Lifting design ou faire du neuf avec du vieux…

Stéphane Bertoux est un rédacteur fidèle d’Admirable Design, en particulier sur la Chine. Aujourd’hui il nous révèle une autre facette de son talent : analyste de packaging ; de ceux qui sont « liftés » avec la tâche difficile parfois pour le consommateur de distinguer l’avant de l’après !

Perspicace et instructif !

admirable_design_-lifting-2.jpg

Lifting. Ou le jeu du « avant-après »…

J’adore ça. Je fais mes courses au supermarché tous les samedis matin, et mon grand bonheur, c’est de tomber sur un avant-après dans un rayon. C’est à chaque fois un très grand moment de bonheur. Chacun son truc, non ?
C’est bien entendu une déformation professionnelle, et j’imagine bien quel plaisir doit éprouver un entomologiste à découvrir subrepticement une nouvelle espèce de coléoptère anthicidae, un gris à reflet mauve. Moi c’est pareil avec les packagings, ou les marques ou les produits.

Un avant-après, c’est quand je découvre in-situ, sur le point de vente, un packaging qui a été revu par l’industriel et son agence de design. C’est super excitant (à ce stade de la lecture, si vous me trouvez un peu « barré », c’est normal, je le suis).

Je fais mes courses dans des supermarchés, en bas de chez moi, à pied
Donc ce matin, Bingo !, je suis tombé en arrêt devant un couscous à la marocaine Zappetti (ex Buitoni, mais Buitoni, cela faisait trop marque de conserve). Zapetti ce sont des conserves, que l’on appelle plus élégamment des apertisés.

Tout d’abord, il faut distinguer l’Avant de l’Après, reconnaître ce qui est ancien de ce qui est nouveau. C’est parfois très évident, parfois moins. Avant d’aller plus loin, regardez les deux visuels et faites-vous votre idée.

Effet Général :
Sur le linéaire, l’effet produit est similaire pour les deux packs : une ambiance colorielle jaune et rouge, une marque identique, une photo de couscous. Il n’y a pas de rupture : c’est chaud, c’est bon (c’est le discours…).
Ca, c'est avant !

Grands Changements :

Ce qui a présidé à la volonté de refaire ce packaging est visiblement la disparition du timbre « Saveurs du Monde/Rabat ». La cause probable est soit la perturbation provoquée par la simili marque « saveurs du Monde » sur la marque Zapetti -celle-ci devenant presque une sous marque de Saveur du monde, ou l’inverse-, soit que celle-ci n’amenait rien au consommateur, ou n’était pas assez crédible venant d’une marque génétiquement industrielle comme l’est Zapetti. Reflets de France ou Labeyrie sont des marques de terroirs, elles.

L’autre changement notoire est la structure même du packaging :
Une marque centrale qui passe au coin droit, agrandie, renforcée car protégée par un bandeau qui l’isole du reste du packaging. Il y a la clairement une volonté de renforcer la puissance de la marque, une affirmation à ne pas être confondue avec une marque de distributeur. En terme graphique, le bandeau est dans le même registre courbe que ce que l’on trouve en épicerie ou en surgelé (Marie, Knorr…). _ _ _ Rien de bien nouveau, et une résonance étrange avec le bandeau qui soutient la marque Zapetti…

Le packaging était coupé en deux : en haut la marque, en bas le visuel, et au milieu le nom du produit. Cette structure écrasait la photo, ne lui donnait pas une large place comme maintenant, ce qui ne donnait pas une sensation d’abondance. On voit d’ailleurs complètement l’assiette, qui est posée sur une nappe à motif oriental (ou supposé être), ce qui renforce l’idée d’origine et de recette « comme là-bas ».
Ca, c'est après...

Les détails :

La photo utilisée est la même dans les deux packagings : il faut savoir que la prise de vue alimentaire coûte chère, et je vous suggère de bien l’examiner, et même mieux, de comparer la photo du pack avec ce que vous avez dans votre assiette : brillance de la viande, fraîcheur du vert de la courgette, parfaite rondeur du pois chiche, blondeur appétissante de la semoule…miam-miam.

A été rajouté à la photo un filet de vapeur, indicateur de la fraîcheur du produit et de sa bonne odeur (on y croit…)

Les typographies utilisées sont identiques, mais la mention « Poulet et Merguez » a été agrandie, pour être plus lisible : c’est un couscous riche.

Le soleil, qui était masqué en partie par Saveur du Monde est bien plus fort, il devient ainsi un véritable attribut de la marque. C’est un signe très positif dans ce cas, qui ramène un peu de naturalité dans un packaging qui n’en a pas beaucoup. _ _ Pour les conserves, l’idée de nature est à manipuler avec précaution, les consommateurs n’aiment pas être pris pour des imbéciles, et une conserve, cela reste une conserve.

Le label Prêt en 8 minutes a été conservé, mais il ne se « promène » plus dans le pack, il a été rapproché des informations quantitatives.

Le brief :

Ce que l’équipe marketing a pu dire à l’agence de design : « On supprime Saveurs du Monde, ça ne marche pas vraiment, ça confuse…il faudrait donner plus d’appétence au pack, et donner plus de force à ma marque. ». Cela a dû être formulé différemment, certainement sous la forme d’un Power-Point de15 pages ou de 92 pages, suivant l’inspiration et le poids des études réalisées en amont.

Le résultat est bien conforme à ce brief, et si quelqu’un qui a travaillé sur ce Couscous à la Marocaine lit Admirable Design, je serais curieux de savoir si je suis dans le vrai… Je vais mettre en vente les boîtes sur e-bay…Et voir laquelle obtient la meilleure enchère. Une bonne idée pour tester l’attractivité d’un packaging !

Quant à moi, je ne mange jamais de couscous en boîte, ni même au restaurant. Ma mère est pied-noir, et fait le meilleur couscous du monde !

Les 10 briefs type

Ne dites pas à ma mère que je suis designer, elle me croît pianiste dans un bordel à Macau.
J’ai lu en 1979 « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité elle me croit pianiste » en 1979, j’avais 16 ans, j’écoutais les Clash et Téléphone, je m’amusais bien avec les copains et les filles. Je rêvais plus tard d’être journaliste ou diplomate…