Avec peu d’aménagements, ces lois, sont appliquables dans le domaine du design !

En savoir plus :

Livre « Pleine Valeur » de Manfred Mack, 21 € , éditions Insep Consulting à la Fnac et autres librairies.

Association « Entreprise & Avenir“, adhésion annuelle 150€. tél. 060-863-0747