Design et banque : un placement sûr

David Serrault, head of design chez BPCE, deuxième groupe bancaire français nous livre sa vision du design et nous précise les contours de sa mission dans cet univers particulier qui est celui des institutions financières. 

David Serrault, quel est votre parcours ? 
J’ai une formation initiale technique. J’ai un BTS de plasturgie mais je voulais depuis longtemps m’orienter vers le design et ai donc étudié par la suite l’art plastique à l’université. C’était dans les années 2000 et l’internet décollait. Avec mes deux casquettes, art et technologie, j’ai rapidement pu commencer à travailler comme web designer. Je me suis principalement formé sur le tas au début car peu de formations en la matière étaient disponibles. Mon parcours n’est pas linéaire et inclut plusieurs aller-retours entre l’école et l’entreprise  : licence puis master multimédia à la Sorbonne, programme de recherche à l’EnsAD, où j’ai eu la chance de rencontrer et d’avoir pour professeurs deux designers très différents et tous deux passionnants, Rémy Bourganel et Étienne Mineur. J’ai travaillé dans plusieurs secteurs en lien avec le digital, agences mais aussi annonceurs comme lastminute.com, Voyages-sncf (aujourd’hui OUI.sncf), Getty Images, PSA et AXA. Depuis trois ans je suis responsable du design chez BPCE, au sein de la Direction de la Transformation Digitale dirigée par Yves Thirode. BPCE est un groupe bancaire mutualiste qui rassemble des établissements comme Caisse d’Épargne, Banque Populaire ou Natixis.

Pourquoi le design dans une institution comme BPCE ? 
BPCE, deuxième groupe bancaire français avec ses 15 marques, son portefeuille de 36 millions de clients et ses 100 000 collaborateurs, avait comme ambition initiale la transformation digitale des points de contacts entre la banque et ses clients. Cela concernait notamment les applications mobiles ou les espaces client des sites internet. Aujourd’hui, le design touche également l’expérience collaborateur, afin de mettre à disposition des outils à la fois mieux conçus et plus performants pour les aider dans leur travail. De façon générale, je crois que c’est en intégrant des designers dans l’entreprise que l’on peut vraiment la transformer. D’ailleurs, d’autres entités du groupe BPCE se sont inspirées du modèle que nous avons mis en place et ont aussi commencé à intégrer des designers dans leurs équipes. Aujourd’hui, l’enjeu est faire monter le design sur l’ensemble du Groupe et j’ai, à cet effet, créé une organisation transverse appelée Chapitre UX dont la mission est de mettre en place les méthodes et outils communs, de continuer à faire évoluer notre design system, de mesurer systématiquement le retour sur investissement lié au design, de contribuer à la qualification des profils qui interviennent sur les projets et à œuvrer à la reconnaissance du métier de designer en interne.

Plus largement, qu’est-ce que le design apporte aux institutions bancaires ?
Il me semble que les banques ont parfois un peu négligé l’expérience client dans la mise en place des outils digitaux. Souvent perçus comme une alternative aux canaux physiques comme les agences, ces dernières demeurent pourtant très importantes dans la relation de proximité avec nos clients. D’autre part, les banques ont sans doute été parmi les premières industries à mettre en place des systèmes informatiques complexes et cet héritage fait que le secteur évolue lentement. Nous voyons aussi depuis quelques années apparaître de nouveaux entrants comme Revolut, N26, Lydia, Qonto, c’est-à-dire des start-up qui ont conçu dès le départ leur offre en fonction du digital. Je voudrais souligner que, à l’instar de nombreuses industries, les banques de proximité courent le risque d’être désintermédiées par les GAFA que sont Google, Apple, Facebook et Amazon. Des acteurs qui, au-delà de la concurrence directe bancaire, ont depuis longtemps mis en place des stratégies design dont la qualité a fait monter le niveau d’exigence des clients. Les banques, comme bien d’autres entreprises, ont pris conscience que le design était important pour ce qui concerne leur avenir. Et puis, la Covid a certainement contribué à accélérer la transition vers les outils digitaux. Cela crée une tension que je trouve très positive entre les attentes des clients et la capacité des entreprise – dont la nôtre – à intégrer de nouvelles expertises et à fabriquer des produits digitaux de qualité.

