Design et comportements d’achats

Les tendances ont-elles une influence sur les méchanismes de nos comportements ? Mode, sociologie et psychologie feraient donc bon ménage…

Le design et comportements d’achat…

L’environnement sensoriel de l’homme moderne est quotidiennement encombré par
20 000 stimulis visuels, 800 mots différents et 150 marques…pour ne retenir,qu’une petite dizaine de ces marques en fin de journée. Et encore, ces chiffres moyens doivent être corrigés à la hausse quand cet homme devenu consommateur, se retrouve dans un environnement marchand comme un hypermarché ou un centre de ville. Alors, que peut-on faire pour que notre produit se distingue parmi les autres dans un environnement saturé de signes ?

Les comportements d’achat et le design
La réponse est pour une grande part, dans son identité, dans sa présentation, dans ses astuces d’utilisation en un mot, dans son design. Son objectif sera essentiellement d’ouvrir un territoire de désirs dans l’imaginaire du consommateur. On me rétorquera qu’il s’agit là de données irrationnelles. Oui, ne nous en cachons pas. Les langages utilisés par les designers sont du domaine des sensations, de l’instinct, des archetypes, des idées reçues qui assaillent tout individu et en particulier, la consommatrice poussant son Caddie ou le cadre chez un concessionnaire automobile ! Nous savons que le consommateur n’a pas un comportement unique devant les produits. L’irrationnel se mêle au rationnel avec des dosages qui varient selon la nature du produit et les circonstances de l’achat… Achète-t-on un sac Vuiton pour sa solidité ? Ou Le Kooto parce qu’il coupe mieux ? Fume-t-on des Marlboro parce qu’elles sont meilleures que les autres ? Et que dire du Ketchupy Amora ? De Pepito ? Le succès de la nouvelle bouteille Evian est-il dû à une soudaine prise de conscience écologique du consommateur ? Ou, n’y verrait-on pas plaisir de l’oeil d’une forme imaginative, du PET clair et joie ludique d’écraser la bouteille sans négliger le bruit violent du plastique que l’on brise ? Car le contenu, lui, n’a pas changé…Voilà un bel exemple de polysensualité dans le rapport qui unit le consommateur au produit.

On distingue généralement quatre types de comportement d’achat :

1- L’attitude fonctionnelle.
L’acheteur ne prend en compte que l’aspect purement utilitaire et fonctionnel du produit. Toute suggestion, tout appel à l’imaginaire serait superflu. L’acheteur s’attache, dans ce cas, à la valeur fonctionnelle du produit. Ce sont les produits basiques de la vie courante qui sont ici visés. Notre sujet du jour, la polysensualité y a peu de rôle à jouer. Encore que…n’oublions pas le produit le plus basique qui soit : le sel. Guérande a su recréer une histoire, renouveler l’offre produit et design, avec le succès que l’on connaît. Dans le monde du marketing, il n’y a pas de causes perdues, il n’y a que des imaginations asséchées ! Mais la lecture de ce livre va les humidifier à coup sûr…L’exemple Camping gaz est là pour rappeler qu’un regard oblique de designer peut faire redécouvrir un produit que l’on croit connaître et donc que l’on oublie.

2- L’attitude analytique.
Le consommateur se transforme en véritable acheteur professionnel, il invente lui-même son propre mode d’achat.. Il soupèse, compare, analyse la qualité, les performances, les prix, le degré de nouveauté. Il décide en liberté et en connaissance de cause…ou tout au moins, le pense-t-il.Les produits de marques de référence ont un rôle important dans cette catégorie. Pour autant, les atouts du design, sont un élément déterminant dans le choix du consommateur ; dans la mesure où ils s’ajoutent à des arguments rationnels. La brosse à dents Signal, le sèche-serviettes Calor et tous les autres exemples pris dans ce livre en sont de parfaites illustrations.

3- L’attitude imaginaire.
C’est celle qui lie les produits à certaines valeurs de mode, à des comportements nouveaux, avec une forte identification du consommateur à la marque. Ici, le design peut être lié à l’effet de mode ; l’appel aux sens est alors, un atout de première importance. Nombreux sont les produits destinés aux teenagers qui entrent dans cette catégorie.

4- L’attitude ludique.
L’acheteur prend ses distances par rapport à sa vie quotidienne ; il cherche le plaisir, l’humour, la rupture.
Ce comportement est d’évidence lié aux achats impulsifs de produits « fun », gadgets ou exclusifs…C’est ce qui autorise de rouler cheveux au vent dans le magnifique Roadster De la Chapelle !

