Le futur et le design…

_ L’influence du design dans la préparation de notre futur. Quel débat ! Jeanne Queheillard, professeur aux Beaux-Arts de Bordeaux et critique de design ( ?), a eu l’occasion d’évoquer le sujet avec Stéphane Ricou, président de l’agence Paris Venise Design.

Quand un praticien rencontre un théoricien cela peut donner ça…

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Jeanne Queheillard :
Stéphane Ricou, vous être président d’une, qui travaille essentiellement sur l’identité des entreprises et des institutions, et sur le packaging.
Comment traitez-vous la question du design « incubateur du futur » ? Que dévoile-t-il, ? Par quel processus ?

Stéphane Ricou :

Vous avez soulevé la question des contraintes engendrées par le monde industriel. Certes, c’est indéniable. Je ne sais pas si un objet qui se vend bien est un objet réussi, mais je pense que nous ne pouvons pas faire abstraction du monde commercial et industriel dans lequel nous vivons.

 : après-demain ne nous intéresse pas !

L’agence Paris Venise Design intervient exclusivement en matière de design graphique, c’est-à-dire de communication visuelle des signes au service des marques. Inévitablement, cela implique une dimension commerciale.

Quand on crée un signe dans le but de communiquer de façon cohérente et juste, il faut faire en sorte que les personnes qui le reçoivent se sentent en phase avec lui. Le rôle du designer est d’étudier, de comprendre et d’analyser les signes qui sont dans l’air, ceux d’aujourd’hui mais surtout ceux qui seront assez forts demain.

Je pense en particulier à l’analyse de l’architecture, de l’automobile, de l’électroménager, de la téléphonie mobile, qui va nous aider à créer des formes, des styles, des couleurs, des matières qui feront partie de l’environnement de demain.
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L’ère de l’horizontal…

Au-delà de ce qui peut se passer dans l’univers des objets, nous nous intéressons également à la vie quotidienne. Nous tendons, pour diverses raisons, vers un fort décloisonnement. En termes de graphisme, ce phénomène se traduit de manière très précise. Des marques auparavant structurées sur un mode pyramidal ou rectangulaire vont au contraire devenir plus horizontales.

L’horizontalité fait aujourd’hui partie de notre environnement. Les tables et les fauteuils sont plus bas, les écrans plasmas se développent, les voitures entrent également dans des formes très plates et très allongées. Les individus en général ne se rendent pas forcément compte de ces bouleversements qui sont parfois le fruit de designers précurseurs ou le simple résultat d’un concours de circonstances.

En ce qui concerne le graphisme, je ne pense pas que nous soyons en aucune mesure incubateurs du futur. Nous essayons simplement de nous placer dans le registre de demain tout en restant dans une logique commerciale : après-demain ne nous intéresse pas !

Jeanne Queheillard :

D’après ce que vous décrivez, votre travail semble proche de ce que proposent les cahiers de tendances…)

Stéphane Ricou :

Effectivement. Si ce n’est que les cahiers de tendance s’inscrivent généralement dans les courants de la mode vestimentaire et de la décoration, ce qui implique un rythme de renouvellement annuel.

L’identité visuelle d’une entreprise ou d’une institution a une durée de vie plus longue, comprise entre 5 et 10 ans en moyenne. Dans 10 ans, elle devra toujours faire partie de notre environnement.

Le design tel que je le conçois dans ma façon de faire au quotidien est un design « à vivre », c’est-à-dire qu’il doit toucher la plus grande partie de la population. Je pense que nous avons un rôle civique à jouer, en incitant les industriels à faire évoluer leur outil pour parvenir à des formes de fonctionnement plus simples, plus écologiques, plus faciles à stocker.

Le design peut beaucoup en la matière, mais nous sommes malheureusement freinés par les réticences des fabricants. Tous les cabinets de design rêvent de montrer ce qu’ils n’ont jamais réussi à vendre ; ces projets sont souvent bien plus novateurs que ceux que nous retrouvons dans notre environnement quotidien ! Néanmoins, nous essayons d’avancer.
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Jeanne Queheillard :

La question du temps se pose donc pour toute approche prospective. Parfois, les projets arrivent trop tôt.

Stéphane Ricou :

Une entreprise qui veut aller de l’avant est dans l’obligation de prendre des risques. On délaisse trop souvent le facteur intuition. Face à cela, nous sommes, nous, agences de design, souvent impuissants. Nous intervenons dans un contexte commercial et portons la responsabilité des emplois que nous avons créés. Nous ne sommes pas libres de nos mouvements.

Il m’est arrivé de proposer, sur une intuition, un nouveau système de bouteille à l’un des leaders de l’eau minérale plate. Le client a trouvé cette idée farfelue mais a néanmoins souhaité que nous approfondissions notre réflexion. Nous avons réalisé des tests européens qui ont montré que le marché n’était pas encore prêt à accepter ce concept, mais que les consommateurs jugeaient important de pouvoir détruire convenablement leurs bouteilles. La nouvelle bouteille d’Evian est née d’une intuition farfelue, du désir de changer le mode de consommation de l’eau minérale.

Une entreprise commerciale ne peut passer son temps à faire de la prospective, tout simplement parce qu’elle n’en a pas les moyens financiers : les budgets qui circulent aujourd’hui en France ne nous permettent pas de travailler en prospective.