En quoi consiste votre mission chez BPCE ?
Je précise, au préalable, que j’ai créé la première équipe de designers intégrés au sein de BPCE. Mon équipe compte aujourd’hui une quinzaine de designers qui accompagnent dans la durée les projets digitaux du Groupe. Et les projets digitaux dans une banque sont rarement simples ! Par exemple, la conception du parcours qui vous permet de vous connecter en toute sécurité à votre espace client en ligne est un chantier très complexe qui implique de nombreux interlocuteurs. Ce parcours doit prendre en compte la diversité des clients ainsi que la nature de leur équipement informatique. Il est donc déterminant d’avoir des designers référents pour ce type de projets qui durent plusieurs années. Ils alimentent les équipes en amont avec leur sensibilité, leur empathie, leurs méthodes pour collecter, synthétiser et matérialiser des interfaces. Et ensuite, les tester et les valider afin qu’elles répondent aux besoins des clients, qu’elles soient utilisables et qu’elles aillent dans le sens de l’expérience de marque que l’on souhaite mettre en place. Enfin, le designer s’assure de la qualité de l’exécution du design par les équipes de développement. Aujourd’hui, je partage de plus en plus mon temps entre l’équipe des designers qui interviennent sur les canaux digitaux pour les clients et l’animation du Chapitre UX qui a pour vocation de diffuser le design de façon transverse dans l’entreprise.

Quels sont vos principaux objectifs en matière de design chez BPCE ?
Continuer à faire évoluer Neo, le design system du Groupe BPCE, une plateforme en ligne partiellement ouverte qui documente de manière très pratique les fondamentaux de l’expérience digitale du groupe – avec ses composants et ses briques d’interfaces disponibles sur étagère à destination des designers et des équipes de développement. Le design system permet d’accélérer le design en assurant une qualité et une cohérence dans un esprit de transversalité. Je souhaite également continuer à sensibiliser les acteurs des projets sur l’importance d’intégrer le design assez tôt dans le processus et insister sur l’existence de quelques passages obligés, en particulier le test avec des utilisateurs dans le but de valider l’utilisabilité de tout produit digital intégrant une dimension interactive. Enfin, continuer à identifier ou former des interlocuteurs techniques qui maîtrisent le développement d’interfaces digitales et qui vont contribuer à matérialiser la vision design en collaboration avec les designers. Et bien sûr, assurer une expérience digitale cohérente, de la meilleure qualité possible, qui porte nos valeurs avec, notamment, des interfaces qui permettent au client d’interagir à distance avec sa banque, de façon simple, efficaces et élégante.

Votre vision du design en général ?
En tant que designer, et responsable d’une équipe de designers, j’ai à cœur d’avoir un impact positif sur la vie des gens. Je travaille sur des produits numériques, immatériels, mais je considère que les services qu’ils rendent et l’expérience qu’ils procurent sont tout à fait concrets. J’aime travailler sur des interfaces du quotidien, utilisées fréquemment par de nombreuses personnes, et qui permettent d’avoir plus d’impact. Et c’est aussi l’occasion d’apprendre et de se remettre souvent en question. Le numérique est un matériau passionnant, un domaine qui évolue très vite, avec de nouveaux outils qui apparaissent en permanence. Sur le plus long terme, je crois que l’intelligence artificielle prendra une place de plus en plus importante dans nos processus de conception. Qu’elle soit paramétrique, algorithmique ou générative, je suis persuadé que demain la pratique du design sera très différente. Je crois donc que les designers doivent être dès maintenant très actifs dans le cadre de cette évolution.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1186