Le minimalisme en question…

Neil Wood « directeur design indépendant, curator et artiste » revient sur le minimalisme mot que les designers utilisent d’une manière impropre, d’après le sens originel du terme.

Minimalisme égale moins ? Que nenni !

A moins d’admettre que le sens des mots évolue…

Une page culturelle, donc…

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Minimalisme, Donald Judd et un remixe à la Mexicaine

Je suis toujours interpellé par le mot minimaliste, surtout quand il sort de la bouche de quelqu’un, du genre « …oui, as-tu vu cette nouvelle boutique très minimaliste rue du Perche ?.. »
Je comprends par là que l’on me parle d’un style, comme l’on parlerai d’un sac vintage style Ibiza 1970, ou d’un canapé style Brigades Rouges…c’est vraiment n’importe quoi !
Minimaliste – et on l’a tous entendu – voudrait dire en gros qu’il n’y à pas grand chose à voir en dehors d’un dépouillement volontaire et agaçant qui colle bien à un certain goût pour la provocation et la branchitude. Serait-ce une grande supercherie prétentieuse qui masque le vide, le néant et la paresse ? Du foutage de gueule, quoi. À mon avis, une boutique minimaliste de nos jours voudrait plutôt dire « cherche repreneur » non ? Mais minimaliste le style – appeler moi pédant, plus-royaliste-que-le-roi, tout ce que vous voulez – j’achète pas.

D’abord, c’est vrai, j’ai un certain attachement personnel à la pensé qui a donné lieu au mouvement artistique que l’on appelle le Minimalisme. En effet, si vous arrivez à parcourir l’essai de Donald Judd qu’il intitula en 1965 « Specific Objects » et publié dans Arts Yearbook de la même année, vous y trouverez une mine d’analyse et de réflexion sur l’état de la peinture et de la sculpture de l’époque. Cette pensé, ajoutée à d’autre ; je pense aux deux Roberts, Morris et Smithson et sans oublier ce cher Mies, donna lieu à une approche dite minimaliste dans l’ensemble des arts plastiques, dans la musique, la danse contemporaine et le design. Mais pourquoi donc ? Écoutons quelques phrases de Judd un instant…

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« La principale chose qui cloche dans la peinture est que c’est une forme rectangulaire placée à plat contre un mur ».

« Les trois dimensions sont un espace réel. Cela nous libère du problème de l’illusion, de l’espace littéral, de l’espace autour de certains traits et couleurs – ce qui est un des relique de l’art Européen les plus saillant et néfaste ».

« Les matières varient beaucoup et ne sont que des matières – Formica, aluminium, acier roulé à froid, plexiglas, laiton rouge et commun, et plus. Elles sont spécifiques. Utilisées directement
elles sont encore plus spécifiques ».

« Une œuvre n’a besoin que d’être intéressante. La plupart des œuvres au final, n’ont qu’une seule qualité ».

En dehors de son attitude hautaine vis-à-vis des dits Européens (et oui, c’est nous !) l’argumentaire de Judd est méticuleux et implacablement raisonné. Dans son essai, Il se prononce contre tout art qu’il appelle « généraliste », voulant dire toute chose métaphorique, imprécise, incomplète, anonyme, vague ou fragmentée. Au contraire, il se dit pour un art concret, précis et agressif et bien sur s’incluant lui-même dans cette catégorie innovante, il dit aussi ;

« Toute image, toutes ses parts et le tout en entier, doit être coextensive ».

Cette essai ayant provoqué le lancement d’autres « ismes » par la suite que l’on connaît, le conceptualisme et la dématérialisation étant parmi les plus saillants, je pense que Judd, même aujourd’hui, reste le plus limpide et direct. Ceci explique l’influence conséquente qu’il a encore parmi les créatifs de tout bords. Aujourd’hui, une vraie approche minimaliste serait de dire qu’elle est spécifique par rapport à une idée forte, une matière forte, un signe fort et c’est tout. Admettez que cela n’est pas du vide ou le témoin d’appauvrissement ; c’est plutôt une distillation vers le pure, vers l’autonome et vers la force.

Ensuite, détrompez-vous ! Je ne tâte pas mon revolver quand j’entends le mot minimaliste à droite ou à gauche. Je dirais, au contraire que le manque d’humour notoire de Donald Judd est même une source d’inspiration à en croire Jerry Saltz, le critique d’art du fameux Village Voice New Yorkais, qui se met à parler d’objets « non-spécifiques », où toute une panoplie de choses sont classées selon leurs dépendances à d’autres et par rapport à leurs côtés obscures ou ambigus. Essayez-voire de votre côté. Plutôt amusant, non ?

Pour terminer sur une note légère, j’ai découvert il y à peu, le travail d’un jeune artiste mexicain qui s’est permis de remixer un standard de Judd avec un certain aplomb et avec un humour bien particulier. Latin même. Son approche fait penser que finalement, la moindre matière peut avoir une force signifiante qui – que l’on le veuille ou pas – crée une relation entre une personne et une autre, faisant en sorte qu’une dépendance s’ensuit et rendant l’objet spécifique au rang d’utopie. Il y a aussi une certaine cruauté dans le remix bien fait, car non seulement il peut avoir la capacité de dépasser l’original mais il peut également le gommer entièrement. À vous de juger.

Maintenant, vous pouvez retourner à votre shopping ! !