Sapide : design makers

Louis-Nicolas Creusat et Romain Houssais, co-fondateurs de Sapide, nous parlent de leur agence de design qui a décidé d’intégrer la fabrication de ses créations.

Louis-Nicolas Creusat et Romain Houssais pourriez-vous vous présenter ?
L-N.C. Je suis diplômé d’Olivier de Serres en design produit. J’ai commencé chez Vanille Design en identité et packaging dans le secteur du luxe. Vanille Design a ensuite été vendue à l’agence de communication R9 (ndlr : le groupe R9 s’était distingué à partir des années 2010 en rachetant en un temps record plus de 70 sociétés dans les secteurs de la communication, de la publicité, de l’édition ou du design, dans l’objectif de construire une alliance d’agences post-digitales. R9 a compté jusqu’à 500 salariés). C’est chez R9 que je rencontre Romain et rapidement nous décidons de monter Sapide.
R.H. J’ai fait les Beaux-Arts puis suis parti vivre à Berlin où j’ai fait du mobilier pour bars et boites de nuit. Rentré en France, j’ai participé à la création de la Concrète (ndlr : péniche électronique parisienne célèbre pour ses afters, qui a fermé en juillet 2019) ce qui m’a permis de me lancer en tant qu’artisan et designer. Comme l’a dit Louis, nous nous sommes rencontrés chez R9 où j’étais prestataire dans la réalisation de mobilier de bureau. Nous avons commencé à travailler ensemble et rapidement on a décidé de monter Sapide, en 2017.

Comment se positionne Sapide et comment travaillez-vous ?
L-N.C. En amont du lancement de Sapide, on avait fait le constat que les annonceurs qui avaient des projets de design recevaient seulement de belles images de la part des agences, alors qu’ils cherchaient des solutions complètes clés en main. C’est pour cela que nous avons voulu monter une agence avec une atelier de fabrication intégré. Sur le marché des agences notre modèle est assez unique – même si un certain nombre de fabricants ont intégré le design. On travaille dans plusieurs domaines  : le marketing et le trade marketing « classiques ». À partir de l’esprit d’une marque et après le planning stratégique on interprète et transpose en objet et matière. Par exemple, pour Pernod Ricard on décline les corners GMS et cash and carry pour les différentes marques du groupe. On va du concept au dessin, en passant la fabrication jusqu’à la pose. Ensuite on travaille dans le luxe (Chanel, Conticini) avec des objets et du mobilier axés luxe et prestige. On fait également de l’aménagement de bureau. Enfin, nous avons deux lignes de mobilier que nous présentons lors d’expositions. On aime l’idée de faire des expositions sur des thèmes que l’on choisit avec des invités que l’on sélectionne. La première s’appelait Helmut et la seconde Amok. Nous avons d’ailleurs été exposés au Salone Satellite au Salon du Meuble de Milan. Nous sommes donc autant designers que fabricants  : on passe autant de temps au bureau qu’à l’atelier. On est situés dans le 93, dans une pépinière d’entreprises qui est l’une des rares pépinières avec des ateliers. C’est assez rare mais c’est vraiment l’idéal. On y a tous les mêmes problématiques entrepreneuriales et on voit vraiment l’intérêt de ce type de lieu où se rencontrent des gens qui ne se seraient jamais rencontrées autrement. De façon générale chez Sapide on est dans l’économie du réel et on pense que produire en France c’est toujours possible. Nous ne sommes pas sur une échelle industrielle mais c’est une prémisse. En termes de business, nous sommes arrivés à maintenir l’activité pendant la Covid, en améliorant même notre résultat d’exploitation. On va finir l’année aux environs de 400 000 euros de chiffre d’affaires, avec l’ambition de bien progresser. 
R.H. Il y a cette belle complémentarité entre Louis et moi. Lui, c’est plutôt le design et moi la fabrication, le tout en parfaite cohérence. Aujourd’hui Sapide comprend six personnes : nous deux, trois menuisiers et un designer-menuisier.

Vos objectifs et challenges pour les années qui viennent ?
L-N.C. Il y a un recrutement qui est en cours : c’est un profil qui viendra d’une grande agence parisienne. Je ne peux encore rien dire mais je vous passerai l’information dès que ce sera officiel ! L’objectif de ce recrutement est de se recentrer sur la vente de prestations de design, car on a passé beaucoup de temps à consolider la partie production qui a demandé des investissements importants en machines et outils, et aussi en espace car la fabrication prend de la place. On va réattaquer le design car, comme je vous le disais, nous ne sommes pas un fabricant qui a intégré le design mais une agence qui sait fabriquer – et c’est très différent. On va investir dans les hommes, et notamment dans le conseil client pour vendre le design de façon pédagogique en expliquant pourquoi c’est important d’acheter du design. On va bien sûr continuer à investir dans du matériel de fabrication. Et on va aussi investir dans des surfaces en région parisienne. D’autre part, nous n’excluons pas de la croissance externe sur des savoir-faire spécifiques (une activité de laqueur, par exemple). 

Votre vision du design français ?
L-N.C. Il y a encore un déficit de compréhension sur le fait que le design n’est pas un centre de coût mais un outil qui sait créer de la valeur. Et puis, je trouve inutile les débats sur le design d’édition et le design « commercial ». Pour moi, il n’y a rien d’antinomique dans ces deux approches, bien au contraire  : l’un nourrit l’autre. Par exemple, on ne gagne pas d’argent avec nos expositions, mais cela constitue un petit laboratoire qui bénéficie à tous nos clients. Enfin, il me semble que le modèle de l’agence française – en tout cas celui qui est visible – c’est beaucoup de branding et de packaging et trop peu de design produit.
R.H. On trouve assez peu dans le design français cette capacité combinée de conception et de fabrication. Pour moi cette double expertise est clé alors qu’il y a une espèce de crainte de passer pour un artisan lorsque que l’on touche à la fabrication, avec le risque de ne plus être appelé designer. C’est vraiment dommage.

Un message pour terminer ?
L-N.C. Les designers peuvent être un moteur dans ce processus de réindustrialisation qui se développe aujourd’hui. D’où l’importance de cette double compétence en matière de création et de fabrication que nous avons soulignée.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1210