Le pdf m’a tuer…

Le design graphique ne serait pas au mieux de sa forme, à entendre les échos glânés par notre rédac chef, Gérard. Lui qui se promène dans les agences, rencontre ces temps-ci, un bon nombre d’entre-elles qui n’ont pas le moral au beau fixe.

Ce n’est pas la première, ni la dernière crise que connaît le métier.

Mais, on a l’impression que quelque chose a changé…

Le design broie du noir…

Qu’est le packaging design devenu ?

C’est la question que l’on est en droit de se poser, en circulant dans les agences en ce début d’année.

Je ne parle pas de la crise économique, qui a obligé certaines d’entre elles à réduire la voilure après un exercice 2OO4 décevant, voire négatif.

Je ne parle pas de celles à la limite de la rentabilité, et qu’un exercice 2005 à la limite du rouge fragiliserait dangereusement. En cause la compression des tarifs.

Je ne parle pas de ces agences prestigieuses qui, pour conserver leur rang « discountent » les offres dans des proportions pouvant atteindre 30 à 50 % des prix du marché.

Je ne parle pas de celles qui progressivement se voient dans l’obligation de réduire leur masse salariale à coup de « juniorisation » accélérée ou de cdd renouvelables. Le client n’est-il pas« juniorisé » lui aussi ? Il n’y verra que du feu. Au moins un temps… Et puis, il n’a que ce qu’il paie, non ?

Je veux parler de l’Agence de Design en général, fière de son métier de conseil et de création de packaging et branding. Celle qui ne conçoit pas de produire du design à la demande, sans s’interroger d’abord sur sa pertinence par rapport au problème posé. Celle qui s’imagine que le design c’est innover dans les services aux marques, d’anticiper leurs attentes, d’accompagner leurs réflexions conceptuelles en amont du brief.

Encore faut-il s’appuyer sur des talents confirmés, sur des plannings logiques et pouvoir discuter avec des responsables de marques ayant un minimum d’expérience, de culture, sachant écouter et capables de prendre une décision… autre que budgétaire.

Fournisseur de designs…

Je me garderai de condamner cette agence-ci ou celle-là, qui pourrait se reconnaître dans les lignes ci-dessus. Face à des client qui leur mettent comme interlocuteurs des responsables produits gestionnaires plus que créateurs de vie, incultes ou impuissants -quand ce ne sont pas de véritables acheteurs cost killers… que faire pour survivre ?

Ou face à un actionnaire, préoccupé uniquement par la dernière ligne du bilan transformée en objectif absolu, que faire ? La dictature du résultat financier sévit chez les partenaires, les clients et par voie de conséquences, chez les fournisseurs. Après avoir été conseil, partenaire, source créative, voici l’agence dans son rôle nouveau celui de fournisseur. Comment
me dira-t-on, mais vous n’avez jamais cessé de l’être ! Oui, bien sûr, mais il y avait une prise de conscience réciproque ; celle d’une création de valeurs, de conseils, véritables attributs d’une agence de design, outre celle d’être fournisseur…

Enchères inversées. Le mal commençait à les atteindre… Tous n’en mourraient pas.

Danone a ouvert le feu pour l’attribution du design de ses eaux, via internet. Propositions financières par courriel ; on garde les moins disants (j’ai toujours aimé cette formule, qui pourrait signifier que celui qui a le moins à dire serait retenu ! Significatif de l’esprit en cours).

Au jour convenu, et pendant une demi heure, les moins causants ( !) ont participé aux enchères en réduisant (ou non), leurs prix histoire d’améliorer leur place ! ! Un indice (non chiffré) leur indiquait leur positionnement dans la course. A noter qu’à ce « jeu », l’agence fidèle à la marque depuis des années, après l’avoir servi remarquablement, a été dégagée. Curieux de la part d’un Pdg, Franck Riboud, qui a été peut-être le seul grand patron à se former dans une agence de design.

Certaines agences (bien peu) se sont amusées à ce jeux là, d’autres ont refusé de descendre leurs prix. D’autres, positivent et considèrent que le métier n’y pourra pas y échapper ; Nestlé pratique cela aux Usa. Alors pour un fois que l’on fait aussi bien que les Américains, réjouissons-nous !

Le pdf m’a tuer…

Je n’ai pas la prétention de me faire l’écho du malaise que peut traverser notre métier. Jean Perret a analysé certaines de ses causes dans un précédent article ([->1452]) qui a eu un fort retentissement. Les réactions ci-dessus émanent d’une dizaine d’agences visitées. Beaucoup s’inquiètent de l’évolution de choses. Les réflexions se retrouvent ici et là.

« Comment peut-on créer une gamme de parfumerie pour une très grande marque, quand on nous brieffe le lundi pour un rendu le… mercredi ? ! ! Inouï, du jamais vu. On a dû se battre pour grignoter quelques jours de plus. »

On croit entendre les chefs de produits nouvelle génération… Pour eux, le design, c’est si vite fait. Un coup de Mac et le tour est joué. « D’ailleurs, j’en ai un chez moi et je m’amuse à faire des trucs avec. Alors, vous qui êtes du métier ! »

« On échange les créations par pdf, même plus le temps de voir les clients… qui n’ont pas de temps à perdre. Combien de briefs devant les ascenseurs avant de partir, vite faits ! « Enfin, t’a compris, hein ? Tu vois ce qu’il faut faire… Tchao, tchao à demain avec les maquettes. Salut Thierry. »

La tension économique actuelle ne fait que favoriser ces pressions sur les prix, sur les délais et donc, sur les salaires.

Une fois la crise passée, retrouverons-nous notre métier ? Oui, bien sûr, car le pire n’est jamais certain. Mais dans quel état ?