Identité et identité des marques

Raphaël Pachiaudi, sociologue consultant et expert en études qualitatives a préparé un travail de définitions pour Admirable Design. Comment peut-on parler d’identité de marque sans connaître le sens des mots qui sont autour et qui viennent des sciences humaines modernes ? Séquence culture. A suivre…

Les mots que j’ai choisi aujourd’hui pour vous, sont utilisés par les professions du design. Certains ne le sont pas mais à y regarder de près, ils éclairent le sens des mots professionnels.

Ce qui explique la présence des uns et des autres dans cette étude.

« EGO »

(Petit Robert) n.m. (XXème ; mot lat , « je » par l’all.)

Philosophie : Le sujet, l’unité transcendantale du « moi » (depuis Kant).

Psychanalyse : Autre nom du « moi ».

« IDENTITE »

L’identité personnelle est un phénomène complexe et multidimensionnel, elle peut se résumer comme étant la « connaissance de soi » :

– Elle a une signification objective (chaque individu est unique par son patrimoine génétique)

– Elle a des significations subjectives :

.Elle renvoie au sentiment de son individualité (« je suis moi ») et de son unité (« je ne suis qu’un au même instant »)

.De sa singularité (« je suis différent des autres et j’ai telle ou telle caractéristique »)

.D’une continuité dans l’espace et dans le temps (« je suis toujours la même personne »)

– Elle a aussi une dimension sensorielle et corporelle.

Pour Jacques Attali, « chaque individu sera défini et répertorié par un numéro de code unique englobant l’identification du passeport, l’affiliation à la sécurité sociale, le téléphone personnel, le porte monnaie électronique. Chacun sera aussi déterminé par une empreinte digitale et une « empreinte du fond de l’œil », moyen imparable de vérifier qui prélève sur un compte bancaire ou manipule un ordinateur.

A l’inverse, chacun cherchera à échapper à son unicité , à ne pas se réduire au numéro que la société lui a assigné, à se choisir des histoires, des passés, des noms, d’autres identités (et à en changer sans cesse par autocréation dans un carnaval généralisé), à vivre de façon multiple, à exercer plusieurs métiers et à appartenir à plusieurs familles simultanées.

Des pauvres de pays riches seront suffisamment aux abois pour vendre leur nationalité comme on vend déjà son sang, voire ses organes. Ils se retrouveront alors apatrides, avec peut être les moyens d’acheter un passeport moins prisé que celui qu’ils ont vendu. Plus tard, ils pourront même céder d’autres éléments constitutifs de leur identité : leur nom, leur empreinte digitale, puis leur « clonimage », voire leur « clone ».

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« MOI »

« Le moi est une série enveloppante d’identifications imaginaires » (Lacan).

Définition du Petit Robert (1970) : “Pron. Pers. (forme tonique) de la première personne du sing. Et des deux genres, représentant la personne qui parle ou qui écrit.”

Je (populaire : Bibi, mézigue, ma pomme).

Ce qui constitue l’individualité, la personnalité d’un être humain. V. Esprit, individu. « Le culte du moi » de Barrès.

Forme que prend une personnalité à un moment particulier. « Notre vrai moi ». « Le moi que j’étais alors et qui avait disparu » (Proust).

Psychanalyse : ce qui, dans l’individu, adapte l’organisme à la réalité, contrôle les pulsions (le « çà ») condamnées par le surmoi ».

En fait, le « moi » n’existe pas, c’est un épiphénomène (au même titre que l’inconscient). C’est une construction de ma pensée qui se donne l’illusion de toujours partir d’un point de vue unique et immuable (et donc de détenir un point de vue fixiste) ; alors qu’en réalité ma pensée part de différents points de vue, selon des niveaux différents, sans cesse changeants, sans véritable centre interne identifiable, fixe, ou immuable. De ce point de vue, on peut dire que le moi est un mode de sélection permanent.

« Je pense donc je suis » : on peut être d’accord avec cette affirmation tout en en tirant des conclusions exactement inverses à celles de Descartes.

La sensation de l’unité du « moi » provient de la capacité de soumettre à une synthèse stable les contenus qui au fur et mesure du déroulement de l’expérience s’offrent à la conscience.

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Prenons le bouddhisme comme exemple d’une représentation différente de la notre de ce qu’est le moi.

Pour le bouddhisme se demander : Dieu existe t’il ? C’est poser une question oiseuse.

Le problème de la souffrance exige une solution : or la racine de la souffrance est un vouloir vivre individuel.

La racine de ce vouloir vivre individuel est la conviction que le moi individuel existe, alors qu’il est un ensemble d’agrégats non-permanents, transitoires, éphémères, sans réalité, maintenue liés ensemble par l’ignorance.

Il faut donc parvenir, par la méditation à la conviction que le moi n’existe pas et vivre cette conviction.

La méditation c’est la persuasion que Brahmâ (âme du monde) et atman (âme, le moi personnel) ne sont qu’un.

Il est un être universel permanent, les autres ne sont que « maya » (illusion).

Les chemins de délivrance peuvent passer par une divinité (ishta devata : Dieu personnel) mais c’est une étape transitoire.

