2005 : encore une année de travail ?

Pour nous designers, n’y-a-t-il pas à réfléchir sur ce que représente le travail ? Même dans nos métiers, ne peut-on pas dire qu’il s’est dévalorisé aussi ?

Pour avoir un regard extérieur, nous avons demandé à Jean Montseren, « designer et sociologue du thé », ami d’Admirable Design, de réfléchir sur le sujet. Lisez cette belle page de réflexions éclairées. Elle est notre carte de voeux !

Histoire de bien commencer l’année 2005, histoire de mesurer notre chance de « travailler dans le design », histoire de prendre de bonnes résolutions.

Belle année à tous… pleine de travail.

_ Une histoire qui commence mal…

Pour nous occidentaux notre relation avec le travail commence mal. « Travail » vient du mot latin « tripalium »… un instrument de torture ! Dans l’Antiquité grecque les citoyens, dits « hommes libres », laissaient le travail aux esclaves. L’homme libre étant donc celui qui ne travaille pas… tout comme le temps non travaillé est appelé « temps libre ». Mais point de compassion puisque le travailleur purge sa peine : pauvre Adam astreint à gagner son pain à la sueur de son front ou fratricide Caïn condamné à voir son travail resté stérile. Le travail, expression de notre déchéance, est donc une punition, une fatalité ! L’Eden devait être un lieu de perpétuel divertissement puisque à l’abri du travail … tel un club de vacances gratuit ! Car ici est une différence de taille, nos clubs de vacances, à nous, sont payants. Nous voici donc contraints de travailler pour gagner de l’argent afin de profiter de la « vraie vie »… autrement dit : nous perdons notre vie à chercher à la gagner !

Consommer plus ?

La « vraie vie » commence, sur le canapé face à la télévision, après le « boulot » : après les 8 heures de travail quotidien, après les 5 jours ouvrés hebdomadaires, après les 40 ans d’une vie professionnelle marquée par l’ennui et notre résignation à la contrainte extérieure. Nous jouissons alors du bonheur de consommer répondant aux mots d’ordre de fuite de la publicité « travailler pour gagner de l’argent, gagner de l’argent pour consommer des biens marchands et ces biens se chargeront du reste ». Le reste, quel reste ?

Tout simplement le bonheur ! Mais un bonheur loin du contentement puisqu’il faudra toujours consommer plus, avoir plus … Jean-Jacques Rousseau n’écrivait-il pas que « l’argent que nous possédons est l’argent de la liberté, l’argent après lequel nous courons est l’argent de l’esclavage » ?

Toutefois quel est ce masochisme qui plonge l’homme qui ne travaille pas ou qui ne travaille plus, dans une lente dépression et dépréciation de lui-même ? Serait-ce parce que, faute d’argent, il n’a pas accès à la consommation ? Mais alors que dire des retraités s’ennuyant bien qu’ils représentent de nos jours une « cible marketing » à fort pouvoir d’achat ?

De la survie à l’amour !

Ce raisonnement ferait rire un Chinois ou un Indien. Il est vrai que le confucianisme ou l’hindouisme n’a jamais eu l’étrange idée de culpabiliser celui qui agit, fertilise, fait fructifier, œuvre, perfectionne, met en mouvement et crée du lien par son travail. Notre travail n’est-il pas, dans nos vies, un des principaux pourvoyeur en rencontres, en apprentissage, en dépassement de nous-mêmes ? Ceux qui, après en être privés, retrouvent du travail témoignent souvent de ce sentiment d’avoir retrouvés également une « dignité ». Quel est ce lien apparemment si privilégié entre le « travail » et la « dignité » ? Il s’agit peut-être de l’utilité ou, plus précisément, du sentiment d’être utile. Car si nos organes dont nous sommes constitués réclament du pain, l’amour dont nous sommes si profondément pétris désire ardemment se vivre en étant utile. On passe de « travailler pour avoir » (de l’argent) à « travailler pour être » (utile). Sans doute l’authentique travail est-il celui qui ne fini jamais : c’est à-dire le travail sur soi offert aux autres. Que peut être la survie ? Du pain. La vie ? Du pain et des roses. La « vraie » vie ? Du pain, des roses et la liberté de partager l’amour. N’est-ce pas une chance de se nourrir tout en étant utile aux autres ?

Il n’y pas de sots métiers… mais des bas salaires !

Le travail n’est pas l’équivalent d’une prière … il est une prière … pour peu que nous sachions lui rendre la dignité qu’il nous propose. Dévaluer le travail c’est rabaisser le travailleur. Il n’y pas de travail infamant, il n’y a que des affamés. De même qu’il n’y pas de sots métiers mais des bas salaires. La dignité d’un travail ne se mesure pas à sa rémunération ni au profit tiré de sa production mais à son utilité. Le travailleur est aliéné quand il devient le moyen de sa tâche, l’instrument d’un travail objectivé, quand son vécu est nié, son expérience non exprimée, sa subjectivité non mobilisée, son courage non considéré sur la durée. Ayons plus de reconnaissance pour ceux qui inlassablement nettoient ce que nous salissons, pour ceux qui toujours font ce que nous pourrions faire et que nous ne faisons pourtant pas.

Au fait, travail ou emploi ?

Notre société actuelle remplace un peu vite le « travail » par « l’emploi », l’ « artisan » par le « maillon dans la chaîne de production » (maillon, chaîne … encore un langage de bagnard), le « confrère » par le « concurrent » à abattre (comme à la guerre : c’est lui ou moi !). Changer notre compréhension du travail c’est prendre conscience de sa substance : responsabilité, habilité, initiative, synergie, réalisation, accomplissement. On parle plus facilement de « division du travail » alors qu’il devrait s’additionner tels les 100 métiers nécessaires à l’édification d’un temple, telles les 1000 compétences indispensables à la construction d’un monde meilleur, car plus juste, ici et maintenant … ou ici et bientôt … Tout dépend de nous, nous sommes libres de rendre cela possible. Quelle véritable joie !

Et s’il est vrai que le mot « spiritualité » provient du latin « spirare » (respirer, vivre) et que le travail, tout en nous faisant vivre, nous propose une « vraie vie » alors l’accès au « travail spirituel » doit être un droit pour chacun !

Pour retrouver Jean Montseren dans l’exercice de son… travail : Les plus beaux thés du monde