A la lecture de ces quatre catégories, on conviendra que cela réclame du designer, une méthode rigoureuse et une culture professionnelle aussi riche que possible, afin de réaliser le design qui saura éveiller les sens du consommateur. Le designer compétent utilisera tous les moyens qui sont en sa possession : couleurs, formes, mots, matières qui font appel au sens de la vue et du toucher ; dans certains cas beaucoup plus rares, il pourra utiliser les sens de l’odorat et de l’ouie : encre parfumée, papier crissant, bruit d’une portière qui claque…

Dans notre métier vouer sa vie au design, c’est vouer sa vie aux marques. Or celles-ci ont leurs exigences, leurs histoires et leurs points de repères pour les acheteurs. Cela impose une discipline au designer ; les signes, les couleurs, les formes ne sont pas choisies au hasard selon son humeur. Il existe des bases, des codes pour tout acte d’achat qu’il est indispensable d’analyser avant toute nouvelle conception. Ce dernier pouvant être considéré comme étant en soi un media, doit aller à la rencontre de son public, qu’il ne s’agit pas de dérouter ou d’inquiéter par un usage à contre sens …des sens. Auquel cas le produit serait voué à l’échec. Car si les aspects émotionnels et subjectifs génèrent l’acte d’achat, se sont bien ses aspects rationnels et fonctionnels qui en assurent le réachat. Ces deux moments de l’achat doivent agir en concordance.

La perception en question…
Pour fixer les esprits, peut-être est-il bon de donner quelques indications sur la façon dont le consommateur perçoit une marque. Car il y a une explication scientifique à nos comportements, comme on s’en doute…

Aujourd’hui nul n’ignore que notre cerveau est composé de deux hémisphères essentiels : le gauche où réside notre capacité d’analyse, notre masculinité, le droit où réside notre faculté de synthèse, nos émotions, notre féminité. L’art du designer est de passer en permanence de l’un à l’autre…
Le consommateur lui, décodera rapidement les couleurs et les formes, conséquence de son apprentissage aux formes, aux couleurs, aux odeurs, aux sons qui s’effectue de la naissance à l’âge de trois ans ; période pendant laquelle se forme le système nerveux.
Chacun s’est constitué son propre apprentissage des couleurs et des formes qui s’ inscrit dans le cerveaux de manière indélibile.. Il n’en est pas de même d’autres éléments, qui sont intégrés après la formation de notre système nerveux : compter, lire. En conséquence, les textes, les nombres sont des données moins prégnantes que les couleurs et les formes ! On parle ici d’une perception qui se mesure en fractions de secondes, mais elles sont déterminantes au moment du choix sur les linéaires, quand on sait qu’un consommateur moyen parcourt un mètre par seconde dans un hypermarché, et qu’il peut saisir d’ un regard soixante marques en une seconde ! ! Ajoutons à cela qu’il consacre aujourd’hui cinquante minutes en moyenne dans son hyper, là où il passait quatre-vingt-dix minute, il y a quinze ans… Il faut faire vite et agir sur les sens du consommateur autant, ou voir davantage, que sur sa réflexion.

Consacrons quelques instants au plus puissant des langages visuels qui est à la disposition du designer :
la couleur. Elle influence doublement le sens de la perception, puisqu’elle agit non seulement sur nos référents culturels mais aussi sur notre physiologie. Un financier habillé en rose ne sera pas pris au sérieux (ce qui n’eût pas été le cas du temps de Louis XIV, voilà pour la référence culturelle !) ; placé successivement dans deux pièces l’une peinte en rouge l’autre en bleu, un visiteur déclarera une température supérieure de 4° dans la première (alors, qu’elles sont à température égale, on l’avait deviné) ! En 1996, à la demande des réalisateurs de l’émission Envoyé Spécial, je propose sur les antennes de France 2, à quarante consommateurs pris au hasard dans un supermarché, de choisir après les avoir goûtés, entre deux yaourts. L’un était dans un pot bleu ciel, l’autre dans un pot d’une horrible couleur caca d’oie… Trente neuf sont partis en emportant les yaourts bleus qui se révélaient être définitivement « plus doux, plus onctueux, plus… ».Bien entendu il s’agissait de la même marque et de la même qualité de yaourt ! Et les exemples comme ceux-ci sont nombreux. Il est courant d’entendre que nous sommes dominés par nos instincts. Pourquoi en serait-il autrement pour l’Homme devenu Consommateur ?
La forme possède elle aussi son propre langage. Des formes seront naturellement reconnues comme viriles et s’adapteront à des packagings de produits énergisants, de produits de rasage, etc. D’autre formes sont dites féminines , parce qu’elles sont protectrices, enveloppantes, rassurantes. Elles sont adaptées aux produits laitiers, aux aliments des petits, aux produits cosmétiques, à certains objets de décoration, aux arts de la table, etc. La symbolique de la forme, langage complexe, n’autorise aucune erreur.
Les couleurs et les formes sont deux langages qui nous « dominent »puisque, s’adressant à notre inconscient. Pouvoir redoutable, qui bien utilisé est facteur de succès.

Nous avons vu que le consommateur dans ces choix mêlait le rationnel à l’irrationnel ; il en est de même du designer dans l’exercice de sa profession.
C’est le plus sûr moyen de créer des produits à succès à plus forte raison sur des marchés saturés…