Albert Boton est un homme que tout designer doit rencontrer au moins une fois dans sa vie. Artisan de la lettre, il est l’auteur de polices de caractères que nous utilisons chaque jour. Ce calligraphe mondialement connu, artisan lettriste de 70 ans, continue de créer et de travailler pour les agences de design et pour l’édition. Admirable Design lui consacrera une série d’articles mensuels sous la direction de notre collaborateur Woody. Aujourd’hui il répond à quelques questions de Gérard Caron. Ecouter Albert est déjà une leçon de professionnalisme et …de vie. Profitons de ce genre de talent en voie de disparition pendant qu’il est encore temps !
La lettre, la base de tous les designs…
Gérard Caron : Bien que je vous connaisse depuis près de 20 ans, c’est toujours un honneur Albert que de vous rencontrer. Des artisans comme vous, calligraphes, lettristes ou « type designers », de votre trempe portent en eux le talent du coup d’oeil juste, de la « tension de la ligne », comme vous dites.
Pourtant, n’est-on pas on tenté de parler de votre métier au passé ?…Alors, où en est la création de la lettre ou du logotype aujourd’hui ?
Albert Boton : Cela existe encore ! Mais il faut reconnaître que de nos jours tout doit être vite fait et pour pas cher…
N’importe qui ayant une notion intelligente d’un Mac peut sortir de son imprimante « quelque chose », de propre, de finalisé, en couleurs et donc de spectaculaire, …Le client lui, n’y verra que du feu !
Le pire est que le designer aura le sentiment que » c’est achevé » ; pourtant les problèmes typographiques, d’équilibre des gris, d’harmonie générale, eux, ne seront pas réglés.
GC : Comment expliquer que nous en sommes arrivés à cette situation là en France ?
Albert Boton : les designers ne sont pas directement responsables : ils n’ont pas reçu de formation, ou si peu et si mal.
Beaucoup d’écoles de design ne donnent plus de formation à la lettre (quelques exceptions : les Arts Déco et l’Ecole Estienne ).
Le manque d’intérêt des professeurs et des élèves est en cause. C’est tellement plus flagrant de montrer sa créativité sur une affiche ! Ignorer la lettre c’est méconn aître ses gammes, c’est jouer de la musique sur le synthé sans connaître les notes.
On navigue dans la médiocrité en France puisque l’on n’enseigne pas l’art dans les écoles d’enseignement général et que plus tard, l’on ne travaille pas la lettre dans les écoles professionnelles.
Je n’en ai pas d’amertume, c’est comme cela mais j’en ai beaucoup de regrets.
GC : Dites-nous qu’il y a des raisons d’espérer !
Albert Boton : En tant que professeur, j’ai formé avec d’autres confrères, des jeunes qui ont appris la lettre à l’ANRT (l’Atelier national de recherche typographique). Aujourd’hui ils enseignent à leur tour et certains commencent à se faire un nom …
GC : Mais dans la mesure où le consommateur ne voit pas la différence entre ce qui est fait selon les règles et le reste, quelle importance ! ? Je me fais l’avocat du diable…
Albert Boton : Oui, je le sais ! Mais beaucoup de designers ne se posent pas cette question.
Pourtant un professionnel, quel que soit son domaine, doit donner à son produit, une qualité maximale ! Le client n’a pas à connaître ce qui doit ce faire ou non. Lui, il fait confiance ; il veut que « ça marche ».
C’est donc de la responsabilité de « celui qui fait » que d’offrir le mieux, même si ce mieux est invisible !
Je mets personnellement la même application à créer une marque pour une petite compagnie que pour une grande. Cette démarche est l’inverse du show off.
Le design parfait c’est aussi ce qui ne se voit pas !
GC : Que faudrait-il pour que cette qualité du dessin de la lettre , voire de la calligraphie retrouve sa place en France ?
Albert Boton : Simplement, si j’ose dire, faire connaître l’importance de la lettre dans tout acte de design ; c’est à dire, à nouveau l’enseigner, valoriser ces cours, intéresser les étudiants à cette discipline.
Bien sûr, on pourrait se passer de la calligraphie, mais il faut avoir conscience que ce serait le signe d’un appauvrissement de notre civilisation.
Nous les professionnels nous avons cette responsabilité à assumer.
Accepter cette situation d’abandon, c’est accepter un échec vis à vis des futures générations.
Photo d’Albert Boton : Woody
Contacter Albert Boton :
albert.boton@wanadoo.fr