Générations et design…

Hier, les grandes marques se voulaient transgénérationnelles. Aujourd’hui, elles s’adaptent aux besoins spécifiques
de la vie de leurs consommateurs selon leur âge. L’exercice est délicat car rares sont ceux qui pensent que leur esprit a le même âge que leur corps. Quelles sont alors les clés d’un design générationnel approprié ?

Vers la fin des années
1980, pour continuer
à assurer leur croissance,
des marques de produits
familiaux de grande
consommation ont commencé
à segmenter leur
offre selon les tranches
d’âge de leurs consommateurs.

Durant une première
période qualifiée « d’ère de
l’enfant-roi », sont apparus des
produits et des packagings exclusivement
destinés aux jeunes.
Jusque-là, à l’exception de quelques
marques qui s’adressaient
spécifiquement à eux, les enfants
n’avaient pour seul choix que de
consommer les produits de leurs
parents, qui, par ailleurs, s’avéraient
être aussi ceux de leurs
grands-parents.

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Les principaux marchés qui se
sont attaqués à la cible juvénile
sont ceux de l’Hygiène-Beauté,
des produits élaborés alimentaires
et des boissons. Les extensions de
gamme, les lancements de nouveautés
baptisées « P’tit », « Kid’s »
ou tout simplement « Enfant » se
sont multipliés. Aujourd’hui, les
jeunes disposent d’un grand
nombre de produits qui leur sont
exclusivement destinés. La majorité
de ces références est directement
issue d’un savoir-faire
qui, originellement, ne s’adressait
qu’aux adultes. Nos bambins ont
même leur champagne sans alcool
pour faire la fête…

Le design des produits de grande
consommation pour enfants s’est
cherché pendant quelques temps
avant de trouver ses marques.
Effectivement, agir sur les bons
leviers et effectuer les bons
réglages n’est pas une opération
aisée, tant s’adresser à cette tranche
d’âge hétérogène est complexe.
Les premières créations mises sur
le marché reposaient bien souvent
sur une vision imaginaire que les
adultes se font de l’univers enfantin.
Si les formules des produits
présentaient de réelles spécifications,
en revanche, leurs emballages
n’apportaient aucun bénéfice
fonctionnel supplémentaire adapté
à la consommation des plus
jeunes. Tout juste des décors graphiques
plus ludiques et très colorés
 : les packagings offraient des
représentations iconographiques
simples, voire naïves, comme
celles de dessins d’écolier, des personnages
traités à la manière d’un
dessin animé ou d’une bande dessinée
fleurissaient de tous côtés,
des typographies manuscrites faisaient
passer des messages de réassurance
aux mères de famille…

Cette conception assez primaire
du « design junior » a
certes eu pour mérite de
signaler aux mamans que
le produit exposé en
rayon était destiné à leurs
petits. Cependant, ces
décors n’ont pas toujours
permis de séduire et de
fidéliser l’enfant qui ne
s’identifiait pas à l’image
qui lui était montrée. Il
pensait à juste titre qu’on
le prenait pour un bébé !

En effet, un enfant se projette
systématiquement
dans une représentation qui aux
yeux des adultes correspond
à un âge supérieur au sien.
D’ailleurs, les jouets du grand
frère sont toujours bien plus intéressants…
Sur le packaging, l’enfant
ne souhaite que le graphisme
signifie explicitement son âge. Par
contre, il apprécie et ne perçoit pas
comme un élément discriminant
tout ce qui relève de l’aspect fonctionnel
 : ergonomie, service, assistance
à l’utilisation…

Pour créer
une adhésion durable entre les
jeunes, la marque et le produit, le
juste milieu repose donc sur un
bon équilibre entre un contexte
visuel ludique qui vise légèrement
au-dessus de l’âge de la cible à
atteindre et des atouts fonctionnels
qui collent parfaitement à ses
caractéristiques physiologiques.

Adapter la fonctionnalité

Après avoir conquis les jeunes et
vérifié que la démarche était fructueuse,
les équipes marketing ont
visé l’autre extrémité de la chaîne
générationnelle. A partir de la fin
des années 1990 sont apparus les
premiers produits pour les seniors.
Là encore, l’exercice du design
s’avère délicat. Car si les enfants se
montrent susceptibles en ce qui
concerne leur âge, il s’agit d’un
véritable tabou pour les plus de
50 ans qui sont toujours et veulent
encore rester jeunes. Comment
présenter des formules spécifiques
à leurs problématiques de vie quotidienne,
sans pour autant donner
l’impression qu’il s’agit de produits
pour vieux ? La marge de
manœuvre est très faible pour des
marques que, dans la plupart des
cas, ils ont vu naître.

Pour les aider
à abandonner les produits qu’ils
utilisaient depuis des années et les
faire passer à des solutions mieux
adaptées à leur condition, beaucoup
de designers optent pour un
graphisme plus « haut de gamme ».
Le simple fait de choisir des couleurs
plus foncées, d’ajouter un
peu d’or à chaud sur le packaging
en partant du postulat que cette
cible est plus aisée, reste encore
une vision trop superficielle du
« design senior ».

Comme dans le
cas des enfants, c’est la fonctionnalité
qu’il convient d’adapter aux
critères physiologiques et culturels
de la cible. Nous devons donc privilégier
les typographies plus
lisibles et les grossir ; rendre les
produits encore plus faciles à
manipuler sans que ceci soit forcément
identifiable visuellement.

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Via ces nouvelles segmentations
par âge, les entreprises doivent
bien entendu adapter leur savoir-faire.
Mais aussi elles doivent
apprendre à s’adresser de façon de
plus en plus pointue à des publics
très différents, sans prendre le
risque de créer des ghettos générationnels
et de s’y enfermer. Pour
les aider, le designer ne doit jamais
perdre de vue un paradoxe
 : si, dans sa tête,
le consommateur a
rarement son âge, par
contre, il a bel et bien
l’âge de ses artères.