Les secrets d’Alien et de son designer

Philippe Carini a conçu le livre de la quadrilogie d’Alien sortie en mai chez Bragelonne. Il en dévoile les secrets et parle de son amitié avec le peintre H. R. Giger, créateur du monstre extra-terrestre.

Il a les dents qui brillent, le monstre sur la couverture. Un vernis sélectif 3D relève les crocs sur un ensemble mat et sombre. La mâchoire à peine entr’ouverte menace. Des traits de lumières, comme des reflets, disent l’éclat, la dureté des incisives, affirment la voracité du monstre. Les yeux ne sortiront pas du noir creusé par le titre en blanc (embossé, en langage d’imprimerie), la créature s’impose. Nul besoin d’en montrer plus. Il s’agit bien d’Alien. Romans et images de la quadrilogie, précise le sous-titre.

Les dessins et les peintures sont de H. R. Giger,  designer de l’Alien.

Conçu par le designer Philippe Carini, ami du peintre H. R. Giger à l’origine du design du « xenomorphe », le pavé relié de 900 pages grand format sorti chez Bragelonne en mai ravira les amateurs : « regardez  le W de Weyland-Yutani corp sur le code-barres », souligne facétieux, le designer. Le vrai diable est dans les détails : le logo du conglomérat, qui voudrait bien capturer l’animal extra-terrestre pour la transformer en arme sans s’inquiéter des conséquences, s’affiche en gris clair sous le prix. Sa devise « Construire des mondes meilleurs » apparaît sur le collier permettant de découvrir un peu de la richesse du livre quand il est vendu sous blister.
De l’œuf à la gueule
Entre un œuf de la fameuse créature – qui fait la quatrième de couverture et anime le dos, un portrait américain et de profil de la bête ou un plan rapproché, toujours de profil et toujours dessinée par H. R. Giger, c’est le détail d’une gueule effrayante de face qu’a choisi David Oghia, le directeur artistique de l’éditeur indépendant Bragelonne. De quoi suggérer la peur qui sous-tend la novélisation des quatre Alien sortis entre 1979 et 1997 : Alien : le huitième passager, Aliens : le retour, Alien 3 et Alien : résurrection.
Côté typographie, « Univers Light Ultra Condensed » assure clarté et simplicité. « Elle a été créée par le Suisse Adrian Frutiger en 1957, souligne le designer. Je l’ai choisi pour son âge, 60 ans tout rond, et parce qu’elle est suisse, comme H. R. Giger. Pour son élégance, aussi, son intégration est parfaite vu le format du livre [16 cm x 24,5]. Sa forme épurée correspond bien à l’embossage même petit, comme pour le titre au dos. Elle est d’une grande lisibilité. » Celle du premier Alien était une modification d’Helvetica créée par un autre suisse Max Miedinger la même année (avant de prendre le nom d’Helvetica en 1961).

Philippe Carini et H. R. Giger photographié par Bijan Aalam, l’agent de l’artiste en France.

« Le plus long a été le suivi du projet, raconte Philippe Carini dans un café de l’ouest parisien. Un an pour regrouper les images. » 140 photos et illustrations, regroupées en 64 pages dans l’ordre chronologique des films, permettent de se plonger dans les images des films et les esquisses de Hans Rudie Giger. Le designer a ses entrées, il a fait plusieurs livres avec lui. Une histoire d’amitié née au début des années 1980. Adolescent, il déniche, chez un bouquiniste, un hors-série de Métal Hurlant consacré à Alien. Choc. Fascination immédiate. Il lui faut en savoir plus.
Un créateur d’univers
Passionné par les dessins et les peintures de H. R. Giger, le jeune homme rencontre Bijan Aalam, son galeriste à Paris, galerie Véro-Dodat lors d’une exposition de l’artiste. En 1984, il est présenté au maître à Zurich lors d’une rétrospective. Ils deviendront amis, jusqu’à la mort de l’artiste en 2014. « C’est un créateur d’univers, avec un grand sens de l’esthétisme, raconte le toujours passionné. Il va au-delà du surréalisme fantastique, il a créé le style biomécanique. Le réalisateur Ridley Scott voulait une créature à la fois attirante et repoussante. Quand il a vu le Necronomicon de Giger, il a voulu ce monstre-là » (voir photo de une). L’artiste est embauché pour le film. Il gagnera un Oscar en 1980 pour les effets spéciaux, avec l’équipe du premier Alien.

H. R Giger (en haut à droite) travaille la maquette en argile du Space jockey découvert sur la planète LV-426 par l’équipage du Nostromo. Un autre personnage tiré de son Necronomicon.

Pour le deuxième Alien, en 1986, le réalisateur James Cameron n’a pas voulu l’embaucher mais s’est inspiré de son œuvre. En revanche, pour Alien 3, en 1992, H. R. Giger fait son retour… par mail. Il envoie ses esquisses de mouvements à David Fincher, le nouveau réalisateur. Quelques-unes sont publiées dans le livre pour la première fois. « En 1997, Il n’a pas travaillé avec Jean-Pierre Jeunet, souligne Philippe Carini. Et c’est visible, l’Alien devient grotesque… » Le lecteur n’en saura rien à la lecture du livre : aucune photo n’est légendée. Le curieux le regrettera.

Images d’Alien 3 et esquisses de mouvements par H. R. Giger.

L’amateur de science-fiction et de fantastique se réjouira pourtant de redécouvrir la quadrilogie sous la plume de stars du genre : A.C. Crispin et Alan Dean Foster. Et ceux qui souhaitent découvrir l’univers d’H. R. Giger profiteront de la remarquable rétrospective nantaise, Seul avec la nuit, au Lieu unique. Une exposition qui dure jusqu’au 27 août 2017.