Révélations sur le hamburger Dark Vador Quick !

Un trou dans notre réalité quotidienne cet hamburger noir ! Tout au moins c’est ce que révèlent Céline Gallen et David Morin-Ulmann enseignants-chercheurs à l’IEMN-IAE et à l’Ecole de Design de Nantes.

Bien d’autres significations sont à découvrir dans cet article dense.

Lisez-le pour comprendre ce que peuvent être les sens induits du design ou d’un produit.

Passionnant…

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Dark Vador mi-homme mi-machine

La chose Dark Vador Burger et sa représentation mentale sont de ces exemples de produit commercial quotidien anti-quotidienneté qui crée de la dissonance cognitive, c’est-à-dire une infraction, un « trou dans la réalité » comme dirait le psychologue. Il peut en effet déclencher un état psychologique inconfortable. Surtout, on s’amuse à ne pas reconnaître, à trouver bizarre une chose élémentaire, à trouver peu conforme ce qui est conforme à notre monde même, la bouffe américaine et sa darkness. Certaines personnes vont le rejeter, lorsque d’autres vont l’adorer…, par jeu, par détermination de leur habitus de groupe de classe et par nécessité de se différencier, comme dirait le sociologue.

Ce qui nous frappe en premier lieu, c’est l’aspect charbon-carbonisé du sandwich. Nos vies sont un composé d’eau et de carbone, mais non le seigneur Dark Vador qui, lui, est mi-homme mi-machine, mi-organique, mi-plastique. Déjà quelque chose de dark : un surhomme handicapé, tout en prothèse.
En Occident, la couleur noire a, évidemment, une connotation socio-historique négative.

Elle est plutôt associée à ce qui est ambigu, pénombre, tristesse, « néfaste » (pierre devenue noire de la Kaaba, pirates, sorcières, romans noirs) et, aussi, au rigorisme protestant, au romantisme gothique, au hard rock jusqu’au kitch rock, et à la fantasy. Ici, elle a pour intention marketing de représenter la force du Mal, mais un mal bien particulier, celui de Dark Vador, surhomme handicapé.

Le noir amoral et rock !

C’est ce qu’exploiterait la marque Quick à travers ce hamburger, la perception de la couleur noire préactivant, dans le cerveau, les réseaux de neurones et les significations sociales codant des significations amorales… ou rock !

Il existe bel et bien, mais sans essentialisation, une « communauté de sens » (un rapprochement) entre les signifiances culturelles du noir et de l’amoralité. Par besoin de pureté ? Bah tiens ! Et besoin de darkness pour faire apparaître, en arrière-plan, cette pureté ou besoin de Salut de l’homme moderne…

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Les deux auteurs après avoir mangé l’obscur hamburger Quick…

photo Franck Gallen/Pix Machine-Nantes

Associée à l’impureté des corps ou des aliments, le noir de ce pain-là est une couleur peu présente dans le design alimentaire et peut susciter le dégoût. Toute l’anthropologie culturelle et le « principe d’incorporation » nous préviennent : on devient ce que l’on mange car la nourriture revêt un aspect symbolique très fort. Dès lors, le hamburger noir peut être rejeté, et précisément apprécié ( !) en raison de cette couleur associée au Mal, peut-être à la mort ; et, pour les aliments à l’aspect calciné, au charbon, au colorant chimique (ici de l’encre de sèche), à quelque chose d’anti-naturel (pré-ci-sé-ment !) donc de non comestible.

Cependant, ici, plusieurs facteurs autorisent à jouer (à plaisanter !) avec la nourriture.

Premièrement, le design du produit est associé à un évènement (la re-sortie d’un film) et est commercialisé ponctuellement. La rareté, l’éphémère et la feria du lancement peuvent alors susciter, sinon la convoitise, au moins de l’intérêt (à ce titre, pour cet article, nous avons interrogé une quinzaine de personnes).

D’autre part, le hamburger fait partie des « ludo-aliments » qui rompent avec les codes habituels et des « aliments doudous » qui apportent du réconfort. En outre, la couleur noire renvoie au jeu et à notre enfance, en rappelant le pain ou le toast, les allumettes ou les feuilles brûlées des cartes au trésor.

Du coup, l’effet dark relèverait tout autant d’un imaginaire de la consumation que de la consommation ou en « complément archaïque », des représentations collectives du pain grillé qui renvoient plutôt au festif, au merveilleux et à l’enfance, à l’époque où l’on faisait brûler sa tartine lors des petits-déjeuners en famille et où l’odeur se répandait dans la maison et dans l’esprit.
Produit affectif et produit marketing, le dark burger exploiterait le principe de la madeleine de Proust.

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La puissance obscure…

D’un point de vue publicitaire, l’aspect « puissance obscure » se voit plus valorisé que l’aspect « noirceur » du dark. Nous mobiliserons le concept d’ethnologie de la mana d’origine polynésienne qui exprime la force sociale d’une chose et/ou d’une personne ; manger cette chose cramoisie équivaudrait alors à hériter, pour rire, de sa force imaginaire, à acquérir la griffe de Dark Vador.

Mana rimerait avec feria, autre notion d’ethnologie, et nous verserions à la fois dans le divertissement populaire et dans la « pensée magique » où l’on acquière les propriétés des choses incorporées. De façon oblique, avaler le dark burger implique de s’approprier, à sa manière, par le ventre tant rabelaisien que spinozien, et non seulement via l’esprit rationnel, l’univers du personnage, de devenir Dark Vador.

Voilà pourquoi ce produit et sa collection devraient-ils attirer les fans du film Star Wars et ceux à la personnalité aventurière, plutôt des adolescents en recherche plus ou moins distraite de transgression/rébellion/différenciation. Sans doute Quick le sait déjà… Ainsi, cette personnalité pourra-t-elle sourire à son groupe de pairs et dire « j’ai osé » (valorisation sociale/humoristique).
Dans ce contexte, la qualité gustative de l’aliment n’est pas prise en compte. L’aspect symbolique prime sur le bien-manger. La question de l’équilibre alimentaire passe au second plan.

Et la vague bio dans tout cette histoire ?

On constatera que la vague haute de la nourriture bio et de la mode du « manger sain » n’empêche pas les contradictions de notre modernité, même si la cible première du sandwich est d’abord constituée par les habitués de la marque et de ce genre de sustentation speed. Cela rappelle qu’au sein de toute modernité, il y a des archaïsmes et de la négativité, du dark dans le speed (accélération du spleen) : à un moment, lorsqu’on s’efforce de suivre une ligne directrice, une règle de vie, nous faisons tout le contraire ; nous nous asseyons dessus…

Nous ne sommes pas si cohérents, heureusement ! Sinon, il n’y aurait pas de création dans la construction de nos identités, pas de plasticité dans nos idées et nos comportements, pas d’innovation artistique, scientifique et commerciale… Ce qui nous fait dire, in fine, qu’outre l’aspect « popu » et marketing distrayant du produit, le projet est plutôt sain.