« CLIENT »

(du latin « clicas ») : A Rome plébéien qui se plaçait sous le patronage d’un patricien.

Personne qui se fournit chez un commerçant, qui recourt à un homme d’affaire, à une banque, à un médecin, etc….

« Celui qui a recours aux services de quelqu’un moyennant rétribution ». Ce terme n’est pas réservé aux relations commerciales. Il est couramment employé en Service social et en psychothérapie : il a une connotation plus interactive et moins médicale que « patient » (celui qui « souffre » ou « « subit », avec une certaine passivité).

Le client est responsable de sa demande (« le client est roi »).

« CONSOMMATEUR »

Personne qui achète pour son usage des denrées, des marchandises.

Personne qui boit ou mange dans un restaurant, dans un café.

« EXISTER »

A regarder comment les gens valides vivent, hommes et femmes, adultes et enfants, continuellement soucieux d’être pris en considération, il se pourrait qu’ un déficit de reconnaissance par leur entourage les porte à douter de leur propre existence. En tous cas ils paraissent avec cette crainte en toile de fond. Bétonner les rivages, construire des édifices aussi visibles que possible, modifier le cours des rivières, transformer les paysages, manipuler les patrimoines génétiques, imposer sa loi à d’autres ethnies, produire des œuvres d’art originales, donner son nom à une comète, à un théorème, à une grotte, à une fondation, chercher à marquer l’histoire, tous ces comportements sont autant de manifestations de l’effort accompli pour apparaître dans la réalité. « C’est moi qui ai construit ce barrage donc j’existe », « Je parle donc j’existe », comme si la nécessité de se rassurer quant à son existence se faisait sentir en permanence. Bien que chacun se sente vivre, le besoin de vérifier l’extériorité de son existence demeure une priorité.

Pour résumer, exister à ses propres yeux c’est : d’une part apparaître sans contradiction, d’autre part « être réel », et enfin se sentir appartenir à un ensemble qui existe.

« CONSCIENCE »

(c’est la lunette mentale qui est en soi et qui permet de s’observer de l’intérieur)

C’est la connaissance interne de nos représentations et de nos images mentales : il y a toujours en moi un être qui m’observe en train de m’observer.
La conscience peut apparaître comme construisant une image du monde et de soi dans le monde à travers les informations qui l’atteignent.

Elle est vécue par chacun comme un flux permanent de sensations, sentiments et idées, constituant le fond sur lequel se détachent successivement les figures émergentes principales de nos centres d’intérêt du moment.

Ce sont les images mentales qui constituent les structures de base de la conscience. Rappelons que les images mentales sont des représentations « internes » qui existent indépendamment de stimulus extérieurs. Ce sont de véritables « objets mentaux » vus avec des yeux intérieurs.

Pour le cerveau toutes les informations et les perceptions en provenance de l’extérieur ne sont pas de simples réceptions passives. Partout et sans cesse interviennent des processus actifs, en sorte que les mécanismes intégratifs sont finalement des opérations sur ces représentations et sur ces images mentales. De fait, les images mentales c’est ce qui met en forme, ce qui donne forme, ce qui permet de prendre du recul, de la distance. En effet il n’y a perception supportable que parce qu’il y a aussi représentation et élaboration par l’individu de représentations. Un individu qui n’aurait que de la perception n’aurait aucune conscience et vivrait dans un monde totalement déconcertant.

En fin de compte le sentiment d’ « unicité » de notre personnalité est forgé à travers une coexistence du raisonnement et des reconfigurations permanentes en provenance de notre expérience émotionnelle, innée ou acquise, consciente ou inconsciente.

Il est une façon de voir la conscience comme la connaissance interne de nos représentations et de nos images mentales.

Alors ce seuil étant franchi, les deux domaines, apparemment incompatibles, celui du mental
_ ( c’est à dire celui du vécu conscient et inconscient) et celui du matériel (c’est à dire celui qui concerne tous les fonctionnements biochimiques internes) se rapprochent singulièrement.

« IMAGE DE SOI »

On a l’impression que les gens perdent pied avec la réalité en essayant de maîtriser totalement leur image.

Ils s’imaginent maîtres de leur destin, de leur humanité, tout en étant dissociés du monde.

Notre perception du réel est constamment modifiée par l’environnement, tout comme notre vision du corps parfait.

« IDENTIFICATION »

Processus psychologique d’un individu lui permettant de s’assimiler à quelqu’un (ou à quelque chose) d’autre pour s’approprier ses qualités et en tirer une satisfaction

La suggestion et l’imagination font apparaître une nouvelle image de soi et des compétences spécifiques. La visualisation et l’imagination permettent de créer des « souvenirs futurs », de faire surgir les talents et d’acquérir la maîtrise qui nous faisait défaut. Certains entrent dans la peau d’un autre, espérant oublier leurs insuffisances propres et faire leurs les capacités du spécialiste invoqué. La méthode de Stanilavski est très proche de ce système.

Chaque fois que je m’identifie à une autre personne, cela signifie que « j’augmente la ressemblance avec elle », que je m’approprie ses valeurs et ses compétences.